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Joute informelle n°1
(Sujet créé par Owyn l 11/10/10 à 18:27)
Et voici enfin les textes de cette première joute informelle ! Enjoy your reading, comme disent les Anglais (je crois), et éventuellement, votez pour les textes que vous avez préféré. Vous avez jusqu'au... euh... bah le temps qu'il vous faudra, mais traînez pas trop quand même !
Aelfinn de la PierreModo - Jury des Joutes - Conseil RPRelecteur
(Sans titre) de Bébel.
Sur l’île d’Aqhar, un brouillard s’était formé.
Wat arrêta son cheval sur la plage, au bord extrême de l’eau, et mit pied à terre.
Gêné par son armure souillée, le vieux chevalier s’avança de quelques mètres dans l’eau foncée, comme envoûté par l’étrange radeau qui flottait, malhabile, au milieu des vagues finissantes.
Le grossier assemblage de rondins avait attiré son regard lorsque, parvenu au sommet des dunes, il avait rejoint la côte. De loin, il était impossible de distinguer la présence d’un rescapé, tant la lumière cendreuse était faible. Les incendies n’avaient pas seulement brûlé campagnes et villages, ils s’étaient approprié tout l’espace d’Aqhar.
Wat ramena le radeau sur la plage, où son cheval recouvert de cendres semblait fossilisé. Le bois était recouvert d’une graisse noirâtre du plus mauvais présage. Aucune vie entre les interstices. Simplement les taches immondes de corps calcinés qui avaient dû glisser au fond de l’eau.
Wat, remonté en selle, reprit sa route vers le sud, là où, si loin, subsistait un dernier coin de ciel bleu.
Stih s’était assis sur une vieille souche. Lui, le colosse à la barbe noire, l’orgueil de sa compagnie, avait perdu un bras durant l’inégal combat. Il s’était assis sur une souche et contemplait tristement la plaie vive qui, sous peu, aurait raison de lui. Il pensa à Wat, son père, disparu au cours des événements de la nuit. Wat, le valeureux combattant, le maître d’armes respecté, qui était parti dans la fumée, l’épée levée, et qu’on n’avait pas revu. La désolation s’était abattue sur Stih et les autres soldats, et les avait dispersés. Entouré des trois survivants qui lui prodiguaient les soins les plus attentifs, Stih s’était assis sur une vieille souche et il pleurait.
Cario n’était pas le plus valeureux des hommes de la compagnie, ni le plus fort. Tout juste lui accordait-on quelque malice. Le rusé Cario avait une fois de plus réussi à s’en sortir. Refaisant le bandage de Stih, son commandant, qui sanglotait sans pudeur devant ses hommes, il repensait aux dernières heures, si effroyables, si incompréhensibles. Le phénomène était apparu en fin de journée, alors qu’il finissait de nettoyer son attirail. Aussitôt, les hommes d’armes avaient été appelés pour prêter main-forte aux paysans qui avaient cherché assistance au château.
Cario faisait partie de l’escouade qui s’était fait anéantir par un ennemi bien trop puissant. En quelques instants, l’horreur des membres sanguinolents, et ce feu qui tombait avec une précision paralysante. Stih, le valeureux, qui hurlait le repli, et le trait de feu qui lui arrachait le bras. Wat avait bondi, le corps en grâce. Il avait tiré en arrière l’énorme masse de son fils et s’en était parti vers la fumée, l’épée vers le ciel.
Stih avait hurlé, et Cario, qui avait compris le geste du maître d’armes, avait retenu le colosse effondré. Les hommes s’étaient repliés dans la forêt. Cernés par le feu, ils s’étaient enfuis en traversant les flammes. Cario s’était cru mort, mais il était encore là, intact.
Maria ne reverrait plus la lumière du jour. Elle avait été surprise au tout début de l’attaque, loin, si loin de Cario, son homme. Dans un dernier sursaut d’espoir, elle s’était offerte en protection au corps de son petit, son bébé, le jeune Cario, ce nourrisson qui, privé de lait, hurlait à présent au milieu des cendres du village, dans les bras inertes de sa mère.
Le roi Gronig s’était tassé dans son fauteuil. L’un après l’autre, ses généraux aux uniformes d’un flamboiement tout dérisoire lui apportaient les nouvelles les plus sombres.
- L’île est tout entière recouverte par les cendres.
- Madaga est brûlée.
- Nos dragons sont ...
- Cessez ! hurla le roi, qui s’était brusquement redressé. A quoi bon nous abrutir de ces nouvelles ? Plus rien ne pourra être sauvé.
- Sire … osa son conseiller.
- Que veux-tu, Feuhn ? Que vas-tu m’apprendre encore ?
- L’île est vaste. Nous avons encore le temps de nous réorganiser. Ils ne sont pas si …
- Tu es fou, Feuhn ! Tu es trop vieux ! Ils sont plus rapides que nos dragons ! Pour eux notre île n’est qu’un rocher ! Ils vont venir ici-même et nous mourrons.
Feuhn, plein de douleur muette, se plia en deux.
Les généraux à ses côtés n’osaient bouger.
- La seule chose à faire …
Mais le roi ne savait pas comment finir sa phrase. Il se dirigea vers la fenêtre, médita un instant sur le nuage gris qui venait sur eux.
Alors Gronig, Majesté Superbe de cette île, se retourna vers ses généraux qui attendaient. Il redressa Feuhn et son visage crispé de désespoir.
- Il n’y a plus de roi, souffla-t-il. J’abdique. Voici mon dernier ordre : fuyez, fuyez avec vos gens, restez en vie si vous le pouvez, et rappelez-vous de moi comme d’un souverain qui aura saigné chaque goutte de sang des habitants de son royaume.
