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Fragment
(Sujet créé par lugh l 05/01/07 à 06:06)
Initialement, ce recit se situe dans l'univers de Conan le barbare. En fait, il n'y a pas enormement de references donc je pense que cela reste abordable mais a vous de me dire.
Tout commentaire est le bienvenue bien sur !
Le souffle court, l'homme s'adossa un instant au montant d'une porte tentant d'identifier dans la nuit sombre des silhouettes d'hypothétiques poursuivants. La ruelle faiblement éclairée d'une lune blafarde ne frémissait que sous l'assaut du vent. Pas de bruit de pas, aucune lueur de torche. Drapé dans une cape noire qui lui retombait gauchement sur l'épaule, Lugh resta cependant figé, immobile quelques minutes de plus. La conversation de la veille lui revenait en mémoire.
- Un tournoi d’assassins ? attrape-couillon et sacrés fadaises, si tu veux mon avis, oué !
- Ça marche bien avec les guerriers
- Parce qu’ils aiment pérorer et jouer les fort-en-bras, vlà tout.
- Je connais bien des gars de l’ombre qui dédaignent pas un peu de lumière de temps en temps
- Ah oui qui ?
- Ben… heu Khéo, le parano par exemple, il était vachement connu
- Celui qu’est mort du carreau d’arbalète d’un de ses propres pièges ? L’était fin timbré, truffait ses planques d’alarmes, ses réserves de bouffe de poisons. Et tu sais pourquoi ? parce que celui qui aurait eu sa peau, récupérait sa clientèle du même coup.
- Oui bon, mais Voyah le goujat. Sa technique d’assassinat était superbe et a fait école. Séduire la femme de la victime, s’introduire dans le lit conjugal et crac, boum, tue !
- Pareil trop connu, s’est fait dézinguer en 2 coups par le nouveau lieutenant de la garde. Combat déloyal si tu veux mon avis.
- Sa femme l’avait prévenu ?
- Non, la femme, c’était le lieutenant
- Ah merde
- Surtout l’épitaphe qu’elle lui a collé : « trop petite dague », ça la fout mal. Je t’assure, mon gars, évite de te faire connaître, c’est le mieux.
Tapi dans l’ombre et en proie à une anxiété inhabituelle, Lugh commençait à croire que son ami était de bon conseil. Mais la récompense était tellement alléchante qu’il s’était quand même décidé à tenter le coup. L’épreuve était simple : ramener un diamant gros comme le poing situé au cœur de la caserne de gardes tous prévenus du concours. Fastoche. En plus, Lugh avait un plan à toute épreuve. Guetter les autres candidats et chiper au plus preste et habile des voleurs le fruit de son larcin. Bien sûr, un autre que lui se serait demandé si dérober un maître voleur était une tâche aisée. Mais cet autre là n’aurait sûrement pas sorti une cape noire pour s’approcher d’une maison pleine de gens qui aiment faire des trous dans les capes noires.
Son plan démarra d’ailleurs très bien puisqu’il repéra un autre voleur qui bondissait de toit en toit et même le reconnut. De tous les frapadingues qui utilisent le lotus pour donner la mort, Rokim était l’un des pires maniaques que Lugh ait connu. Il se rappelait le dernier discours qu’il avait entendu de sa part:
L'adversaire qui commet l'erreur de tourner le dos à son ennemi, ne mérite-t-il pas la mort?
Et quel genre de trépas préfères-tu? avoir la tête broyée d'un coup de morgensteirn? avoir les bras découpés à la hache puis la tête décollée du tronc? ou une simple incision, rapide précise suivie de l'action foudroyante d'un poison ? La dague permet de délivrer une mort clémente et le poison peut vous ôter toute douleur si bien dosée. Bien sûr dans certains cas, on peut prolonger exprès et inutilement le trépas. Ça dépend du client.
Sa seule circonstance atténuante était le contexte du discours. Le Cimmérien qui l’avait empoigné par le col lui avait posé la question la plus complexe qu’il avait su trouver : « Nabot, donne raison pas cogner après meurtre de mon ami. ». S’en était suivi une bagarre de taverne mémorable car l’explication était passé au-dessus de la tête du Cimmérien mais pas son poing. Un tel taré allait donc fatalement s’introduire dans la caserne, badigeonner les murs de poudre, s’emparer du butin et ressortir aussi sec. Et aussitôt après se faire une décoction de lotus à plus pouvoir bouger pendant des heures. Il ne restait plus à Lugh qu’à attendre.
Il est écrit dans les astres et aussi dans les manuels pour voleurs débutants que les cambriolages de caserne n’ont aucune raison d’être simple. Pourtant, Lugh vit réapparaître Rokim peu de temps après son escalade du mur. Ses gestes étaient précis et sûrs, pas du tout paniqués. Il portait en bandoulière un sac de cuir noir rebondi, des bottes de même couleur se … Minute ! Lugh comprit soudainement ce qui le gênait jusque là sourdement. « Un con sciant » aurait dit l’ami Lamber, encore que Lugh n’ait jamais bien saisi cette expression. C’est comme ces évidences qu’on ne voit pas qu’après coup. Ici, en l’occurrence Rokim semblait entouré d’une aura lumineuse ou plus exactement d’une aura d’absence d’ombre. Même si les explications de causalité astrales sont rigoureusement distinctes, le constat pratique restait le même. Il se détachait dans le noir de la nuit comme un phare en flammes. Le carreau d’arbalète qui se ficha dans son épaule avec un bruit mat confirma l’hypothèse naissante dans la tête de Lugh, résumée en un mot : « traquenard ». Le deuxième atteint le fuyard en pleine poitrine le projetant inanimé à terre. Vu le temps écoulé, impossible qu’il n’y ait eu qu’une seule arbalète. La silhouette ricanante d’un officier de la garde se découpa soudain près du corps, lui arracha le sac et marcha tranquillement vers la poterne. C’est lui qui était à présent éclairé ou plutôt « non-assombri ». A en juger par la réaction de Rokim, le porteur ne se rendait pas compte de l’effet. Le piège était simple et efficace, le voleur qui s’emparait du butin devenait une lampe en forme de pelote d’épingle. Impossible donc de s’en emparer, conclut tristement Lugh. Pourtant, renoncer signifiait abandonner tout espoir d’être reconnu pour plus qu’un coupe-bourse de bas étage. Toujours prudemment immergé dans la sombre et tiède obscurité, il s’abandonna dans des abîmes de réflexion. Aucune idée ne lui venant, il rebroussa précautionneusement chemin et ce n’est que peu avant l’aube qu’un sourire commença à poindre sur son visage…
Lugh se faufila le soir suivant à nouveau en vue des murs de la caserne. Résistant à l’envie de localiser les tireurs répartis sur les toits, il longea calmement la ruelle jusqu’au point le plus facile pour lancer son grappin. Vu les circonstances, aucune raison de se donner du mal pour l’aller. Le retour serait assez délicat comme cela. Et il était peu probable qu’on tente de l’arrêter avant qu’il ait le butin en sa possession.
Le franchissement du mur fut un jeu d’enfant, réception en souplesse de l’autre côté et progression furtive le long du couloir étaient comme une seconde nature chez lui. Instinctivement, il sentait que le diamant ne devait pas être trop difficile à trouver. Dès la troisième porte testée, il put l’apercevoir, bien en évidence sur la bibliothèque. Il manquait l’écriteau « vous avez gagné, c’est ici » mais à part cela les organisateurs avaient facilité la prise du butin au maximum. S’en approchant, il l’examina un instant. Puis, attentif il s’en empara mais ne parvint pas à ressentir quoi que ce soit de particulier, aucune luminosité, aucune vibration. Pour autant, Lugh avait l’intime conviction d’être à présent comme Rokim, une cible immanquable à 30 pas. Il rebroussa chemin en enfournant le diamant dans un sac muni d’un crochet.
Exactement au même point du mur qu’à l’aller, il sortit de nouveau son grappin et le fixa solidement. C’est là que tout se jouait. Il sortit l’arme de son dos, une occasion. « Une affaire » lui avait assuré le marchand. Lugh en doutait, le mécanisme semblait un peu lent et usé mais comme il avait fini par la dérober disons qu’elle valait son prix. Tout son plan était fondé sur son habileté à l’arbalète. Pourtant, il utilisait rarement ce genre d’armes guère pratique à utiliser selon lui. Les ennuis lui tombaient généralement dessus trop vite pour armer une arbalète même de qualité. L’arme au poing, la corde dans l’autre main, il parvint en haut du mur, épaules rentrées en attente de l’impact. Mais ils devaient logiquement attendre sa réception de l’autre côté avant de tirer. Il répéta mentalement les enchaînements de ses prochains gestes et se lança. Fixant le crochet du sac au carreau de l’arbalète, il tira en direction du fleuve puis sauta dans la ruelle. Redevenu ombre parmi les ombres, il s’engouffra le cœur battant dans le dédale des rues priant pour l’absence de tenaille trop élaborée. Mais la nature du butin avait du rendre trop confiants et négligents les gardes qui n’eurent pas la promptitude de réagir. Leur proie lumineuse s’était brusquement évanouie dans la nuit tandis que le diamant était transformé en étoile filante.
Rentré dans sa mansarde, Lugh contempla pensivement le joyau. Plonger le retrouver au fond de l’eau n’avait guère été compliqué. Localiser un objet dans le fleuve équivalait à chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais une aiguille qui brille dans le noir est un défi nettement moins redoutable. Cependant, la récupération du diamant ne résolvait pas tout. Rokim avait été tué alors qu’on aurait facilement pu l’arrêter. Pourquoi la garde ne jouait pas le jeu ? Il devenait évident que la prime offerte pour ce tournoi visait tout autre chose qu’une simple reconnaissance des meilleurs monte-en-l’air. D’ailleurs aucun bon voleur n’aurait participé, Lugh devait le reconnaître. Il fallait être soit fou comme Rokim, soit désespéré comme lui pour le tenter. Mais pourquoi élaborer de tels plans pour éliminer des gredins de son acabit ? Toutes ces questions s’agitaient encore dans sa tête lorsque Lugh se dévêtit et plongea sous les draps. Toujours étrangement non-ombré, le diamant empêchait la table d’être obscurcie.
Au même instant, dans une caserne, un ancien capitaine des gardes laissait son étendard au vestiaire pour se saisir d’un balai et commencer une nouvelle vie pleine de brimades.
Et dans une chapelle abandonnée, un moine en robe de bure entonnait une prière à son dieu.
Cette cave puait le moisi, le rat crevé et pire encore. La table était immonde, recouverte de taches de sang indélébiles, elle avait du servir de chevalet de torture dernièrement. Autour d’elle, sept silhouettes encapuchonnées et drapées dans des robes noires attendaient silencieusement. Mais on pourrait dire lugubrement. Ou glauquement si ce néologisme n’était quelque peu superfétatoire. Bref, l’ambiance dans la pièce obscure n’avait que de lointains rapports avec celle de la taverne de joyeux drilles, pourtant située juste au-dessus.
