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Mon grand père m'a raconté cette histoire lorsque j'avais ton âge, pas plus, et pourtant je m'en souviens encore comme si c'était hier.
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Cette histoire remonte à il y a très très longtemps, et s'est déroulée sur la plus grande nos îles. Dans l'une des forêts vivait une meute de grands loups gris : si grand qu'un homme fou ou très courageux aurait pu tenter de les monter comme des chevaux. Oui, ils étaient grands, enfin sauf un.
C'était une femelle du nom de Sune. Elle était née avec la couleur du feu et non celle des nuages : sa mère n'eut elle été la femelle dominante, la meute l'aurait abandonnée. Avec les années, elle grandit, mais pas autant que ses frères et sœurs de portée. Elle n'avait pas non plus leur force, si bien qu'une fois sevrée, elle ne pouvait aider la meute à tuer les cerfs et sangliers dont tous se nourrissaient. Reléguée au rang de paria, Sune fut mise à l'écart à défaut d'être rejetée.
Un jour alors que Sune cherchait une carcasse abandonnée, un chat tout noir courut vers elle et lui dit dans la langue commune aux animaux :
"Pitié gentil chien : aide moi à me cacher !
_ Qui donc t'effraie à ce point ?
_ Un pêcheur d'un village : il me cherche querelle pour un poisson chapardé alors que j'avais si faim.
_ J'aimerais t'aider, félin, mais je ne suis pas grande : si tu venais entre mes pattes, on te verrait encore.
_ Alors je sais : je vais me cacher dans ton corps !"
Et d'un bond, le félin plongea dans le corps de la petite louve abasourdie. Alors qu'un homme s'approchait en courant, Sune entendit une petite voix dans son esprit : "Surtout n'ouvre pas les yeux : ils sont le reflet de l'âme et s'il les voyait, l'homme saurait que je suis là".
Ainsi Sune la louve rousse resta t-elle assise les yeux fermés et la queue autour des pattes. Le pêcheur furieux la regarda mais ne s'arrêta point. Lorsque la menace fut éloignée, le chat poussa un soupir de soulagement avec la gueule de son hôte.
Un bruit de pattes attira alors son attention et c'était cette fois un loup qui venait vers elle : c'était Kami, le chef de la meute et père de Sune, qui l'invectivait :
"Sune, bonne à rien, où étais tu ? Et pourquoi as tu les pattes toutes noires ?"
Sous la surprise, la femelle et le chat ne purent que bredouiller, les yeux toujours fermés : "Je... je m'entrainais à chasser le porcelet. Et je suis tombée dans la boue.
_ Ah, toujours aussi pathétique ! Mais pourquoi gardes tu les yeux fermés ? Soumet toi et regarde moi !"
Apeurée, Sune ouvrit les yeux et regarda son géniteur, lequel ne vit pas les pupilles rondes d'un canidé, mais celles fendues d'un félin. Kami poussa un long hurlement avant de dire à la petite boule de fourrure rousse tremblante : "Hors de ma vue, créature maudite ! Alors que toute ma meute parlait de t'exclure, j'ai parlé en ta faveur. On m'a défié et j'ai vaincu, mais tu me montres à présent ton véritable aspect. Arrière, démon ! Et ne pose plus la patte sur mon territoire !"
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La lune était haute lorsque Sune s'arrêta finalement de courir, la terreur cédant place à l'épuisement.
"Je suis désolé, lui dit le chat qui était toujours en elle, tu m'as aidé mais par ma faute, tu as été chassée.
_ Tu n'y es pour rien, félin. Même sans toi, je suis trop petite pour la meute. Je suis incapable d'aider à chasser et on m'aurait rejeté un jour ou l'autre.
_ Et bien moi, je ne veux pas t'abandonner ! Je veux rester avec toi, en toi, si tu le veux bien.
_ Ta compagnie ne me dérangerait pas, mais il n'en demeure pas moins que je vais mourir de faim, et toi aussi si tu restes dans mon corps. Je ne sais pas me nourrir seule.
_ Tu es trop petite pour chasser comme un loup, mais pas trop grande pour chasser comme un chat : je t'apprendrais ! Tu n'as pas mes griffes mais on trouvera un moyen.