Un silence glacial descendit sur la pièce où les premiers atomes de fumée, venant du nord, s’étaient immiscés.
Wat avait faim. Il n’avait rien mangé depuis le combat, et sa fuite l’avait épuisé. Il songeait à Stih et à ses hommes. Il pensait à son fils, espérait de tout cœur que, quelque part, il était encore en vie.
Cario pensait à Maria. Il pensait au petit Cario. Les imaginer morts le rendait fou.
Gronig avait pris son cheval. Feuhn, seul, l’accompagnait. Feuhn, le fidèle parmi les fidèles. Dans la salle du trône, Gronig avait sorti son sceptre écarlate et menacé de mort quiconque aurait tenté de le suivre. Mais Feuhn s’était avancé. « Mon roi, s’il faut vous abandonner, alors tuez-moi. » Et Gronig ne l’avait pas tué. A présent tous deux s’en allaient vers l’île voisine de Frooj. Les Froojiens, aujourd’hui, ne pourraient plus être leurs ennemis. Face à la destruction venue du ciel, tous, habitants de cette terre, n’avaient d’autre choix que de s’unir.
Cario referma les yeux de Maria. Inexplicablement, son beau visage était resté serein dans la mort. Le jeune soldat tenait son fils dans ses bras. La peur qui le compressait depuis quelques heures avait disparu. Il avait son fils dans les bras. Sa femme avait offert sa vie pour sauver l’enfant. Elle reposait à présent sous un arbre du village, le seul à n’avoir pas brûlé. Cario allait rejoindre les hommes qui l’attendaient. Il aurait l’enfant. Il leur expliquerait que pour lui, pour tous les petits survivants, il ne fallait pas abandonner la lutte. Il avait vu la carcasse du dragon de métal que Wat avait pourfendu. Il n’avait pas vu le corps de Wat.
Pour tromper la faim, Wat repensait à la bataille. Il avait senti que son épée coupait quelque chose. Il avait cru percevoir une faiblesse dans les mouvements du dragon de métal. Peut-être la bête avait-elle fini par mourir.
Stih délirait. Sa plaie qui le dévorait. Il revoyait le soleil. Les masses sombres qui l’avaient masqué, et ces dragons de métal qui étaient sortis du ciel, comme s’ils venaient des étoiles pour détruire les habitants d’Aqhar. Stih aimait les étoiles pourtant, avant. Hier.
Il se sentit secoué. C’était Hutt, son premier lieutenant, qui dans le brouillard lui annonçait le retour de Cario. Pas de Wat, mais un dragon à terre. Etait-ce son délire ? Cario semblait prendre le commandement. La conscience de Stih s’évanouit.
Feuhn et Gronig progressaient lentement dans la fumée, les sens en alerte. Un cri les arrêta. Le cri d’un nouveau-né. Soudain, émergeant de la brume, quatre hommes apparurent. Le plus grand, barbu, tenait un bébé dans le seul bras qui lui restait.
Aelfinn de la PierreModo - Jury des Joutes - Conseil RPRelecteur
JULION L’ERMITE d'Hybrid.
Cela faisait bien longtemps que Julion l’Ermite avait creusé son trou. Logeant sous terre comme un rongeur traqué par les rapaces qui survolaient la zone, le vieux bonhomme avait constitué, au fil des années, un véritable loft souterrain au beau milieu d’une épaisse forêt fort peu fréquentée. A l’abri du monde, il se nourrissait du fruit de sa pêche et de sa chasse.
En dehors des affaires du monde, le vieillard vivait reclus, et estimait avoir été oublié depuis une génération au moins.
Du moins, le croyait-il ; du moins, l’espérait-il.
Loin d’imaginer ce à quoi il venait d’échapper, il sortit ce matin-là hors de sa tanière et respira l’air frais et humide du sous-bois. Le jour se levait à peine, mais déjà il sentait une différence. Le pépiement des oiseaux, les bruits des cervidés et des lièvres qui s’évanouissaient dans la forêt à son approche… ce matin, rien. Il était seul avec lui-même.
— Soit, se dit-il en étirant longuement ses vieux muscles endoloris.
D’un pas rendu difficile par les rhumatismes, il erra longtemps sous le ciel de feuilles et d’épines, huma cette odeur si caractéristique de moisissure à la recherche d’un signe de vie ; en vain.
— Soit, déclara-t-il en haussant les épaules.
Ces satanés hommes avaient sûrement encore entrepris de se faire la guerre tout près de chez lui. Il avait bien entendu des pas plus nombreux qu’à l’accoutumée, des cris et du tohu-bohu, mais après quatre-vingt ans d’existence, cela n’avait plus d’importance. Et surtout, ne faisait aucune différence.
Muni de son panier tressé de lianes et de sa gourde en vessie de porc, il entreprit une cueillette de champignons, à laquelle il consacra l’essentiel de sa matinée.
Alors qu’il rentrait avec sa moisson du jour, Julion l’Ermite remarqua que le soleil tardait à véritablement se lever. Dans un effort visible pour lutter contre ses cervicales récalcitrantes, il releva les yeux et distingua le voile opaque qui masquait l’astre du jour et interdisait à ses rayons un accès trop libre à la terre ferme.
— Soit, maugréa-t-il en remettant son cou dans une position plus confortable.
Et il reprit sa route. Les terres d’Azul ne souffraient que rarement des brumes, mais cela ne rendait pas le phénomène impossible pour autant.