Un homme massif se leva et enleva sa robe avec une visible répugnance. Il portait une armure usée, une épée et un bouclier. Il prit la parole :
« J’ai échoué. »
Une voix lui répondit sèche et dépourvue d’aménité :
« Cela nous le savons. Nous voudrions comprendre votre plan débile avant de vous tuer.»
L’homme prit une inspiration. En d’autres temps, jamais un de ceux-là n’aurait osé lui parler ainsi. Mais il avait échoué et le cercle n’avait que mépris pour le jeu d’échec (NdT Merde, « failure » c’est le jeu ou ça se dit « chess » ? oh, ils se débrouillent, j’en ai ma claque moi). Il devait reconquérir son autorité perdue rapidement.
« Il devait venir. Il devait tout tenter pour le récupérer. J’avais soudoyé les gardes, ils avaient leur consigne, ils ne pouvaient pas le rater. Mais ils ont abattu un crétin et laisser filer un amateur, un grain de sable. Il ne s’est pas montré, je ne comprends pas. »
Une des silhouettes se leva vivement visiblement à bout de nerfs :
« Pauvre idiot. Ne pouviez-vous pas le suivre à la trace. Connaissez-vous la valeur de cet objet ? Savez-vous quels risques nous avons pris à vous le confier ? Mais laissez-moi le saigner, laissez-moi lui faire comprendre à cet abruti. » L’homme avait sorti une dague et s’approchait de sa cible. Mais comme personne ne le retenait ses dernières paroles tombèrent un peu à plat. Arrivé devant sa proie, il agita sa dague avec un air de « tiens-le-toi pour dit mon gaillard » et alla courageusement se rasseoir en lançant :
« Et que faites-vous ici alors? Retrouvez le fragment, retrouvez l’amateur et retrouvez-le-lui. » Puis après une pause : « Ou vous auriez mieux fait de vous enfuir et d’aller vous terrer car nous ne tolérons pas les chèques ! (NdT ou serait-ce ‘les cheiks’ ? bof )».
Le templier sembla hésiter mais sentant qu’il tenait une chance de se justifier répondit.
« Nous reprendrons bientôt le fragment qui a été volé. J’ai déjà identifié le grain de sable que je m’apprête à broyer et à réduire en confettis. »
A ce stade de la conversation, personne ne crut bon de faire remarquer que transformer un grain de sable en confettis nécessitait une sacrée poigne.
« J’attends simplement qu’il le localise à son tour pour les éliminer tous les deux. »
Une voix sarcastique s’éleva :
« Devons-nous encore vous faire confiance après un si piteux résultat ? S’ils s’évanouissent dans la nature avec l’objet, le Grand Dessein est compromis. J’espère que vous mesurez l’enjeu. »
Mais l’homme répondit calmement :
« Même avec le fragment, ils n’auraient aucune chance de reconstituer l’artefact. Aucune chance de s’opposer à nous. Personne jamais ne pourra plus s’opposer aux séides d’Ahriman. »
Il sentit qu’il avait su temporiser assez la situation pour rester en vie. Mais il avait perdu énormément d’influence au sein du cercle et quelqu’un devait payer. Un certain roublard imbécile allait connaître le sens du mot souffrance.
Les silhouettes terminèrent leur étrange conciliabule par une sombre invocation à leur dieu que d’aucuns auraient préféré oublier à jamais. Mais la solennité du rituel fut légèrement troublée par les bruits de la chanson à boire venant de la taverne.
Que tous soient jetés au pied du grand Ahriman
Celui qui finit pas son verre
Le grand exterminateur,
Il est cocu comme son père
Le dispensateur de mort absolue,
C’est un cafard, c’est une erreur
Le seigneur de la Négation
Qu’il aille pisser ailleurs !
le destructeur des mondes.
Tsoin-tsoin haha
Le chant s’éteint doucement dans la chapelle. Les murs de pierre font résonner encore quelques instants la louange puis le silence reprend possession du lieu. Lui qui a si souvent régné en maître absolu ici. Pendant des siècles, le lierre, les ronces et les pierres de plus en plus branlantes dissuadaient même les plus pieux de la moindre oraison. Et puis, ils sont venus se réunir, pour comploter, pour tramer et pour prier. Pendant plusieurs années, jusqu’à ce que leur folie les détruise. Un seul à présent revient en ce lieu. La dernière flammèche de ce qui fut autrefois un invincible flambeau et qui a été aspiré goulûment par la suprême noirceur. Le moine relève mélancoliquement la tête. L’heure n’est plus au passé, la balle ou plutôt le fragment est de nouveau dans son camp. Une rapide génuflexion et le voilà dehors. La ville n’est pas loin, il la rejoint en quelques minutes. Et là, il se laisse guider par sa vision et le lien qu’il a su créer.
Quand Lugh se réveilla, il trouva un étrange personnage assis sur son fauteuil favori. Bien qu’il adore faire ce genre de farces à des amis, il se rendit compte qu’il est bien désagréable d’avoir un importun avant même d’être rasé. Qui plus est sans être menaçante, la silhouette restait inquiétante : comment ce moine était-il entré chez lui ? que lui voulait-il ? sûrement pas la mort car il aurait tenté l’attaque pendant le sommeil.
« Pardonnez, mon intrusion, je vous en prie. Je me suis permis d’attendre ici votre réveil. Un affût devant votre porte vous aurait été plus dommageable m’est avis.»
« Pourquoi, t’as si mauvaise réputation ? », répliqua Lugh hargneux.
« Et bien, en tout cas j’ai quelques ennemis, ou plutôt nous avons quelques ennemis communs », précisa le moine.
« De quoi parles-tu ? Quels ennemis ? Ceci est du charabia imbuvable, allez, barres-toi avant que je m’échauffe. », commença Lugh que le ton calme et les manières doucereuse de son vis-vis énervait peu à peu.
Le moine le regarda l’air peiné ;
« Auriez-vous oublié ceci ? », fit-il en élevant le joyau dérobé la veille. « Vous devriez comprendre que ce n’est pas une babiole et que son acquisition entraîne de lourdes conséquences. »
« Comment le saurais-je ? Qu’est-ce que tu veux dire ? », répondit Lugh puis après un temps de réflexion. « Tu veux marchander c’est ça ? et t’essayes de me faire peur pour baisser le prix. »
En réponse, le moine haussa les épaules comme s’il avait prévu l’incrédulité et l’agressivité de son interlocuteur. A noter qu’il ne faut pas être grand clerc pour cela.
« Fort bien. Alors je vais vous raconter une histoire. Vous déciderez ensuite de ce que vous voulez faire. »
« Lorsque ce monde était encore jeune, les dieux s’entredéchirèrent puis s’unirent contre l’un des leurs. Même Mitra et Set s’allièrent momentanément contre l’ennemi commun Ahriman. Celui-ci disposait d’une telle puissance de négation que la lutte fut rude et faillit détruire le monde. Mais enfin le pouvoir d’Ahriman fut brisé, et tout danger semblait écarté. Au plus fort des combats, un artefact très puissant forgé par Mithra permis à Set de porter un coup fatal à l’ennemi commun. On raconte que l’objet était semblable à une épée de lumière, une épée que l’ombre-négation ne saurait supporter. On dit aussi que, malgré sa qualité exceptionnelle, l’arme fut brisée au contact d’Ahriman. Bien des siècles après, de nouveaux séides complètement fous firent allégeance à ce qui restait de l’essence d’Ahriman pour lui permettre de retrouver son pouvoir. Ces hommes à l’âme plus noire que le plus perverti des descendants de Set pensent y gagner du pouvoir ou partagent le cauchemar destructeur de leur maître. Un groupe de prêtres apprit leur projet et décida de s’y opposer secrètement afin de ne pas attirer d’adeptes à Ahriman. Ils retrouvèrent un des fragments de l’épée et dès lors furent traqués par les séides. Puis, hélas guidés par leur orgueil, certains d’entre eux voulurent tenter une action directe contre Ahriman. Exhibant les dires d’une ancienne prophétie, ils invoquèrent le nom du Dieu Oublié pour le confronter au pouvoir du fragment. Et l’avatar d’Ahriman vint. Et rit de leur tentative. Et tout en riant, il renvoyait leurs essences mortelles dans le néant d’une simple chiquenaude. Sa puissance était terrible, terrible. » Ses derniers mots furent prononcés à voix basse, le moine tenant sa tête entre ses mains. « Le porteur du fragment connut une fin atroce car l’avatar ne pouvait s’en emparer directement. Il le maintient prisonnier et fit appel à ses séides qui le lapidèrent puis s’emparèrent du fragment. Les mortels ne peuvent défier les dieux même lorsque ceux-ci ne sont plus que l’ombre (ah ah) d’eux-mêmes. Ensuite l’avatar disparut mais la puissance de cette invocation ne pouvait signifier qu’une chose : Ahriman recouvrait ses forces peu à peu. Ses sectateurs s’enhardirent et devinrent plus confiants, ils traquèrent les quelques dissidents qui par sagesse ou lâcheté n’avaient pas voulu affronter Ahriman. Leur nombre se réduisit rapidement car le mouvement était totalement désorganisé et certains se maudirent eux même en une abjecte traîtrise. Jusqu’à la nuit dernière, un seul dissident au courant de tous ces évènements et de l’existence du fragment était encore en vie. Moi, Chmar, prêtre de Mithra. Alors ils tendirent ce piège grossier pour m’abattre me croyant assez fou pour tenter de récupérer le fragment. Sa récupération était cruciale c’est vrai mais j’avais déjà trop perdu pour risquer la seule chose qui me reste : ma vie et les connaissances qui en découlent. Je ne suis pas assez puissant pour m’opposer seul à un tel groupe et je crois être assez sage pour le reconnaître. Mais à présent que nous avons le fragment, ils vont nous poursuivre et tenter de nous éliminer. Comprenez-vous ? », conclut Chmar.
« Eh, minute, je n’étais pas au courant. Je préfère leur rendre le fragment s’ils me laissent tranquille moi. », intervint courageusement Lugh.
« Vous laisseriez un objet aussi important tomber entre leurs mains ? », questionna le moine, dépité.
« Et d’une, le fragment n’est pas assez puissant pour lutter efficacement contre Ahriman. Et de deux, rien ne prouve que cela ne soit pas un tissu de sornettes. »
« La confrontation directe était une erreur. Mais Ahriman a déjà été vaincu. Aujourd’hui, les dieux sont désunis et Mithra ne peut contrer seul le pouvoir grandissant d’Ahriman. Mais il peut reforger l’épée si nous retrouvons les fragments. Croyez-moi, Ahriman ne se dressera plus sans être certain de sa victoire. Il sait qu’il n’aura pas de nouvelle possibilité. Il lui faut détruire chaque fragment. », expliqua Chmar.