_ Le penses-tu vraiment ? Et si on me demande ce que je suis, que dirais je ?
_ Nous dirons que nous ne savons pas. Au fait, je m'appelle Kite."
Se contentant d'abord de champignons et de proies faciles à attraper comme des escargots, Sune s’entraina petit à petit à utiliser les techniques des félins : l'approche silencieuse et le bond sur la proie. Son odorat canin complétait à merveille sa vue féline qui lui permettait de chercher sa nourriture la nuit.
Le loup et le chat voyagèrent un long moment, de peur de croiser une meute dont Sune avait la connaissance. Kami était un chef connu et craint : selon Sune, il ne faisait aucun doute que si elle était reconnue, elle serait tuée.
Durant cette période, le félin et le canidé apprirent à mieux se connaitre et s'apprécier : les préjugés raciaux de l'un envers l'autre s'évanouirent et une forme d'harmonie se créa entre les deux esprits. Sune finit par apprécier ses pattes et ses oreilles noires tandis que Kite accepta progressivement le cri strident qui remplaçait à présent son distingué miaulement.
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La saison chaude commençait lorsque Sune atteignit les abords d'une rizière. Les cultures s'étendaient dans toutes les directions mais une seule habitation se trouvait au centre.
"Voici l'endroit rêvé pour nous, dit Kite : on va pouvoir se reposer les pattes au lieu de courir.
_ Pourquoi donc, se demanda Sune ?
_ Vois tu ça là bas ? C'est la maison d'un humain. Les loups ne s'en approchent pas car les humains les repoussent.
_ Alors je ne peux pas y aller.
_ Si parce que tu es petite et tu ne te feras pas voir. Et parce qu'il doit y avoir des rongeurs : ils adorent le riz et toi tu es devenue une excellente chasseuse."
Prudente, la petite créature rousse attendit la nuit, puis laissa son flair la guider : souris et mulots semblaient en nombre. Arrivée derrière l'habitation, Sune s’aplatit au sol et rampa à travers le trou d'une paroi. L'affamée débouchât dans une réserve où s'entassaient les sacs de riz : le sol lui même était blanchi par la farine.
Dehors, une chouette se fit entendre, mais à l'intérieur, Sune et Kite tendaient l'oreille : des respirations très discrètes et quelques bruits de pattes confirmèrent la présence de proies. Le chaos débutât quelques instants plus tard : sacs et fourrure volèrent en tous sens, six rongeurs rapidement trépassèrent.
L'assaut avait fait du bruit, un vacarme même, et avait provoqué la venue de l'unique occupante de la maisonnée. Dans la confusion, l'animal roux ne parvint à ressortir, et se laissa prendre docilement par le propriétaire des lieux.
"Qui es tu ?" demanda t'elle en langue animale en regardant Sune au ventre et à la pointe de la queue blancs de farine. "Je n'ai jamais vu personne comme toi."
Bredouillant, l'autre répondit : "Je suis Kite... Sune!"
"Hé bien... Kitsune : tu sembles avoir des secrets mais moi aussi. Tu as semé la pagaille mais attrapé plusieurs de ces maudits mangeurs de récoltes : que dirais tu de rester avec moi ? Les hommes viennent occasionnellement me voir mais je n'ai pas beaucoup de compagnie : tu pourrais venir chasser mes souris de temps à autre."
Kite, Sune ... Kitsune... Oui ca sonnait bien et l'animal aimait le son : il lui semblait juste. L'animal inclina la tête de reconnaissance pour le cadeau de nom qui lui avait été fait, et promis de revenir.
Les jours passèrent et la fine couche de farine ne partit pas, laissant le ventre et la pointe de la queue de Kitsune blancs comme la neige. Cela ne la dérangeait nullement : elle n'avait plus à craindre les loups car personne ne pourrait reconnaitre en elle la petite paria. Elle finit même par trouver un compagnon et donna naissance à trois petits identiques à elle.
Pendant ce temps, les rongeurs se firent plus rares à force de crocs, et les hommes vinrent à la petite maison de plus en plus nombreux. Ils semblaient aussi charmés par la maîtresse des lieux que par l'animal qu'elle avait prise sous sa protection.
Un jour, Kitsune finit par entendre le nom de son hôte et bienfaitrice : elle se faisait appeler Inari.