Ses pas bifurquèrent et il s’engagea avec prudence sur un sentier tracé et fréquenté, bien que rarement, par les hommes. Depuis qu’il vivait seul, il avait appris à se méfier de ceux qui s’aventuraient si profond dans la forêt. Les raisons qui les poussaient à s’éloigner des villages et de la civilisation en général n’étaient que rarement bien fondées.
Forçats, voleurs, pilleurs, tueurs, fuyards, couards, ignares, idiots… il n’avait jamais vu que ce type d’individus jusqu’aux abords du ruisseau. Tantôt spolié, frappé, laissé pour mort ; tantôt pris pour un fantôme, un spectre ou un esprit des bois et faisant fuir les jeunes comme les vieux, les forts comme les faibles ; Julion avait depuis longtemps pris conscience du bonheur de vivre seul et de n’avoir à subir ces méfaits qu’en de rares occasions.
Cette fois, nulle trace d’une quelconque activité humaine. Bien.
Paisiblement, le vieillard s’agenouilla sur la berge, plongea dans l’eau ses mains en coupe avant de s’en frotter énergiquement le visage. Il termina ses ablutions dans la plus grande sérénité, puis remplit sa gourde et reprit la direction de son habitat souterrain. De la viande, il en avait pour quelques temps encore, et pas mal de réserves d’herbes aussi ; la cueillette et la chasse pouvaient attendre. Ce jour maussade ne lui donnait pas envie de passer plusieurs heures à pêcher, il se contenta donc de rentrer afin de déguster ses champignons fraîchement cueillis, bien au chaud dans son nid douillet.
Julion l’Ermite ne commença à s’inquiéter de la brume qui masquait le ciel qu’au bout du cinquième jour. Certes, la brume n’était pas habituelle, mais ce temps étrange durait depuis trop longtemps pour qu’il ne s’en inquiétât pas.
Il se rappelait vaguement avoir entendu des piétinements, six jours plus tôt. De gros bruits de déflagration. L’une d’elle avait clairement ébranlé sa tanière et fissuré une poutre maîtresse, garante de la sécurité de son trou.
Ah, ces hommes ! Qu’avaient-ils encore inventé ? Qu’avaient-ils encore fait ?
Il savait les terres d’Azul situées en frontière de royaume ; les invasions, les batailles y étaient fréquentes. Autrefois, lorsqu’il était jeune… oui, bien longtemps auparavant, il avait été soldat, enrôlé de force pour défendre une patrie qui jamais ne lui en avait été reconnaissante, et envers laquelle il ne se sentait nullement redevable. S’exiler en forêt fut un tel soulagement !
Depuis, il s’était efforcé de garder auprès de lui suffisamment de vivres pour trois ou quatre mois au minimum avant d’être forcé de remonter à la surface, dans le but d’éviter de se retrouver pris au milieu d’un conflit.
Jusqu’à présent, tout s’était merveilleusement déroulé. La grande forêt d’Azul n’était pas un lieu de campement ni un lieu de siège ; les gens y passaient mais ne s’y attardaient pas. Quelques chasseurs parfois, qui le visaient de leurs flèches, et les rares humanoïdes échappés de la ville en quête d’un moyen de subsistance ; ni plus, ni moins.
Mais en ce matin du sixième jour, Julion l’Ermite s’interrogea sur la gravité des évènements. La brume ne faisait pas mine de se dissiper et l’aube ne se levait jamais. Dans cette semi obscurité, il décida, pour la première fois, de reprendre contact avec la civilisation.
Le vieillard glissa de quoi subvenir à ses besoins primaires dans un baluchon qu’il hissa sur son épaule, et se dirigea vers le plus proche village.
Il y parvint, trois jours plus tard.
Claudiquant, il s’engagea dans la rue principale, surpris de la trouver déserte. La terre battue qui recouvrait le sol laissait apparaître les nombreuses empreintes de pas, signe d’une activité somme toute relativement récente. Intrigué, il se dirigea vers la première maison et frappa à la porte.
Jamais personne ne lui répondit.
Il renouvela la manœuvre plusieurs fois, et finit par entrer de lui-même dans le premier bâtiment dont la porte n’était pas verrouillée. A son grand désarroi, il ne trouva pas âme qui vive. Le silence pesant qui régnait sur un village autrefois bruyant et grouillant de vie noua son estomac : que s’était-il donc passé, quelques jours plus tôt ?
Au risque de froisser à nouveau ses cervicales, il leva les yeux au ciel et demeura ainsi, un long moment, à contempler le mur grisâtre et opaque qui retenait les rayons du soleil. Pas un oiseau ne passa dans son champ de vision, pas un rongeur ne se faufila entre ses pieds. Pas de cri, pas de bruit, seulement cette odeur humide et la mousse qui commençait à verdir les murs des habitations.
Puisant dans ses souvenirs, il se dirigea vers la demeure du bourgmestre, sinon dans l’espoir d’y trouver le moindre habitant, au moins dans le but d’y dénicher quelques documents pouvant expliquer la situation.
Malgré son âge et ses rhumatismes, Julion l’Ermite arriva rapidement devant la maison, et découvrit sa porte ouverte. Avec précaution, il entra et sans grande surprise, cette fois, découvrit le bâtiment vide.
Curieux, il entreprit alors de fouiller dans le cabinet du bourgmestre, et remarqua sur son bureau une pile de documents d’apparence importante, parfaitement rangés au milieu du fatras qui l’encombrait pêle-mêle.
Hélas, les yeux du vieil homme avaient pris de l’âge en même temps que lui ; il dut tenir à bonne distance les papiers intacts pour parvenir à les déchiffrer, avant de s’effondrer sur le fauteuil rembourré.