« Pourquoi ne pas reforger une nouvelle épée ? », demanda Lugh, que ces considérations théologiques fatiguaient un peu.
« Il faudrait que les dieux s’unissent à nouveau pour permettre à Mithra de se consacrer à cette tâche. Ce n’est pas possible malheureusement. Nous ne pouvons éliminer cette menace, nous ne pouvons que la retarder», répondit tristement Chmar.
« Mais que faut-il faire ? Soulever chaque brin d’herbe et voir s’il n’y a pas d’autres cailloux qui brillent dans le noir et en faire collection ? », railla Lugh.
« Je ne sais pas tout », intervint un peu rageusement Chmar. « Je ne suis au courant que de l’existence de ce fragment, peut-être d’autres personnes luttent-elle en secret pour reconstituer l’épée. Il nous faut tenir le fragment à l’écart des adorateurs d’Ahriman le plus longtemps possible. »
« Et comment ? en vivant comme des bêtes traquées ? merci, mais très peu pour moi. Je crois que je vais me recoucher, lorsque je me réveillerai, tu seras gentil d’avoir disparu avec cette fichue pierre. T’as gagné, je t’en fait cadeau. », conclut Lugh se dirigeant vers son précieux lit.
« Que croyez-vous ? qu’ils vous prennent pour un de mes complices ou non, votre destin est scellé, ils ne vous laisseront pas tranquille. De plus, j’ai un plan très simple pour protéger le fragment. »
Lugh s’arrêta. Il pouvait au moins attendre d’entendre l’énoncé du plan.
« Avez-vous entendu parler des Fils d’Acheron ? », demanda Chmar.
« Non, ah si c’est pas une vieille légende du Nord ? Je ne vois pas le rapport avec le problème actuel », répondit Lugh.
« C’est plus qu’une légende, c’est une tribu si j’en crois le témoignage de l’un des descendants de ce peuple. Il faisait partie des prêtres qui ont défié Ahriman, il comptait les rejoindre après et m’a confié cela par pure amitié. Il en parlait comme d’un peuple farouche qui au mieux réduit en esclavage les étrangers qui foulent son territoire. », précisa Chmar.
« Ouah, génial et alors ? tu espères la mort ou l’esclavage ? », ironisa Lugh.
Un peu exaspéré, Chmar répondit :
« De ce que j’en déduis, le fragment pourrait être en sécurité chez eux. Ce ne sera pas si facile que cela de s’introduire chez eux et de s’emparer de la pierre. Notre propre sort ne compte pas. »
« Heu, écoutes. Tu n’as pas vraiment besoin de moi pour être réduit en esclavage, hein ? alors tu y vas, tu as la pierre, tous mes encouragements et nos ennemis à tes trousses. Ça me va. », conclut Lugh se recouvrant de ses draps.
Interloqué, Chmar haussa les épaules.
« C’est votre vie après tout, j’essayais seulement de la sauver. Si vous changez d’avis, voici l’itinéraire que je compte suivre. », fit-il en posant un papier sur la table.
« Brûlez le papier une fois mémorisé et surtout gardez du poison sur vous. »
« Pourquoi ? je suis pas un dingo du lotus moi. », répondit une voix sous les draps.
« S’ils vous attrapent, ce sera plus doux. Et surtout, cela vous évitera de parler. »
Et sur ces derniers mots, le moine en robe de bure s’éclipsa discrètement.
« C’est le moine qui a la pierre, il part vers l’ancien marché et va probablement le traverser pour atteindre la poterne Est. Je m’en occupe avec Jade. Brend, va faire le tour pour le coincer. Vous autres, massacrez l’abruti, il doit encore être chez lui. »
Son ordre donné, le templier sombre s’engouffra dans la ruelle à la suite de sa proie. Sans se hâter vraiment, il se contenta de ne pas perdre de vue la robe de bure. Il était à eux. A cette heure, le dédale de ruelles dans lequel, il s’était engagé n’offrait qu’une protection dérisoire. Trop peu de monde pour espérer se mêler à la populace. A peine, quelques va-nu-pieds qui finissaient leur nuit dans le caniveau et deux rats se battant en duel dans les poubelles de la gargote avoisinante. Alors que le moine débouchait sur l’ancienne place de marché désaffectée, le bruit des pas dans son dos se rapprocha brusquement. Se retournant, il vit la sombre silhouette le dépassant d’au moins deux têtes presque à sa hauteur et son sinistre acolyte le couvrant sur ses flancs.
« Ah ah, imbécile, je connais ce dédale mieux que toi, Chmar », le templier dégaina sa lourde épée et décrocha son bouclier attaché à l’épaule. Des gestes lents, mais précis.
« Je ne savais pas que nous avions été présentés », répondit nonchalamment Chmar. Ses mains restaient croisées sur sa poitrine ce qui ne correspond à aucune position défensive indiquée dans le pourtant volumineux « De l’art d’impressionner vos adversaires à mains nues».
« Oh, oh mais tu es célèbre, tu vas devenir une légende après ta mort. Tout de suite en fait. »
Son épée fendit l’air, qui sembla se solidifier brusquement. Son épée rebondit, il réarme son bras. La dague de Jade, qui s’est avancée, perce cette invisible protection et déchire la robe de bure faisant couler le sang. Le templier sourit, un mouvement dans son dos, un cri, Jade s’écroule. Le temps de se retourner, la lame est déjà là fendant sa chair à hauteur de cuisse. Il entaille le bras du cimmérien qui leur a fait si soudainement face mais un cône de lumière jaillit de son dos cautérisant la plaie. Il jauge son adversaire du regard, l’un des va-nu-pieds de la ruelle également va-sans-chemise, un cimmérien imposant avec une lueur de folie dans le regard. Pris entre deux feux, il lui faut gagner du temps, Brend devrait arriver. Il lance violemment son bras en arrière tentant d’atteindre Chmar. Mais celui-ci s’est déplacé de quelques pas sur sa gauche et le coup ne rencontre que le vide. Sa blessure à sa cuisse répand son sang, il s’affaiblit. Le cimmérien s’avance et lève son épée, elle rencontre son bouclier mais le choc projette le templier contre un mur. Il s’y adosse à bout de forces, à ses pieds la flaque de son sang ne cesse de croître. Brend devrait être là. Une botte précise du cimmérien perce sa défense, il est trop affaibli pour parer. L’épée le transperce en plein torse, il hoquète de douleur et s’écroule. Des pas, ses adversaires s’éloignent, il lui reste encore un souffle de vie. Une silhouette se penche sur lui. Brend ? Le visage grimaçant apparaît au-dessus du templier moribond. Il tend une main tremblante vers son acolyte. La dague du stygien s’enfonce dans ses entrailles, accompagnée de l’action foudroyante du poison. Le templier trahi sombre à jamais dans les abîmes sans fond promis aux séides d’Ahriman. Avec pour toute oraison funèbre, le rire méprisant et sardonique du démoniste. Une ère nouvelle commence, les chefs de l’ancien monde doivent mourir pour laisser place aux véritables maîtres d’œuvres. La destruction nourrit la destruction. La destruction est.
« Encore un qui ne se relèvera jamais. », constate paisiblement l’assassin.
La chambre de Lugh n’est plus éclairé que par la faible lumière du jour naissant, filtrant à travers les rideaux. Suffisant pour révéler un macabre spectacle. Le corps de Lugh gît sur le lit, la gorge ensanglantée d’une oreille à l’autre. L’assassin inspecte les lieux, mais rien d’intéressant dans ce taudis. Il se penche silencieusement à la fenêtre, fait un bref signe de la main et ressort lentement.
Quelques minutes après, il retrouve son complice qui pointait la fenêtre de son arbalète.
« Pas de souci ? »
« Non, le travail était déjà fait. Quel salaud ce prêtre. »
« Ah ouais ? Rien que pour récupérer une pierre, la bonne ordure. »
« Ouais, il lui a tranché la gorge. »
« Mais les prêtres de Mitra ne… »
Les compères s’arrêtent.
Lorsqu’ils s’engouffrent à nouveau dans la chambre, la fenêtre claque au vent et l’oiseau s’est envolé.
« Merci, mon vieux. Sacré veine de t’avoir trouvé là. », fit Chmar en franchissant la poterne.
« Mouarf bien sûr, je me suis retrouvé là par hasard, pile dans la ruelle où tu fuis poursuivi par une tafiole en armure. », ricana le cimmérien en se curant les dents avec un os de rat à demi-rongé.
« Tu me suivais ? », demanda Chmar, surpris.
Sans un mot, le cimmérien lui tendit un morceau de papier. Chmar le prit et eut un choc en reconnaissant sa propre écriture : « Aide-moi, Yog. En souvenir du bon vieux temps*, j’aurai besoin que tu me rejoignes à l’entrée des catacombes près de la poterne Est. »
« Yog, je n’ai jamais écrit ce mot. Je ne savais même pas que tu étais en ville. », fit pensivement Chmar.
« Bof. Quoi qu’il en soit, j’ai pu te sortir d’un guet-apens. C’est tout ce qui compte, non ? », répondit platement Yog.
« Non. On nous manipule, qui tire les ficelles ? Il y a trop en jeu pour se contenter de demi-réponse.»
« Combien en jeu ? », fit Yog.
Chmar soupira et entraîna le cimmérien vers une taverne.
« Viens, je te paye un coup, tu as bien mérité cela. »
*Yog et Chmar se sont rencontrés dans un monde forgé par la guerre.
La réunion achevée les silhouettes encapuchonnées refluaient lentement vers la sortie. Brend resta assis et contempla ce sinistre mais pitoyable ballet. Sectateurs d’Ahriman, vraiment ? Apprenant les nouvelles la plupart restaient bêtement consternés, seule une poignée d’entre eux se posait comme prétendant au rôle de chef du cercle. Habilité à coordonner les actions de la secte, autorisé à communiquer avec les autres cercles, promu à de grandes responsabilités et promis à une mort rapide. Bien sûr, son autorité ne tenait qu’à sa capacité d’être craint. Toutefois, un tremplin possible à de plus hautes fonctions. Mais Brend dédaignait ce petit jeu politique sans intérêt. Il n’y avait aucun réel pouvoir à glaner. Le vrai pouvoir impose de plus grands sacrifices. Il frissonna tandis que le bruit des pas des derniers acolytes s’estompait peu à peu. La nuit serait tout sauf reposante. Il se dirigea lentement vers le chevalet de torture suspendu au mur et fit jouer le mécanisme secret révélant une entrée souterraine. Un accès direct aux catacombes qui a toujours servi ceux dont la survie dépend de la discrétion. Brend s’y engouffra en resserrant sa cape autour de lui. Précaution inutile contre le froid car la température s’éleva progressivement. Brend descendit l’escalier en pierre et déboucha dans une caverne rougeoyante. A chaque rencontre, le lieu et l’apparence de l’avatar étaient différent. Une seule chose restait permanente : la sensation de malaise. Evidement, rien ne pouvait être réel. Le jeune homme assis sur un trône d’os au milieu d’un cercle de flammes n’était probablement qu’une illusion. Les innombrables formes semi-bestiales qui se battaient à ses pieds également. Probablement.