Pour contrer une énième invasion d’un royaume voisin, les sorciers d’Azul s’étaient démenés afin de permettre aux habitants d’échapper à l’emprise des Mages Noirs de l’Ouest. Ils avaient alors invoqué de nombreux esprits, de nombreuses forces enfouies… et déchaîné un déluge de magie destiné à les anéantir. Seulement, retraçait un second document, le sortilège avait eu un effet secondaire, et anéanti toute vie autre que végétale de la surface du monde.
De sa surface…
— Soit, dit alors Julion l’Ermite, avant de se mettre à rire comme un dément.
Vivant sous la surface, il était le seul rescapé.
"C'est qu'au début, ça nous à fait un vide. Comment vous dire ; le vieux, il s'posait là, il faisait pas de bruit – pour vous dire, il ronflait à peine, mais il f'sait une présence mine de rien. On s'lève un matin et le vla mort. Ça vous fiche un coup, quoiqu'on en dise. Sur, ça fait pas les gros titres, mais ça vous perturbe deux trois trucs la mort d'un vieux. Pas grand chose évidemment – il bougeait plus l'ancêtre ! - mais ça tôt fait de s'étendre s'y on y fait pas attention ; deux trois bâillement en moins, c'est autant d'ouragan qui s'font la malle qu'on dit. Y'a qu'à voir, deux heures à peine après qu'il soit passé d'l'autre coté; tout à commencé à partir en vrille. Le temps ; j'saurais pas vous dire comment, j'sausais pas vous dire pourquoi, mais à peine il claquait, à peine j'voyais des bêtes de crapauds pleuvoir du haut. Ah Forcément ! Y'a pas d'liens que vous me direz ! J'vais vous dire : si j'avais pas vu la suite, j'aurais pensé pareil. Mais, on était encore à balancer les crapauds par dessus bord, qu'on entend le vent qui s'lève et, croyez le ou pas, comme des voix dedans qui chantent des trucs imbuvables dans une drôle de langue. J'suis rentré et ça à commencé à brailler dehors : vas y qu'je te balance un chorus, va s'y qu'je te fourre une harmonique. C'était plus une tempête, c'était un bal musette. Moi, j'étais un peu mal – la tristesse quand même, vous comprenez, ça la fout mal – et j'ai pas fait plus gaffe que ça ; encore une connerie des gosses d'en dessous que j'me suis dit. Bref, j'ai été me pioncer sans demander mon reste. Le lendemain, j'me lève – j'vous raconte pas, déjà, l'ambiance dimanche post-mortem ça vous met un coup, et j'me prépare mon ptit noir – l'habitude ça s'refait pas, mort ou pas mort, j'me débrume pas sans ça. Tout s'passe bien, jusqu'au moment où j'vais verser l'liquide ; de la cendre ! Rien qu'de la cendre ; une espèce de poudre de vieux fusil oublié. « Vla t'y pas qu'la Physique s'fait la malle aussi » que j'ai pensé. J'avais même pas fini de m'extasier sur le phénomène qu'le sol commence à être ramollo : j'm'enfonce dans ma cuisine, tout se tord, j'vois les murs qui penchent comme d'la gelée à la myrthe, j'sens sous mes pattes le plancher qui s'crève comme une tourte mal cuite. J'vois déjà ma fin, j'fais mes dernière prière – à qui, j'me le demande toujours – et tout d'un coup, tout s'remet à sa place. Je palpe la cuisinière, je tapote la cloison : rien à signaler, circulez y'a rien à voir. Tout dans l'ordre !
Alors forcément, forcément qu'le vieux il est pour rien dans tout ses affaires, mais tout de même, ça joue la mort d'un vieux dans tout le grand chambranle. C'est comme si, subrepticement, tout les ptits trucs qu'il avait pu construire, s'trouve seul et s'font une déprime ; ça retrouve vite son indépendance ces choses – faut savoir qu'une brique ça à pas trop d'coeur – mais il faut son ptit temps d'adaptation : c'est comme tout. Voyez, les autres, c'est pas que ça leur à fait grand chose. Quand on leur a appris la nouvelle, « il est mort », c'est tellement bête à dire, y'en a peu qu'y ont eut mal au coeur. Mais, quand même, ils ont dû s'y faire ; c'est comme décrocher du mur une vieille croute, on a beau ne pas avoir à y faire grand chose, quand on s'retourne et qu'elle y est plu, ça vous fait un manque. Reste plus que la trace du cadre sur le papier peint, et vous avez l'air d'un con. Ben là...comment vous dire, c'était un peu la même chose avec le vieux. On s'retourne, et il est plus là ; collé à son siège comme un coquillage à son rocher, « y'a plus l'fossile » qu'a dit un jour un collègue en entrant dans la barraque. Ben, c'est ça, l'fossile est plus là et faut marcher sans sentir derrière son souffle qui vous guette, son oeil qui vous murmure à l'oreille que s'retourner c'est trop con. C'est pas simple pour tout le monde vous savez.
Au bout du compte, y'en a qu'deux qui sont v'nus me voir pour m'demander des précisions sur la fin du vieux ; vous et un autre. L'autre, c'était une espèce de VRP, j'sais pas si vous voyez le type, un genre de vendeur d'aspirateur. Le style à vous inventer des poussières pour vous vendre sa camelote. Il voulait savoir si y'avait rien à récupérer pour vendre dans le coin et si le vieux avait pas lancer un testament ou un truc dans le genre ; « rien » que j'lui ai dit. Evidemment, c'est pas vrai. Il en a laissé un le vieux, il était ancêtre mais pas fou. Mais, j'le garde pour l'instant. J'vais attendre un peu avant d'le dire aux autres. Entre nous, rien n'presse ; les dragons, les révélations, les grandes levées de voiles, ça m'plait pas plus que ça. Puis c'est connu, un testament, ça vous met le bordel dans la famille...déjà qu'pour le coup c'est pas fameux, j'vais pas tenter le diable.