« Avance », la voix de l’homme était douce, sardonique. Ce n’était pas un véritable ordre, juste une manière de souligner le temps d’arrêt que Brend avait marqué en débouchant dans la caverne. Le malaise était provoqué par la forme de l’avatar, ce jeune homme avait un visage fin, des bras et jambes correctement proportionnés mais son œil droit avait été arraché de son orbite et la blessure donnait à l’homme un visage de la Mort qui tranchait avec son aspect si calme. Les démons qui s’affrontaient se dévoraient mutuellement au fur et à mesure et leur nombre décroissait à vue d’œil.
« Quelles nouvelles apportes-tu ? », la question toujours posée d’une voix douce sonna faux aux oreilles de Brend. Que savait-il déjà ?
« Le fragment a été perdu pour de bon et notre cercle a perdu son chef. Chmar est en fuite, et nous », une douleur fulgurante stria son cerveau et jeta Brend à terre. Aux pieds de l’avatar, les bêtes difformes cessèrent un instant de s’entre-déchirer et tournèrent leurs têtes vers lui. Brend sentit une main invisible dissocier son esprit, le fragmenter, s’en approprier peu à peu les secrets. Toujours courbé au sol, une sensation de nausée et d’atroces vertiges bloquèrent sa capacité à réfléchir. Aucun moyen de contrebalancer l’influence que l’avatar avait sur lui, aucun secret ne peut être scellé à qui possède votre âme. La douleur le quitta brusquement, le laissant pantelant, prostré sur le sol. L’avatar reprit la parole d’une voix toujours calme :
« Intéressant. A présent, tu brûles d’envie de me servir au mieux, n’est-ce pas ? Il ne serait que justice que je récompense ta bonne volonté par un petit cadeau. », le visage de l’avatar se tordit atrocement dans un sourire méprisant. « Je t’offre… le vainqueur. », fit-il distraitement en se concentrant sur le spectacle à ses pieds. Il ne restait plus que deux bêtes à s’affronter, chacune avait dévoré bon nombre de ses congénères et leur taille correspondait à celle d’un grizzli. Un grizzli à la peau noire avec des ailes dans le dos et une rangée de dents à faire passer un crocodile pour une limace de bac à sables. Un dernier échange de morsures et une des bêtes resta à terre. Brend entendit distinctement les bruits qui suivirent, déchirements musculaires et craquements d’os, broyés dans la mâchoire de l’effroyable vainqueur. A chaque bouchée, le démon semblait grossir et lorsqu’il eut terminé son gueuleton, on aurait pu vendre la peau de l’ours qui l’aurait affronté avant même le début de combat. L’avatar sourit paternellement devant ce spectacle puis s’adressant à ses deux serviteurs : « Vous voici à présent maître et esclave ».
La vision disparut brutalement, Brend se retrouva prostré dans le sol de la cave moisie. Le démon n’était visible nul part mais le démoniste était conscient de sa présence, toute proche. Il n’avait qu’à tendre la main pour attirer à lui ce démon d’une puissance inouïe. Le pouvoir qu’il avait tant souhaité enfin à sa portée. Tout le reste n’était que jérémiade indigne d’un serviteur d’Ahriman se répéta-t-il. Tandis que loin, très loin, dans les bribes de sa conscience non souillées par l’empreinte démoniaque, une voix gémissait sourdement dans un dernier râle.
Yog reposa délicatement sa tasse de thé. L’estaminet dans lequel ils s’étaient réfugiés n’était pas de première catégorie et il avait eu toutes les peines du monde à faire respecter l’étiquette du service de sa boisson favorite. Les meilleures traditions se perdent, songea-t-il tristement. Chmar terminait son monologue d’explication mais le cimmérien ne l’écoutait que d’une oreille distraite. Toujours pareil avec lui ou tout autre robe de bure, des enjeux cosmiques, des buts lointains et des moyens tordus. Il était tout le contraire, il préférait se battre pour ses propres idées et de manière simple et directe. Toutefois, Chmar était dans le pétrin, avait des ennemis nombreux et puissants et savait présenter sa requête avec classe, cela seul suffisait.
« Nous devrions quitter la ville clandestinement et rapidement. » conclut Chmar. « Si tu es d’accord », ajouta-t-il après un temps. Le clerc et le barbare se dévisagèrent un instant. Rien ne les liait réellement sauf un passé tumultueux et des escarmouches en pagaille.
« Non. », répondit Yog. « Je veux bien t’aider mais à ma façon. Je ne me déguiserai pas en marchand ambulant pour passer incognito la poterne, pas plus que je ne ramperai dans les égouts pour m’en aller en catimini. Nous n’avons rien à nous reprocher, franchissons les portes de la ville la tête haute. Je ne m’en irai pas comme un brigand.»
Chmar prit un temps pour formuler sa réponse. La conception de l‘honneur de son vis-à-vis le déroutait mais le froisser serait pire que tout.
« Ceux qui nous pourchassent n’hésiteront pas à soudoyer les gardes pour au moins être alertés de notre départ. Et ensuite ? comment rejoindre l’abri des montagnes avec une troupe de sicaires à nos trousses ? Je sais que tu ne crains guère les affrontements même désavantageux mais il y a des limites. Et nous n’affrontons pas seulement des humains. C’est la propre volonté d’Ahriman qui se dressera contre nous si nous combattons. Sa puissance augmente de jour en jour, nous devons fuir le plus vite possible. »
« D’accord, mais par la porte et sans déguisement pour moi. De toute manière, c’est toi que l’on recherche. », répondit Yog.
Chmar s’abstint de signifier que l’auteur du mystérieux billet était probablement un de leurs ennemis et donc parfaitement au courant de la présence du cimmérien à ses côtés. C’était la désunion de ses adversaires qui le maintenait en vie, il devait préserver le seul allié qui lui restait.
Deux jours après, les montagnes du Nord furent enfin en vues. Même si le défilé qui s’ouvrit devant eux recelait un monde inconnu et potentiellement mortel, c’était la destination de leur voyage et les deux compagnons étaient heureux de mettre fin à cet éprouvant périple. La région n’est guère hospitalière, les routes sont cabossées, forçant les chevaux à un trot prudent. Même la rivière qui gronde en bas du ravin est impraticable en raison des rapides qui jalonnent son lit. Pour fatiguant qu’il fut, leur voyage s’était déroulé étonnamment sans accroc, leurs précautions et le sixième sens de Yog leur ayant peut-être permis d’éviter les assassins pourtant presque inéluctablement lancés à leurs trousses. Dame Fortune sourirait-elle enfin ?
Le sourire du démon s’estompa peu à peu. Les corps démembrés jonchaient la clairière, le lieu rêvé d’une embuscade, les assassins s’étaient bien placés mais il est le seul chasseur de ce butin là. Un festin s’ouvrait devant lui, il lui fallait dévorer les corps goulûment avant que la pierre n’arrive. Cela tombait bien, il avait faim. Il avait toujours faim d’ailleurs. Le seul corps humain encore en vie se releva péniblement, horrifié d’avoir été le témoin du massacre de ses propres troupes. Brend avait seulement voulu montrer à ses séides la nouvelle puissance dont il disposait. Pour voir, ils avaient vu. Mais le démon avait lui voulu prouver au démoniste qu’il n’obéissait qu’à sa propre volonté. Brend chassa ces pensées, qu’importait la vie de quelques sous-fifres? seul comptait le résultat et la pierre serait bientôt à eux.
Quelques heures plus tard, le soleil finissait de sécher les maigres traces de sang qui subsistaient sur l’herbe verte de la clairière. L’astre rayonnant faisait mentir la réalité macabre de la scène jouée à son réveil. La clairière était un oasis de lumière lorsque les chevaux de Yog et Chmar y pénétrèrent. Mais en un instant le ciel s’obscurcit, une forme ailée gigantesque fondit sur les chevaux paniqués qui jetèrent leurs cavaliers à terre. La bête éclata d’un rire puissant qui vrilla les tympans de ses proies. D’un geste nonchalant, le démon agrippa chacun des chevaux et leur brisa la nuque d’une brusque torsion. Les deux humains se relevèrent péniblement, il savoura leur désarroi. L’un d’eux, un prêtre sûrement, établit un mur de protection. En riant, il le transperça du poing et déchiqueta la robe du prêtre, arrachant un morceau de peau avant de reculer. La lutte serait longue et sanglante, sourit-t-il. L’autre homme leva une arme pour l’attaquer, par jeu il tendit le bras et l’arme l’entailla faisant gicler du sang noir. Mais la plaie cicatrisa instantanément et le bras du démon poursuit sa course giflant le cimmérien. Alors comme prévu, ses proies se mirent à courir tentant d’échapper à ses griffes. Il les suivit sans peine, ses ailes le propulsant tantôt au-dessus, tantôt à côté d’eux, les forçant à des écarts incessants. Il les attira progressivement vers le centre de la clairière dans un ballet sanglant.
La flèche qui l’atteint dans le dos le perturba soudain. La douleur n’était rien pour lui, il a été créé par elle pour l’infliger et aucune blessure de ce genre ne pouvait l’inquiéter mais il tourna la tête avec furie. Qui osait le défier ? L’archer était situé à l’orée de la clairière, d’un regard scrutateur, le démon aperçut deux autres flèches tombées non loin qui l’avaient manqué, cet imbécile savait à peine viser. Avec un rugissement, il fondit sur sa proie, en deux battements d’ailes, il atteignit les arbres. Son adversaire sidéré n’eut pas le temps de décocher une autre flèche. Mais un filet s’abattit sur lui, stupide piège qu’il lacera rapidement. Toutefois, l’homme put s’écarter, s’enfonçant plus avant dans la forêt et le menaçait à présent d’une lance de fortune. Un bref regard en arrière, ses proies initiales couraient vers lui déterminées à combattre. Parfait, il n’aurait pas à les poursuivre inutilement. Il décida de changer de forme, les arbres gênant sa progression aérienne. Absorbant ses ailes, il prit la forme d’un véritable colosse aussi large que haut, pesant et insensible aux coups d’estoc. Les coups le ralentissaient or il n’avait que trop perdu de temps. Il s’avança avec détermination vers le lancier qui se recula prudemment. Parvenu presque à portée de griffes, le démon chuta dans une fosse à pieux dissimulé à ses pieds. La colère le fit bouillir de rage, comment cet avorton osait-il se moquer ainsi de lui ? Il refit pousser ses ailes le temps de sortir de la fosse et les garda repliés. Ces proies en avaient profités pour rejoindre le lancier et tous trois fuyaient à présent éperdument à travers la forêt. Il s’élança en grondant, la chasse serait de courte durée. Avant même de les avoir rejointes, ces proies étaient déjà stoppées, acculées par le ravin. Le prêtre et le cimmérien semblaient résignés mais le lancier, qui lui faisait face, fit tournoyer sa lance en un ultime geste de défi. Pathétique créature. Sa langue passa sur ses lèvres pour en goûter le sang. Il attendait le coup de lance avec mépris bombant son torse pour permettre à son adversaire de mieux viser. Mais la hampe frappa le cimmérien aux genoux le projetant en arrière tandis que le plat de la lame percuta le prêtre au front le précipitant à son tour dans le ravin. Et sans un regard en arrière, le lancier sauta, les accompagnant vers une mort certaine. Incrédule, le démon voleta au-dessus du ravin et vit les corps de ses ennemis tomber lentement, ralentis dans leur chute par une succession de buissons à flancs de falaise. Puis les corps sombrèrent dans l’eau et le démon rit à nouveau en voyant les corps inanimés emportés par le courant. Après la chasse, la pêche, quelle différence ?
Contrairement à ses compagnons, Lugh resta conscient durant les quelques instants que durèrent sa chute, l’esprit au désespoir car son plan avait échoué. Suivant les indications de Chmar, il avait rejoint la clairière peu avant qu’une troupe de sicaire fasse son apparition. Après avoir assisté à l’affreux spectacle et voyant le démon aux aguets, il avait aménagé une issue de fortune et fait de son mieux pour attirer le démon dans son piège. L’eau courante d’une rivière tumultueuse est parfois suffisante pour éloigner un démon mais pas un de cette puissance. Lorsque qu’il entra en contact avec l’eau glacée du torrent qui l’entraîna vers le fond, il sut que la pierre est perdue. Bizarre. Il y a deux jours, il aurait seulement constaté qu’il allait mourir.
Du haut de la falaise, Brend contemplait le démon qui descendait lentement en planant comme un vautour et la rivière qui charriait des pantins de chair et un diamant.
L’ours pataugeait joyeusement dans l’eau glacée du torrent. La journée était belle et cette séance de pêche des plus agréables. Scrutant la surface de l’eau, il propulsait vivement sa patte à chaque éclat lumineux qu’il apercevait, rares étant les truites assez vives pour échapper à cette technique ancestrale. D’habitude, il pêchait par jeu mais aujourd’hui c’est par devoir qu’il guettait et scrutait la rivière. Ordre étrange mais pas inédit, la surveillance de la frontière étant l’affaire de tous. L’éclat suivant le confirma, ce ne fut pas un poisson mais un diamant qu’il ramassa de sa patte velue. Trois corps l’accompagnaient, trois hommes grièvement blessés, l’ours les souleva un par un et les déposa rudement mais sans méchanceté sur la berge. Puis reprenant sa forme humaine, Gritz prodigua les soins de première nécessité sur les moribonds. Après avoir confectionné des matelas de fortune à l’aide de branchages, il laissa les blessés sur la berge et s’assit à côté d’eux. Ces gestes étaient précis et il semblait ignorer totalement la présence du démon qui maintenait son vol à côté de lui.
Le démon avait suspendu son vol en constatant la présence fortuite de l’ours dans le torrent. Un instant intrigué, il avait rapidement compris qu’il avait affaire à un métamorphe. Comment osait-il secourir ses proies ? Cela sonnait presque comme une provocation. Sous sa forme d’ours, son adversaire ne lui arrivait pas à la tête, il y aurait très bientôt beaucoup plus de poissons à franchir ce cours d’eau. Et oui, car les démons ne sont pas dépourvus de toute fibre écologique malgré les apparences souvent trompeuses. En quoi être pourvu d’une rangée de mâchoires en batterie interdirait de lutter pour la préservation des espèces ? Fort de ses réflexions, il se propulsa brusquement sur le métamorphe paisiblement assis à la manière des ours, les jambes allongées et les bras devant lui.
Mais ils furent deux à réagir vite. Avant que sa griffe ne percute le cimmérien, une autre griffe le cogna à l’arrière du coude rejetant douloureusement son bras en arrière. Douleur. Par réflexe, il lança sa jambe tendue projetée vers la nouvelle navette spatiale qui faisait son apparition (NdT : Here, comes a new challenger ? ?). Elle ne rencontra que le vide mais un poing frappa son aile le déstabilisant. Prenant un peu de hauteur d’un battement courroucé, le démon jeta un regard à ce qui lui faisait face. Un visage plutôt joli, délicieusement embaumé et putréfié à souhait, des mains délicatement griffues encore tachées de gouttelettes de sang. Et un regard d’une exceptionnelle profondeur. Subitement dégrisé, le démon expérimentait quelque chose de nouveau : un…adversaire ? Il était jeune encore, il n’avait pas été confronté aux limites de sa puissance et ne savait pas ce qu’il devait tenter. Les siens avaient pour habitude d’étriper sans résistance et de foncer mais pour la première fois, le doute s’installa en lui. Il avait beau être insensible à la plupart des coups et imperméable à la magie, il n’était pas invincible. L’affrontement était inéluctable car la pierre ne pouvait pas lui échapper ni ses proies survivre mais le regard de cette créature le fit hésiter sur l’instant. Le soleil était encore haut dans le ciel et il restait vulnérable. A la nuit tombée, les hommes trembleraient et sa propre puissance serait à son apogée. Son regard détailla la liche, pas un de ses traits n’avait bougé. Son visage froid comme la mort ne reflétait aucun sentiment mais son attitude exprimait une inéluctable vérité : « Approche-toi, engouffre-toi à la suite de tes proies et nous nous affronterons. ». Le cimmérien lui, restait assis et si l’on en croit le brin de paille dans sa bouche, ne faisait pas montre d’une exceptionnelle nervosité. Son adversaire était prêt et lui doutait. Il était encore jeune. Avec un hurlement de dépit, le démon s’envola vers la falaise et alla se poser près de Brend.
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
J'ai lu le premier chapitre. J'ai trouvé quelques erreurs (orthographe, syntaxe, construction de phrase) mais j'ai beaucoup aimé ce début (et j'ai souri plusieurs fois (entre autres à l'invocation de la fin ! ). Je lirai bientôt la suite.
Tu es doué, y'a pas de doutes! Captivant comme récit! Mais, même si ca va être long, je te conseille de te relire (ce que je ne fais pas ) et de corriger tes fautes. J'en ai relevé quelques unes. Au niveau des temps par exemple.
Le vent faisait claquer la bannière de la horde et les attaches de la grande tente de commandement subissaient un vigoureux assaut. Tout autour, palefreniers, soldats et marchands s’activaient dans un brouhaha assourdissant. Dans l’enceinte pourtant large du camp fortifié, chaque espace vide semblait comblé l’instant suivant. Les caravanes de marchandise dessinaient des serpentins dans la foule, les cavaliers se frayaient un passage à coups de cravache et les soldats rudoyaient sans hésiter les oisifs sur leur chemin. Mages, scribes et artisans renommés marchaient avec affectation le long des murs de torchis tandis que la plèbe était contrainte à se bousculer au milieu de la place. Escorté rudement par un garde, Lugh tentait tant bien que mal de se soustraire au froid puissant qui le faisait souffrir depuis son arrivée au camp. Deux journées d’emprisonnement et d’interrogatoires lui laissaient une bien piètre opinion de ses sauveteurs. Le garde l’amena devant l’entrée de la tente de commandement et le prévint avant de le faire entrer :
« Navarone va te recevoir, tu parles quand on te le dit, pas avant. »
A l ‘intérieur le chef de horde était assis à une table couverte de plans et de paperasses éparses. Chmar et Yog, ses deux compagnons d’infortune étaient également présents. Debout en face de la longue table, ils lui adressèrent un bref signe de tête. Dans leur dos, deux guerriers en armure semblaient figés dans une granitique immobilité.
Le chef de horde se leva et fit quelques pas dans la pièce comme plongé dans ses réflexions. Puis, sortant d’un tiroir le fragment, cause de leurs déboires, Navarone prit la parole :
« Je n’irai pas par quatre chemins, les rapports de nos éclaireurs concernant ce démon à vos trousses sont préoccupants, il s’apprête à lancer toute une armée de pictes à l’assaut de notre forteresse. Votre compagnon moinillon a fourni une explication pour le moins saugrenue mais aucune solution au problème. Si bien que je me pose cette simple question, qu’avons-nous à voir la-dedans ? Nos intérêts ne sont pas en conflit avec ce démon, pourquoi livrerions-nous bataille ?»
Chmar prit la parole d’une voix tendue :
« Je tiens à vous remercier de nous avoir tirés des griffes de ce démon. Le fragment que vous détenez à présent mérite de se battre. Je sais que vous doutez de mes dires mais l’acharnement d’une créature si puissante n’est-elle pas en soi un signe de l’importance de cette pierre ? »
Yog renchérit et dit en se tapant le front de l’index :
« Je sais que les Fils d’Acheron forment une grande famille et je respecte cela. Si vous me rendez ce service, je m’en souviendrai. A l’avenir, si quelqu’un veut causer du tort à votre famille, avant qu’il vous touche, il sera déjà en train de souffrir. »
Navarone attendit un temps avant de répondre :
« Il me semble plus probable que la créature cherche à se venger d’une offense qui lui a été faite. C’est du reste la seule raison que je vois à un tel acharnement, personne ne peut contraindre un démon de cette puissance à l’obéissance pendant autant de temps. Mais deux précautions valent mieux qu’une, nous garderons le fragment et vous livrerons au démon pour éviter une sanglante alternative.»
Effrayé, Lugh répondit :
« Mais vous ne pou.. devez pas faire cela ! Le démon nous tuera mais cela ne l’apaisera pas, et nous pourrions vous aider à le vaincre. »
Sans sourire, Navarone répondit d’une voix sarcastique :
« Je dirige plus de cent guerriers d’élites et toute une colonie d’esclave, que pensez-vous pouvoir apporter comme aide ? »
D’un commun accord, les trois compagnons mirent un genou à terre.
Lugh dit : « Je mets ma ruse à votre service, les stratagèmes sont ma prédilection et je maîtrise l’art de la tromperie sous toutes ces formes. Je vous le jure.»