Enfin vlà. L'heure tourne plus depuis ; seul truc qui reste. Plus de tour d'aiguilles ; voyez, le sablier ne bronche pas. Y'a comme au fond de l'air des ptites pépites de temps qui s'décolle. C'est moins pratique d'un sens. M'enfin, on s'y fait. J'my fais. J'continue mon ptit manège ; j'ouvre et je ferme les portes, je surveille un peu l'jardin de la chambre du haut, j'vois s'il fait toujours chaud chez les gentils d'l'au délà. Tout roule presque comme avant. Juste ce grand vide dans l'fond du coeur – j'voudrais pas faire mon sentimental, mais j'l'aimais bien le vieux : il était pas parfait, mais j'l'aimais bien, il s'avait quoi faire de ses mains et c'est déjà pas un mal. Il s'posait là et j'peux vous dire qu'au fond, avant d'être Dieu, c'était un copain. Enfin, il me reste les tartes aux pommes."
Ouvrant les yeux, Mar’shrek se sentait étrangement bien. Il tourna la tête et vit le soleil pointer par la fenêtre, à travers les rideaux de fortune qu’il avait installés la veille. Il sourit de joie et se leva, tâtant le lit et sentant les ressorts exercer une poussée inverse à la pression qu’il exerçait dessus. Il se jeta hors du lit et sourit encore une fois en heurtant le sol. Il embrassa la salle des yeux. Les bâtiments étaient sommaires, sans aucune décoration. Construits en hâte, ils consistaient en trois salles immenses reliés par un seul couloir. Des dortoirs communs. Un pour les hommes, un pour les femmes, et un pour les enfants. Dans chaque salle, une grande partie de l’espace était occupé par des lits superposés, et dans un coin des tables des bancs et des chaises ainsi que le nécessaire pour manger. La cuisine était un bâtiment gigantesque à part, construit dans le seul but de nourrir toute la colonie.
Mar’shrek entendit d’autres personne se lever et commencer à parler, à s’émerveiller et donner leur avis sur différentes questions. D’autres gens affluaient et venaient entrer dans les discussions. Au bout d’une demi-heure, les discussions tranquilles se muèrent en un gigantesque brouhaha tandis que de plus en plus de gens étaient réveillés et participaient aux conversations. Un brouhaha comme un millier de mouche bruissant des ailes dans une cacophonie incessante. Mais Mar’shrek était content, et tout les autres aussi. C’était le début d’une nouvelle vie. Qui commençait d’une manière époustouflante
Mar’shrek décida de sortir du bâtiment. Il croisât des « Ingénieur des Temps Perdus», comme ils furent rapidement nommés par la population. L’un d’entre eux dit :
- « Il faudra bien faire attention à contrôler l’augmentation. Il ne faudrait pas que tout s’effondre par négligence » dit-il, un soupçon d’appréhension dans la voix.
- « Ne vous inquiétez pas, cinq personnes ont pour mission de contrôler cela. Il n’y aura aucun soucis ».
Alors qu’il sortait, Mar’shrek leva automatiquement les yeux au ciel et regarda de timides nuages d’un blanc immaculé fuir sous la pression d’un vent pressant, ébouriffant ses cheveux, faisant voler des feuilles arrachés aux frêles arbres plantés récemment. Le soleil l’éblouit, et il dut plisser les yeux pour pouvoir continuer à avancer. Il y avait peu de gens dehors. La plupart avait encore un peu peur de la lumière. Ce qui est tout à fait compréhensible, vu les circonstances. Il continua cependant à marcher dans la ville – si ville on pouvait appeler cela ; un amalgame de bâtiments semblables, sommaires, conçus pour la rapidité et non la durée. Les Ingénieurs du Renouveaux ont cependant fait un boulot excellent. Monter tout cela en seulement trois jours ! Un magnifique travail logistique…
Mar’shrek vit des enfants sautillant, courant, tombant par terre avec des larmes de joie aux yeux, des éclats de rire exprimant leur bonheur d’être libres de jouer dehors. Même s’ils s’écorchaient les genoux, ils étaient heureux. Mar’shrek admira les plantes en train de pousser. Après des siècles d’études et de manipulations, celles-ci pouvaient enfin croître et semblaient se gorger de soleil et de nutriments issus du sol. L’herbe n’était pas encore présente, mais la végétation nécessaire à la survie était déjà là.
A sa droite, Mar’shrek vit le fleuve couler paresseusement dans son lit bordé de roseaux et de saules pleureurs, ses feuilles plongeant dans l’onde nonchalamment, ployant sous le poids de ses branches chargées. Mar’shrek lui-même sentait ses épaules s’affaisser, et ses jambes trembler sous sa masse. Il n’était pourtant pas vieux. Mais les évènements étaient particuliers. Il salua d’autres passants, des couples se tenant par la main en regardant les reflets du soleil levant sur le miroir aquatique, des enfants plongeant dans l’eau, buvant la tasse. Beaucoup se jetèrent de l’eau à la figure dans des gerbes d’eau, comme des fontaines, bien que personne n’en ai vu de vraie depuis longtemps. Bien longtemps.