Chmar déclara : « Si je puis vous être d’une quelconque utilité, que les fragiles bulles de savoir qui surnagent au fonds du puits d’ignorance que je suis permettent d’éclairer votre route et celle de vos compagnons. »
Yog affirma : « Force et vaillance à votre service. Je charge sans frémir, j’ignore jusqu’à l’orthographe du mot et froid. Je parle aussi plusieurs langues mais je ne suis pas sûr que ce soit important dans le contexte. »
Navarone se dérida un temps :
« Voilà de belles déclarations mais un peu brèves. Faites -moi chacun un récit de vos prouesses. »
Lugh déclara : « Il y a des années de cela, j’étais au siège de la ville de Frygg, tant réputé pour ses troquets. Trois mois de siège et plus rien à manger depuis des jours. On en était réduit à croquer dans nos ceintures pour couper la faim et on jouait aux cartes les rats que l’on parvenait à piéger. Le gouverneur de la ville et les officiers se seraient bien rendus mais comme les pictes ne font pas de prisonniers, il avait été décidé une sortie désespérée et suicidaire pour le lendemain. Afin de vivre une dernière belle soirée, le gouverneur avait offert son dernier porc comme premier prix d’un concours de dés. Cette nouvelle me réjouit grandement car la chance et des mains habiles m’avaient toujours favorisés aux jeux de hasard. Les joutes commencèrent et nous permirent de passer une soirée plutôt agréable où chacun résigné sur son sort ne vivait plus que pour voir les dés rouler. A l’absence de surprise générale, je gagnais le concours et reçu le cochon bien gras en récompense. Je fus assez surpris des réactions autour de moi, personne ne me traita de voleur ou ne fit semblant de contester mon gain. Je crois que c’est bien ce qui me chagrina le plus, les gens étaient tellement désespérés que pas un ne me houspilla et on se contenta de me regarder avec envie. Décontenancé et pour la première fois de ma vie presque gêné d’avoir acquis malhonnêtement cette pitance, je me dis que cette charcuterie aurait un goût bien amer si je mangeais seul. Et tout un cochon ! C’était trop pour moi. J’envisageais d’inviter quelques-uns de mes amis mais lesquels et combien ? J’étais sûr de me fâcher avec ceux que je n’inviterais pas et je ne pouvais pourtant inviter toute la ville à se rassasier d’un unique cochon. Je ne parvenais pas à trouver de solution et je passais la nuit, dans les affres de l’indécision, incapable de trouver le sommeil. Peu avant l’aube une idée me vint enfin et je m’endormis paisiblement.
Aux premières lueurs, je pris alors le cochon et le conduisis sur les remparts. En m’aidant de la lance d’un garde, je piquais sauvagement dans la bête et la propulsais par-dessus la muraille aux pieds des pictes éberlués. On me traita de fou et on m ‘enleva mes armes craignant que le désespoir n’ait altéré ma raison. L’armée se mit en place pour la sortie mais au moment d’effectuer notre assaut, les éclaireurs nous informèrent que les pictes avaient déserté les lieux. Tellement furieux d’assiéger vainement des défenseurs qui avaient tant de nourriture qu’ils lançaient des cochons par-dessus la muraille, les pictes étaient rentrés chez eux démoralisés.
Voilà la première ruse qui me fit comprendre que savoir dépenser est aussi important que de savoir acquérir. »
Chmar déclara :
« Mes prouesses sont moindres, j’ai pourtant souvenir d’un conseil qui finit par avoir l’approbation des chefs de guerre. J’étais alors un scribe chargé de retranscrire les séances de conseil de guerre d’un clan modeste. La réunion était houleuse, un clan ennemi nous avait défiés en massant ses troupes à la frontière et avait dérobé or et bétail aux fermes avoisinantes. Tous les seigneurs prônaient une attaque pour venger l’affront subi. Le chef du clan me demanda alors mon avis, fait exceptionnel surtout dans le domaine militaire. Il m’était arrivé d’éclairer mon seigneur sur des tracasseries administratives mais jamais sur des problèmes de cette envergure. Je répondis, malgré l’hostilité de ses conseillers, que la paix était préférable et qu’il valait mieux lui envoyer quelques présents en signe d’amitié. A la surprise générale, le chef suivit mon conseil et ordonna qu’on leur offre un cheptel de bovins.
A peine une semaine plus tard, une nouvelle réunion eut lieu. Nos ennemis s’étaient enhardis et exigeaient un tribut en espèces sonnantes et trébuchantes sous peine d’envahir nos terres. Les seigneurs rassemblés crièrent à l’injure et proposèrent de découper le messager en rondelles. Notre chef me redemanda mon avis et j’indiquai qu’il valait mieux verser un peu d’or pour éviter le conflit.
Une semaine après, l’ennemi franchit la frontière, persuadé de s’emparer de nos terres sans coup férir. Nos présents ayant été perçus comme des aveux de faiblesse, ils venaient cueillir un fruit qu’ils croyaient mûr. Mais mûr le clan l’était. Exaspéré par ces provocations et ardent à la bataille, chaque chef de guerre avait harangué ses troupes et les menait personnellement au combat. Lorsque les armées s’affrontèrent, une troupe de pillards s’opposait à une armée résolue, que croyez-vous qu’il arriva ? L’ennemi fut décimé, le bétail et l’or repris et la frontière repoussée de plus de cent lieues.
Voilà le conflit qui me montra que la guerre se mène uniquement lorsqu’on est sûr de la vouloir.
Yog dit :
« Mon récit est tout simple, j’étais encore jeune et je vadrouillai en quête d’aventure cherchant à me faire embaucher comme mercenaire. J’arrivai dans un village qui semblait désert. Tout un coup, un vieux arriva. Il m’expliqua que nombre d’habitants avaient fui le village et les autres restaient claquemurés chez eux. Une énorme bête qui ressemblait à un chien des neuf enfers terrorisait la région et avait englouti nombre de paysans. De puissants et valeureux guerriers l’avaient pourtant défié mais aucune armure ne résistait à ses crocs et la bête broyait impitoyablement ses adversaires. Je demandai alors au vieux de m’indiquer la tanière du monstre et partit le défier. Je portai déjà la tenue de combat que vous voyez, une arme dans chaque main et aucune protection superflue, ni au torse ni à la tête comme le veut la tradition nordique. La bête était telle que me l’avait décrite l’ancêtre : une gueule gigantesque capable d’avaler un cheval, un pelage noir et luisant et une haleine puant le souffre, vraiment ce chien était hideux. Sa vue me fit un instant douter sur le bien fondé de mon plan d’attaque. Etait-il vraiment superfétatoire de se caparaçonner de plaques de métal, la sagesse résidait-elle dans la prédilection des techniques de combat offensives nonobstant les capacités protectrices élémentaires au premier rang desquelles figure une armure ? Mais il n’était plus temps de tergiverser, déjà la bête fonçait sur moi et je m’en tins à mon instinct. Je portai un coup de mon épée au monstre mais vif comme l’éclair, l’énorme chien mordit à pleines dents dans ma lame et sans se soucier des entailles sur sa gueule, me l’arracha des mains et la broya. Privilégiant l’attaque jusqu’au bout, j’enfonçais mon bras dans l’énorme mâchoire en un coup de poing rageur. La terrifiante bête fut paralysée par la surprise et la douleur, son instinct la poussait vers la folie et elle remuait dans tous les sens sans songer à refermer les dents sur mon bras. De mon bras gauche, j’abattis ma hache sur chacune de ses pattes, la bête toujours prisonnière de mon bras dans sa gueule. Lorsque je retirai enfin mon bras, il était tailladé de toutes parts et je perdais mon sang à flots, la bête tenta de me mordre mais sans ses membres ne parvint pas à m’atteindre. Dans un dernier effort, je levai ma hache et l’abattis avec force sur le crâne du monstre le fendant en deux.
Voilà le combat qui me prouva que la clé de la victoire réside dans la hardiesse sauvage et non dans les approches timorées. »
Après un temps, Yog ajouta :
« Ah et quand je retournai au village, le vieux me reprocha d’avoir tué la bête car d’après lui, elle avait le mérite d’éloigner les profiteurs. Le palimpseste de cette palinodie me courrouça, mon yang dépassa mon yin et je lui fendis la tête d’un coup de hache. Zob !»
Yog faisait face à un adversaire de plus, son bras l’élançait douloureusement. Les pictes l’entouraient et ils ne comptaient plus les corps tombés sous ses coups. Ignorant la douleur et la tache vermeille de son flanc droit, il lança sa hache dans les jambes du guerrier picte le fauchant dans son élan. Jambes brisées, celui-ci se tordait de douleur. Plein de mansuétude, Yog le délivra de sa peine. Mais le ballet sanglant continua.
Chmar fouettait son cheval avec énergie, il avait réussi à franchir le rideau de protection encerclant la forteresse et était pressé de s’en éloigner au plus vite. En contrebas, les lueurs du camp picte coloraient la nuit comme un champ parsemé d’étoiles. Il s’enfonça dans la nuit.
Attaché au pilori, Lugh commençait à ressentir atrocement la soif le torturer. Les quelques gouttes d’eau dont le garde l’avait aspergé n’avait que rendu plus cruel sa situation. Le cou enserré par une imposante poutre en bois, il ne pouvait lire l’inscription infamante suspendue au-dessus de lui. Qu’à cela ne tienne, d’aimables passants le lui indiquaient sans relâche : « Voleur, pillard, tu seras pendu ».
Dans sa tête, résonnaient encore les paroles de la liche qui avaient tout déclenché :
- Dans vos veines coule le sang des races inférieures, vous n’êtes pas des Fils d’Achéron et rien ne peut changer cela.
Consternés, les trois compères se regardèrent puis Yog réagit :
- Mais il nous faut votre aide ! Vous nous avez sortis de l’eau, sortez-nous du bain. (NdT en péruvien, ça rend mieux comme jeu de mot)
La liche répliqua de sa voix caverneuse :
- Cessez de quérir de l’aide auprès des autres. Votre survie dépend de vous, mais saurez-vous en payer le prix ?
Précautionneusement, Chmar demanda :
- Que voulez-vous dire ?
- Il est des cas où le bien ne suffit pas à détruire le mal, il faut combattre le mal par le mal. Si vous croyez vraiment qu’un démon d’Ahriman vous menace, priez Ahriman de vous en délivrer.
- Vous ne savez pas ce que vous demandez, répliqua Chmar, nous serions maudits au-delà de tout entendement.
Les yeux de la liche étincelèrent étrangement dans l’obscurité :
- Croyez-vous vraiment que je ne sache rien de la damnation ?
Le gardien du clan fixa tour à tour les trois compagnons et sortit de la cellule.
Abasourdis, ils s’adossèrent à leur paillasse moisie et plongèrent à nouveau dans la moite torpeur de la cellule. Lugh rompit le silence :
- Le gardien a dit vrai ? On peut se soumettre à Ahriman pour sauver nos vies ?
- Je répugne à envisager cette idée, on peut lui demander protection contre son démon mais au prix de nos âmes ?, Chmar secouait la tête, désabusé.
- Et on ne peut pas faire semblant ?, insista Lugh, on fait un faux serment et on le rompt après, c’est pas très grave, si ?
Chmar ne répondit pas et tous trois plongèrent dans un sommeil agité.
Au petit matin, Chmar leur indiqua son plan qu’ils exposèrent ensuite au chef de clan des Fils d’Achéron. Celui-ci conclut :
- Nous vous aiderons à franchir les lignes mais garderons Lugh et le fragment en otage.
L’immense brasier projetait une lumière rougeâtre tandis que les bûches flambaient en crépitant. Les sens olfactifs du démon captaient avec jouissance l’odeur de la chair humaine grillée. D’un geste menaçant, il signifia à ses nouveaux admirateurs de se retirer. S’approchant des flammes, le démon y pénétra sans se soucier de leurs morsures. Les cordes qui maintenaient les corps des suppliciés s’étaient consumées et la peau des moribonds avait atrocement noirci. D’un fin geste de gourmet, le démon arracha un bras carbonisé et le porta à ses lèvres. Au bruit du crépitement se mêla une mélopée plus sinistre encore lorsque les os craquèrent à l’unisson.
Brend contemplait la scène pensivement. L’appétit de son allié ne cessait de croître mais sa puissance allait de pair avec ses macabres festins. Rallier les clans pictes s’était avéré un jeu d’enfant. Ces tribus barbares ne juraient que par la force brute et le pouvoir se conquérait à coups de haches. Ou de griffes. Cette tâche avait d’ailleurs fourni un bon dérivatif à la déception du démon et avait permis à Brend de reconquérir un brin d’autorité. Ses conseils avisés jugulaient son courroux destructeur parfois un brin excessif et disproportionné. Lorsque voulant faire un exemple, il avait tenu à massacrer non seulement le chef d’un clan rebelle mais également sa troupe, les femelles de la horde et leur marmaille, il aurait dû s’en tenir là. Les torturer aux yeux de tous s’était avéré une perte de temps. Le canaliser s’avérait chaque jour de plus en plus ardu. Poussé par son instinct, il ne rêvait que de revanche. Ce jeune fou ne contrôlait pas sa puissance et semblait incapable de réfréner ses pulsions guerrières. Tous les talents de diplomates du démoniste s’étaient avérés nécessaires pour empêcher la bête de se lancer à l’assaut de la forteresse au premier crépuscule. Adoré par les clans pictes tel un dieu, il en finirait par oublier son véritable maître. Il fallait à Brend un moyen de contrôler son fantastique mais fantasque mignon. Mais plus que tout, il brûlait de récupérer le fragment. Vite. Avant que son maître ne le convoque.
Un toussotement derrière lui, le tira de ses réflexions. Un des chefs pictes attendait précautionneusement l’autorisation de parler. Il s’efforçait de ne pas regarder en direction du brasier où le démon attaquait le dessert. Brend détestait dialoguer avec les pictes. Surtout le soir quand il était fatigué.
- Et bien qu’il y a-t-il ?
- Oué, ben c’est à dire qu’y a nos petits gars furtifs qui sont comme qui dirait rentrés quoi. Et me disais que peut-être bien que ça vous intéresserait.
- Accouche, minable.
- Voué. Y a les grouillots d’en face qui veulent faire un truc genre festif avec bourreau. Un chti écartèlement de l’autre escogriffe qui se dénomme Lugh. Paraîtrait que le corniaud l’aurait agressé une caravane achéronne. C’était dans le temps mais sont revanchards les bougres, voué.
- Ah ah, elle est bien bonne. Ils nous mâchent le travail. Et qu’en est-il du fragment ?
- Les gars l’ont vu tout un tas de cailloux mais ont point pu dénicher cte rareté. L’a peut-être été ramassé par les saletés d’acheronites, ça serait bien le style de vautour.
- Hum, peut-être ? Tâchez de vous en assurer. Une information incomplète est inutile.
- Voué. Heu, ptet bin que je peux vaquer plus loin ?
L’arrivée du démon n’était peut-être pas pour rien dans cette dernière déclaration. Les plis de sa bouche écumants de sang étaient tordus en un masque de fureur.
- Quoi ? C’est lequel des pourceaux qu’ils vont mettre à mort ? le lancier ? Je ne le permettrai pas, son âme m’appartient, je veux la dévorer.
Le démon fouettait l’air de sa queue et ses ailes se déployaient renforçant sa stature.
- Du calme, tempéra Brend, désarçonné par cette réaction soudaine. Tu pourras boulotter ces restes après l’assaut.
- Non, je le veux vivant, les humains ne connaissent rien à la torture. Cette tâche m’est dévolue ! Lançons l’assaut tout de suite. Je brûle de me venger.
- Ne me force pas à te contraindre !, menaça Brend.
Le démon se figea à ces mots et suspendit son vol. Sans un regard pour le démoniste, le démon s’engouffra dans la nuit en bougonnant que c’était pas juste. Brend répugnait d’en être réduit à menacer son propre familier. Contraindre le démon en utilisant son nom secret était dangereux. Mais cela lui donnait tout pouvoir sur le monstre… en théorie.
A ses côtés, le guerrier picte continuait de s’agiter.
- Et bien, disparais à ton tour, et reviens avec des renseignements plus précis si tu tiens à ta tête !
- C’t à dire que j’avais point fini de dialoguer.
Brend leva les yeux au ciel.
- Accouche, dugland.
- Voué. Y a un drôle de type point commode qui dit qu’il vous connaît. Il viendrait de la part d’un certain ami Rhan ou ami Ran. L’ai point facile de lui causer, l’a un accent comme un démon, sauf vot’ respect. Mais j’avais point encore jamais entendu ce nom là pour sûr.
Le démoniste déglutit puis contrôla sa respiration.
- Conduis-moi jusqu’à lui
Brend s’engouffra dans la tente et aperçut l’homme assis sirotant un verre de vin. Il était revêtu d’une cape sombre et d’une cagoule qui lui masquait le visage. A son arrivée, il tendit vers lui une main gantée ornée d’un rubis rouge.
- Le maître ne vous salue pas. Il m’envoie voir ce qui vous retarde.
- Qui êtes vous ?
- Je suis assez connu sous le nom d’Ishamael. Mais cela importe peu, sachez seulement que je suis l’envoyé d’Ahriman.
Méfiant, Brend prit un temps de réflexion. La synarchie des séides d’Ahriman était chaotique et violente tout comme leur maître. Les limites du pouvoir étaient floues et Ahriman encourageait lui-même les transgressions comme le prouvait la récente accession de Brend à plus de puissance. Pourtant, ce nom était parvenu jusqu’à lui, les rumeurs parlant d’un mage aux pouvoirs fantastiques qui oeuvrait depuis longtemps pour leur maître. Brend marqua un temps, hésitant à appeler le démon pour déployer son talent mais craignant une démonstration trop définitive. Le dénommé Ishamael reprit négligemment :
- Oh, pour vous convaincre de l’identité de mon maître, rien de tel qu’une petite démonstration, n’est-ce pas ?
D’un geste délibérément lent, il se leva et s’approcha d’un chef picte :
- Allez me chercher votre champion
- Voué, mon gars.
Le chef donna ses ordres et Ishamael expliqua à l’adresse de Brend :
- Cela fait partie des us et coutumes pictes, un champion représente le guerrier le plus habile du contingent. Evidemment, les chefs sont plus forts mais je ne vais tout de même pas décapiter nos alliés, n’est-ce pas ?
C’était prononcé avec un brin de folie dans la voix comme si l’idée lui paraissait au contraire très séduisante. Brend s’en tint à un silence poli curieux de la suite. Le chef revint rapidement, l’immense guerrier qui l’accompagnait portant la traditionnelle coiffe picte. Son impressionnante hache était déjà maculée de sang. Le chef le présenta sous le nom de Patave, le brave.
Ishamael se redressa et tonna :
- Voué, cé le jour de régler nos comptes, pardi. Point d’entourloupes, faut que te casse le crâne.
Avec un geste d’excuse, il ajouta pour Brend :
- Ce sont les paroles rituelles de défi chez les pictes.
Le champion picte se mit à sautiller en rond autour du mage qui l’avait défié. Il ponctuait chacun de ses soubresauts par un hululement guerrier. Puis d’une voix stridente prononça la réponse picte :
- Ah voué ? Viens-t-en s’y voir, mon gars. Patati, patata, y a pas de lézard, y a pas de cafard, t’es un bâtard !
Après cet échange, les deux adversaires se firent face tandis que le chef délimitait d’une corde tressée un cercle autour d’eux. Brend haussa les sourcils intéressé, Ishamael ne paraissait guère inquiet Pourtant le cercle semblait trop restreint pour lui permettre d’articuler plus qu’une incantation mineure avant que l’immense hache du picte ne s’abatte.
Mais tout se déroula très vite. A peine le signal donné, le picte souleva l’immense hache tandis que le mage pointa un doigt dans sa direction. D’une voix impérieuse, le mage commanda :
- Meurs !
Le silence qui suivit fut rompu brutalement par le choc assourdissant de la hache percutant le sol. Le picte, les yeux révulsés s’écroula au pied d’Ishamael. Sans plus y prêter d’attention, le mage se tourna vers Brend et lui dit :
- Convoquez votre démon, nous devons mener l’assaut
- Pourquoi se précipiter ? Nos troupes peuvent doubler en quelques jours, le temps de mater les clans rebelles. Les achéronites sont pris au piège dans leur forteresse, le temps joue pour nous.
- Non, ne sous-estimez pas l’adversaire. Ne leur laissons pas le temps de s’enfuir avec le fragment ou d’appeler des secours.
- Aucun secours ne pourra venir à temps et mon démon me préviendra si le fragment s’éloigne, il peut le sentir.
La voix du démon se fit brusquement entendre :
- Il est toujours dans la forteresse. Mais le lancier y est aussi. Et la liche. Je les veux mort. Et c’est moi qui doit les dévorer.
Le démon apparut dans la tente de commandement, déchirant le dôme de tissu de ses cornes.
- Nous en avons déjà discuté, répliqua Brend, l’heure n’est pas encore venue.
- Vous insultez notre maître en vous montrant si pusillanime, répondit Ishamael glacial. Mes pouvoirs valent mille armées et votre démon une centaine, de quoi aurions-nous peur ?
Brend hésita puis finit par se rendre à la raison. La forteresse achérone était condamnée devant leur puissance conjuguée.
Du haut de la muraille, la liche vit l’immense armée qui s’apprêtait à prendre d’assaut la colline. Le sang coulerait sur ses flancs avant que le soir ne tombe. Les tambours de guerre entamèrent leur mélopée tandis que s’affairaient les servants des catapultes. Tous les soldats étaient rassemblés et écoutaient les dernières consignes des chefs de la horde. Les derniers moments de calme sont les plus précieux. La liche savoura cet instant comme un amant au pied de l’escalier. Puis, les balanciers des engins de destruction se mirent en branle et en réponse, l’armée ennemie chargea dans une immense clameur.