Alors qu’il errait, Mar’shrek aperçu un animal qui trainait la patte. Un rongeur brun-orangé avec une queue touffue et poilue, et la fourrure de son ventre blanche. Il ne se souvenait plus le nom qui lui avait été donné. Quelque chose comme « écueil », ou approchant. Il s’approcha et utilisa son Flux pour le soigner. Un simple transfert d’énergie qui permettrait à l’animal d’accélérer sa vitesse de régénération. Il ne pouvait rien faire de plus pour lui. Cela n’était pas de sa compétence.
Alors qu’il se relevait, Mar’shrek aperçu un croiseur dans le ciel, observant la planète pour assure la sécurité des concitoyens. Il s’étonna une fois de plus de la complémentarité existante entre la technologie des « Ingénieurs des Temps Perdus » et le Flux des «Ingénieurs du Renouveaux ». Et une certaine crainte, due au contexte historique. Mar’shrek ayant participé au projet qui les avait menés ici, il savait beaucoup de choses que la plupart des gens ignoraient. Et il ne comptait certainement pas briser la magie du moment en leur expliquant les détails.
On voyait au loin le Centre des Opérations. Une gigantesque tour d’acier noir s’élevant à plusieurs dizaines de mètres au dessus du sol. Le profil de cette tour était étrange pour les non-initiés. Il était normal à la base, se rétrécissant légèrement sur les deux tiers de la hauteur, avant de finir en forme de biseau. Tout en haut, on voyait des vitres panoramiques fumées pour protéger des rayons du soleil. C’est là-bas qu’étaient menées toutes les recherches concernant la technologie et le « Flux ». Cette « Tour » représentait un espoir pour toute une population. Pour toute une planète, à bien y réfléchir. Un nouvel espoir pour les générations futures. Une vie d’hommes libres et fiers de leur terre retrouvée.
D’énormes regroupements de personnes s’organisaient dans différents endroits de la ville. La plupart dansaient, chantaient, sautaient sur place. Une vraie félicité s’était emparée de la population. Certain Ingénieur du Renouveaux utilisaient le « Flux » pour produire des feux d’artifice dans le ciel, ou des illusions pour amuser les gens. C’est ce qu’il s’est passé pendant trois jours. Depuis l’installation de la colonie, c’est ainsi qu’ils avaient passé leur temps pour ces groupes là. D’autres groupes s’occupaient de l’installation, de l’occupation ou d’autres choses. Mais personne ne gênaient ces fêtards. En effet, l’évènement était symbolique de l’époque !
L’un de ces groupes scandant des hymnes et portant des toasts, se trouvait non loin de Mar’shrek. L’un des hommes reconnu Mar’shrek en tant qu’« Ingénieur du Renouveaux ». Il s’avança vers lui et lui dit de les rejoindre boire un verre.
- « Venez avec nous, Maître Ingénieur ! Ne restez pas seul. Venez boire un verre et parler avec nous. Vous êtes célèbre dans le campement vous savez ? »
Mar’shrek s’installa sur une chaise et un des hommes assis à coté de lui et lui servit une rasade d’alcool fort.
- « Nous sommes ravis d’accueillir parmi nous un des héros de la colonie. C’est un immense honneur. Les Ingénieurs se font plutôt discret pour l’instant » dit l’homme qui l’avait invité.
- « C’est que tout n’est pas encore fini vous savez ? Il nous reste des détails à gérer. Je pense que cet évènement est le plus important depuis la fin de la troisième Épopée. Rendez-vous compte ! Il ne faut surtout pas que tout cela soit en vain. » Dit Mar’shrek, une ferveur intense dans la voix.
- « Pouvez-vous nous raconter comment vous avez réussi cet exploit ? » Intervint un jeune adulte aux yeux déjà écarlate et à l’odeur éthylique. Il avait certainement passé la nuit comme beaucoup d’autres à festoyer et boire en célébration de l’évènement. Et qui pouvait lui en vouloir ? Ce genre d’exploit n’est pas commun. Loin de là. Il est même surnaturel. Mar’shrek se remémora comment ils avaient réussi ce prodige.
Il se souvint alors, tandis qu’il était encore dans l’espace, du « Plan de la Dernière Chance ». Toutes les autres tentatives avaient échoués. Le président lui avait alors dit de « lancer le plan Z », celui avec le moins de chance de succès. Soit l’espoir de l’humanité renaissait, soit il disparaissait à jamais. 24h après, le résultat était sous leurs pieds
Mar’shrek ouvrit la bouche pour répondre au jeune homme, puis se ravisa et leva la main en désignant le satellite de la planète, loin dans le ciel.
- « Voyez-vous notre Lune ? Ne remarquez-vous rien d’étrange ? »
Les hommes regardèrent, mais ne remarquèrent rien de particulier. L’un des hommes pourtant regarda, et prit d’une intuition soudaine, s’exclama :
- « Elle a grossi ! Je suis sûr qu’elle était moins grosse hier ! »
Les autres se moquèrent de lui, lui disant qu’il avait trop bu, mais Mar’shrek eut un sourire et les fit taire avant de se tourna vers celui qui avait remarqué la différence.
- « Oui en effet. La Lune est en train d’être finalisée. Une simple pile à Gravité, créée en combinaison des Ingénieurs des Temps Perdus et des Ingénieurs du Renouveaux, un mélange de technologie et de « Flux ». Cette pile accumule les déchets spatiaux alentours pour former une mini planète »
Les auditeurs le regardait avec de grands yeux. Ils étaient vraiment estomaqués.
- « Et vous voulez dire que… » S’interrompit l’homme qui parlait alors que le sol tremblait dangereusement et qu’une sirène hurlante prévenait les habitants du danger. Les tremblements n’étaient pas excessivement puissants, mais long. Et il y avait des répliques, bien que moins puissantes, comme les vagues sur la surface de l’eau après y avoir jeté une pierre.
Mar’shrek sentit le « Flux » de quelqu’un d’autre lui parvenir, lui disant de ne pas s’inquiéter. La phase finale était achevée, disait le « Flux ». Il se leva, et appela les autres habitants alentours et leur demanda de se calmer et de venir le rejoindre. Il avait une annonce à faire. Il demanda aux gens de se regrouper autour de lui, et il profita de l’écho de l’endroit pour être entendus de tous. Quand suffisamment de monde s’était regroupé, une bonne partie de la colonie - des murmures parcourait la foule comme des vaguelettes à la surface de l’eau, des rumeurs enjouées se faisait ouïr - il leva légèrement les deux bras et dit :
« Mes frères, n’ayez pas peur. Ceci est l’avènement d’un temps nouveau. L’espoir renait dans nos cœurs, alors que nous avons trouvé notre nouvelle Terre. Nous avons reprit pied dans un monde qui ne nous avait jusque là pas fait de cadeau. C’est à nous maintenant d’écrire l’Histoire et de faire en sorte que les tragédies passées n’arrivent plus. La phase finale de notre plan touche à sa fin, et c’est avec un immense honneur que j’ai été chargé de vous transmettre la nouvelle. Oui… Après mille deux cents trente sept ans, neuf mois quatorze jours et quelques heures d’errance dans l’espace, nous avons finalement trouvé un moyen. Aucune planète habitable, aucun refuge pour nos semblables. Grâce aux Ingénieurs du Renouveau, nous avons pu nous sortir de notre condition d’exilé. Notre Terre détruite ne pouvant plus nous accueillir, nous en avons produit une autre avec une pile à Gravité, similaire à celle utilisée pour la Lune. Et je tiens à vous informer que le processus vient juste de se terminer. Notre planète est finie ! Nous sommes désormais chez nous !»
Dans un fracas assourdissant, les gens réunis, et même ceux un peu plus loin dans la vallée, crièrent de joie. Des objets volèrent. Des chapeaux, des vêtements. Tout ce qui était à portée de main. Il y eu même des irruptions de « Flux » pour ajouter à l’évènement. Ce « Flux » là aurait pu tuer quelqu’un si mal maîtrisé… Pendant une demi-heure, les gens s’embrassèrent, se parlèrent, rirent, pleurèrent de bonheur. Une nouvelle vague de liesse et de félicité allait certainement embraser la population pendant quelques jours. Non pas que cela soit dérangeant, se dit Mar’shrek.
C’est alors qu’un sifflement grandissant se fit entendre au loin, provenant du centre des opérations. La Terre trembla doucement, puis de plus en plus fort. Le Centre des Opérations, Le Vaisseau-Amiral de la désormais dissoute « Colonie Nomade » était en train d’osciller très dangereusement. Des signaux d’alertes parvinrent à Mar’shrek via le « Flux » des Ingénieurs sur place. La pile cédait sous son poids ! La gravité trop force faisait s’écrouler la planète sur elle-même. La plupart des Croiseurs étaient trop loin pour être atteint à temps. Quelques réfugiés pourraient y embarquer, mais la majorité de la population périra en même temps que leur nouvelle patrie.
Mar’shrek était en larme sur son estrade. Il entendait les cris de terreur des Ingénieurs tentant de réparer l’erreur, les tentatives pour sauver les habitants. Le Vaisseau Amiral craquait de toute part. Des brèches dans sa coque le rendant inutilisable dans l’espace. Il voyait peu à peu la joie de ses vis-à-vis se muer en panique. Ils n’entendaient pas ce que lui-même entendait, mais ils sentaient que tout allait mal. Il se redressa, repris contenance et reprit la parole face à la foule en panique
« Calmez-vous s’il vous plait. Calmez-vous. La panique ne nous apporteras rien de bon». Il n’osait pas leur avouer la vérité brutale qui lui parvenait. « J’ai malheureusement une mauvaise nouvelle à vous annoncer. Pleurez avec moi mes frères, pleurez de joie d’avoir connu le bonheur d’être sur Terre encore une fois. Mais notre destin est désormais scellé. L’espoir que je viens de vous donner se mue en fatalité. Il y a malheureusement eu un problème. La planète est en danger. La pile à Gravité n’a pas pu être arrêtée et va continuer à compresser la masse de la planète. Elle va s’effondrer sur elle-même. »
Les gens étaient éberlués. La plupart regardaient Mar’shrek comme s’il était à la fois Dieu et le Diable en personne. Certains craquèrent et pleurèrent, d’autres crièrent de désespoir. Des sons à briser une âme.
« Nous sommes condamnés. » Dit finalement Mar’shrek.
Je regarde le chat noir, assis face à moi. Il me nargue, me fixant droit dans les yeux. Étonnamment, Elle m'a autorisée à vivre bien longtemps. Malgré tout, l'âge ne m'a pas épargnée.
- Je t'attendais depuis longtemps, est-ce vraiment toi ?
Impassible, le félin me fixe de son regard doré. Je sais bien que les chats ne parlent pas ! Mais j'avais espéré que peut-être celui-là … Je ferme les yeux, sûrement dans ma prochaine vie…
(Neuf décennies plus tôt) Je suis assise sur le toit de ma maison. Pour une fois, je suis bien, là-haut, seule. À l'intérieur, j'entends mes frères et sœurs. J'ai neuf ans, je suis encore une enfant. Mais plus le temps passe, plus je m'éloigne. Ma famille me regarde de plus en plus étrangement. Progressivement, les souvenirs oubliés remplissent à nouveau ma tête. Je sais maintenant qu'Elle guidera toute ma vie. Maintenant qu'il est parti, je suis La Prêtresse.