Le démon les galvanisait en volant au-dessus des premières lignes. Sa soif de sang le faisait vibrer et il exultait de la puissance sauvage qu’il pouvait enfin libérer. L’insupportable bride de son maître s’était détendue et il allait pouvoir assouvir sa vengeance. Autour de lui, les premiers morts jonchaient le sol. Les immenses blocs de pierre laminaient les rangs et la grande faucheuse moissonnait abondamment. Parvenus au pied des murailles, les béliers et tours de siège entrèrent en action mais le démon n’allait pas attendre. Ses doigts griffus percutèrent la pierre de la muraille y creusant de profondes stries. Puis s’élevant d’un puissant coup d’aile, il prit pied sur le chemin de ronde. Le groupe d’arbalétriers recula devant sa présence. Tout se déroulait pour le mieux.
En retrait des troupes d’assaut, Brend marchait nerveusement au côté de son nouvel allié. Le pas tranquille du mage participait à son irritation. Les fantastiques pouvoirs du démon lui semblaient bien dérisoires en comparaison de la maîtrise dont Ishamael faisait preuve.
- Tout se déroule pour le mieux, nous allons remporter une belle victoire, fit nonchalamment Brend.
- Je ne crois pas, répondit le mage d’un ton tranquille.
- Que voulez-vous dire ? interrogea nerveusement le démoniste.
Avec un mouvement brusque, son vis-à-vis se tourna vers lui et rabaissa la capuche qui protégeait ses traits :
- Toi ! Non, c’est impossible. Tu cherches la mort ?
L’homme qui lui faisait face n’était autre que Chmar, son ennemi juré. Comme avait-il pu le duper ?
- La partie est perdue, Brend.
Brend se garda de répondre, bien que désarçonné, il n’allait pas laisser à son adversaire le temps de répliquer. D’une voix forte, il cria :
- Gietchet ! Par ton nom, je te l’ordonne, viens à moi.
La conjuration fit trembler l’air autour, les deux silhouettes ennemies se recroquevillèrent sur eux-même tandis qu’un vortex sombre se formait autour d’eux aspirant l’air. La tornade se coagula et la silhouette du démon apparut aux pieds de son maître. Le visage tordu en un masque de colère, ses griffes tenaient un bras arraché empoignant encore une arbalète.
- Que fais-tu ? Imbécile, pourquoi me convoquer ?
Sans se soucier des états d’âme de son familier, Brend répliqua :
- Gietchet. Détruis-le ! Anéantis Chmar pour moi.
Le démon se redressa de toute sa taille en proie à la colère mais s’arrêta en fixant sa cible des yeux. Puis, il éclata d’un rire mauvais. S’approchant du démoniste, il lui susurra à l’oreille :
- Mauvaise pioche, je ne peux rien contre lui, à présent. Il a vendu son âme à Ahriman pour obtenir sa protection contre moi.
- Bon, admettons que je n’ai rien dit., fit Brend, mis mal à l’aise par les manières du démon.
- Ah pardon, mon bon maître, répondit le démon singeant l’obséquiosité, vous avez utilisé mon nom pour me donner un ordre impossible à réaliser.
Se redressant brusquement, la bête arracha l’oreille du démoniste d’un coup de dent.
- Je la garde en souvenir, tu aurais du m’écouter ! Je suis libre à présent !
Se tournant vers Chmar, il ajouta :
- A bientôt en enfer
Puis, il disparut, se retirant dans les abysses pour y jouir d’un bien inhabituel chez les démons : la liberté.
Chmar s’approcha du démoniste qui contenait sa douleur à grande peine. Les mains sur les lambeaux de son oreille déchirée, Brend avait les yeux hébétés et balbutiait :
- Tu as vendu ton âme, tu es fou, tu es fou.
- Ton démon t’a dit une partie de la vérité, j’ai fait un pacte avec Ahriman mais mon âme est encore en suspens.
- Je ne comprends pas.
- On ne peut être damné auprès d’Ahriman sans avoir jamais retiré la vie.
- Mais tes nouveaux pouvoirs ? Ton mot de mort ?
- Je n’ai pas acquis de pouvoir auprès de lui. Regardes.
Incrédule, Brend suivit des yeux le doigt du prêtre et vit une silhouette massive s’approcher d’eux. Le champion picte que Chmar avait exécuté marchait lentement. Arrivé à leur hauteur, il retira sa perruque et une fausse moustache et le visage grognon de Yog apparut.
- Beurk, les potions de Lugh sont vraiment affreuses. Simuler la mort, je veux bien mais la langue pendante comme un chien de chasse, c’est répugnant.
Brend interrompit cette diatribe et vitupéra :
- C’est impossible, tu n’as pas pu tromper Ahriman, il viendra te réclamer.
- Je sais, il viendra le jour même où j’ôterai la vie d’un être humain. Si je sers la destruction, mon âme lui appartiendra pour toujours. Mais en attendant, ton plan a échoué. Les débris de l’armée picte sont en déroute et ton démon est retourné dans les abysses.
Brend commença à reculer en gémissant, puis il s’enfuit à toutes jambes vers l’enclos des chevaux.
Ni le prêtre ni le barbare ne firent le moindre geste pour l’arrêter.
- Allons délivrer Lugh, nos amis ont beau avoir un immense respect pour le temps, ne nous mettons pas en retard.
Le navire s’approchait des côtes à vive allure. Les contrebandiers se savaient en danger dans le chenal réduit qui bordait l’île. Le vent capricieux pouvait brusquement tomber immobilisant l’embarcation et la réduisant à merci des soldats. A son bord, Rackam, le sanguinaire, faisait les cent pas. Aucun feu de camp ne s’élevait de la falaise et il craignait que les pictes n’aient tout simplement déserté les lieux. Pourtant, ces coffres étaient plein d’armes et de victuailles à leur intention. Commercer avec ces sauvages était compliqué mais quelle rentabilité ! Surtout lorsque comme Rackam, on comprenait que pas l’un d’eux ne savait compter.
Il avait arraisonné une étrange chaloupe ce matin. Les trois gaillards n’avaient guère le pied marin et leur tentative de passer pour des pêcheurs du cru a été vite déjouée. C’est surtout le cimmérien qui pêchait la sardine à coups de hache qui leur a mis la puce à l’oreille. Une maigre prise mais faute de Tuyengh, on mange des Hgrtolik comme le dit si bien le proverbe Sdanesk. Et puis, trois esclaves assez vigoureux, certains avec des dents à peu près saines, c’est toujours cela de pris.
Ses yeux d’aigle repérèrent un mouvement sur l’eau, comme si une silhouette agitait les bras. Il crut d’abord à un mirage car si loin des côtes, cela tenait du prodige. Le pirate arraisonna bien vite sa proie et y découvrit un étrange bonhomme. Il paraissait frigorifié et une lueur démente couvait dans ses yeux. Probablement, le pauvre bougre avait dû passer plusieurs heures dans l’eau après avoir chaviré. Depuis le bastingage, Rackam lui lança :
- En voilà, un veinard !
Brend tombait depuis des lustres. Il s’était enfui à cheval du camp picte et s’était éloigné du lieu de sa déroute le plus vite possible. Sa fuite n’avait pas de sens, pas de but. Il savait devoir rendre compte à Ahriman. Lorsque s’approchant de la mer, il avait vu un tourbillon à quelques brasses du rivage, il avait compris l’appel. Etrangement, le vortex ne troublait la surface de l’eau que sur quelques pieds et en son centre, au lieu de l’habituelle bouche sombre, une pulsation rougeâtre illuminait les flots. Brend était descendu de sa monture et résigné s’était laissé aspirer. Jusqu’aux tréfonds des abysses. Et il tombait toujours. Sa conscience partit en lambeaux laissant des traînées éparses remonter le cours des flots.
Il passa au milieu d’un banc de poisson mais Ahriman n’était pas là et il continua sa chute. Il traversa un lit de coraux mais le Dieu Sombre n’y résidait pas et Brend poursuivit sa descente. Il toucha un sol sablonneux mêlé de boues et d’algues mais le Destructeur n’y vivait pas non plus. Le sol se déroba et l’attira en un autre lieu.
Entourée d’un halo rougeoyant, une jolie sirène pataugeait joyeusement. Elle s’extasiait devant un tas d’algues, fouettant de sa queue les ondulantes ramifications. Puis, Brend surprit un éclat sur le visage de la sirène. Un pur masque de sadisme et de violence. La scène changea et le démoniste comprit que la sirène ne gambadait pas parmi des végétaux mais sur un noir corps démembré. Elle torturait méthodiquement son ancien démon, le fouaillant de sa queue. Sa vue se brouilla et il ressentit l’appel du sang. Sans bien comprendre ce qui lui arrivait, Brend s’approcha de la scène et prit part aux tourments. Puis, il croqua dans les lambeaux de chair, son corps humain peu à peu purifié par un sang nouveau. Une puissance nouvelle irrigua tout son être, ses pensées s’éclaircirent et la peur qui lui nouait les entrailles disparut. Repu par son démoniaque festin, Brend se tint à genoux aux côtés de la petite sirène qui lui tapota affectueusement la tête.
- Voilà, voilà, mon tout beau, mon héraut.
Une ombre noire passa sur eux. Brend releva la tête, il distinguait la surface et la forme reconnaissable d’un navire.
D’un sifflement impérieux, Ahriman lui indiqua sa proie et Brend remonta, reprenant son apparence d’humanité. Ses nouveaux pouvoirs s’évanouissaient et il se sentit faible, abandonné. Suffoquant, il creva la surface.
- En voilà, un veinard !
La journée était plutôt fructueuse finalement. Sans ces nuages noirs à l’horizon, Rackham aurait siffloté un air de gigue connu en tapant la mesure de son moignon botté. Mais il sentait un souffle impérieux et son instinct lui criait qu’une tempête allait bientôt éclater. Une tempête dont les secousses se répercuteraient sur tout Hyboria. A pleines voix, il harangua son équipage :
- Cap sur Tortage ! Nous n’avons que trop perdu de temps. Aucun retard ne sera toléré ! (*)
* Ce message subliminal d’une grande finesse est offert généreusement par l’auteur à toute l’équipe de développement du jeu Age Of Conan.
Bon, toujours deux-trois fautes, mais je ne peux t'en blâmer. Juste, si tu pouvais corriger "Je charge sans frémir, j’ignore jusqu’à l’orthographe du mot et froid." Lui peut être mais pas nous, et ca aggresse quelque peu le regard. Effroi. Et "Tout un coup, un vieux arriva." Tout d'un coup où Tout à coup. Le rèste des fautes, je préfère te laisser les découvrire par toi même, ce sont sûrement pour la plupart des fautes d'inattention.
Oui, j'avais compris, mais bon... Enfin, fais comme tu veux. C'est ton texte, je disais juste ça parce que au début, pendant quelques secondes, j'ai pas compris ce que tu voulais dire ^^ Sinon c'est toujours aussi bien! bon courage pour la suite!