(Neuf ans plus tôt) Je flotte, tout est sombre mais je suis bien. Le cœur de ma mère résonne, régulier et apaisant. Je sais tout, omnisciente, je connais toutes les vérités. Ce qui était, ce qui est, ce qui sera. Durant un instant, je SUIS La Déesse des Chats. J'aperçois brièvement la vie de tous Ses "jouets". Je viens au monde, mes souvenirs s'enfuient progressivement. Je hurle à pleins poumons, essayant de les retenir. J'oublie tout, je suis en vie, à nouveau …
(Neuf mois plus tôt) Je sais que je vais mourir, je le sens. Ça devait être aujourd'hui, je l'attendais impatiemment. La Déesse du Neuf a parfois de l'humour. Heureusement, j'ai tout préparé, tout mis en ordre. J'ai laissé Miroque aux soins de l'Interroi. Je reviendrai la chercher dans quelques années, peut-être. J'agonise, maudissant la Déesse une fois de plus. Je ferme les yeux, me vidant de mon sang. Je pense à lui une dernière fois, je souris.
(Neuf semaines plus tôt) Je me sens vide, perdue malgré tous ces gens. Je ne ressens plus rien depuis ce fameux jour. Je n'ai plus la force de La haïr. Je ne sais pas pourquoi Elle a fait ça. Peut-être que c'était juste pour s'amuser. De toute façon, je vais bientôt mourir, moi aussi. Elle ne me laissera pas vivre encore bien longtemps. Je suis incapable de dire si je suis impatiente. De toute façon, il ne sera plus jamais là.
(Neuf jours plus tôt) Je hurle de toutes mes forces, assise par terre. Mes amis sont tous là, autour de moi, hésitants. Ils ne savent plus quoi faire de cette furie. Je maudis la Déesse de me l'avoir pris. Je L'insulte, je pleure, je crie ma haine. Je La supplie à genoux de me le rendre. Je deviens folle, mais je m'en fous complètement. Je ne réalise toujours pas qu'il est parti. Je ne réalise pas que je l'ai tué.
(Neuf heures plus tôt) Je suis prostrée à quelques pas de son cadavre. Miroque gît à mes pieds, sa lame immense ensanglantée. Le sang écarlate nettement visible sur le métal noir. Nos compagnons de l'Imperium se précipitent vers nous. La guérisseuse s'agenouille près de son corps immobile. Mais moi, je sais qu'il est trop tard. Car la Déesse des Chats en a décidé autrement. Quelqu'un ramasse Miroque, un autre me ramasse, moi. Je n'ai même plus la force de protester.
(Neuf minutes plus tôt) Je tiens son corps sans vie dans mes bras. Comme à chaque fois, ma lame a frappé fort. Je ne lui ai même pas laissé une chance. Ou peut-être qu'il l'a laissée passer. Il Lui a peut-être résisté, à la fin. En une seconde, mille souvenirs me passent en tête. Les larmes s'écoulent sans fin sur mes joues. Elles se mêlent au sang ruisselant sur mes mains. Je comprends que je ne le reverrai plus jamais.
(Neuf secondes plus tôt) Je regarde celui qui est tout pour moi, terrifiée. Mon amour, mon âme sœur depuis maintenant huit vies. Dans cette vie, il est Le Prêtre des Chats. C'est la dernière vie de son cycle humain. Il ne sera qu'un chat dans le prochain. Je raffermis ma prise sur la poignée de Miroque. La Déesse des Chats lui a fait quelque chose. Il s'avance vers moi, prêt à me tuer. Seule, je ne suis pas sure de vouloir survivre.
Aelfinn de la PierreModo - Jury des Joutes - Conseil RPRelecteur
Pour toujours et à jamais d'Insolenth.
L'aube avait pointée son nez timidement, apportant dans son sillage les premiers rayons de soleil. Trop maigres pour ne serait-ce que réchauffer l'atmosphère. Le froid était tombé depuis des semaines sur les plaines et les vallons du Royaume de Haute-Galence. Sec. Mordant. Et salutaire. Il avait arrêté les armées Teltannes aux portes de la lande, garantissant au Royaume une accalmie de quelques mois.
La froidure ambiante avait roulé sur sa peau en des milliers de mamelons minuscules, hérissant ses poils, contractant ses membres et la faisant gémir de frustration. Elle était trop vieille pour être encore ennuyée par l'hiver. Trop vieille... Et elle se sentait bien incapable de faire face à ce qui allait lui arriver ce jour.
D'un mouvement lent et presque sensuel elle s'étira de toute sa longueur. Trop grande pour une femme. Ses muscles roulèrent sous sa peau et elle se redressa d'une impulsion légère. Trop athlétique pour une femme. Les pieds nus elle s'aventura sur le dallage de pierre de sa chambre, un frisson la parcourut et vint se faire dresser les cheveux sur sa nuque. Trop longs pour un soldat.
Elle aurait aimé que cette journée ne débute jamais, et que celle d'hier ne fusse jamais arrivée. Comment les choses pouvaient elles être comme ceci désormais ? Tout ça ne pouvait être qu'une farce -de très mauvais goût au demeurant- ou un mauvais rêve. La brosse lissa ses mèches blondes jusqu'à les discipliner au maximum. Elle avait tant de choses à faire, si peu de temps, si peu d'expérience.
Plongée dans ses rêveries elle ne fit pas attention aux bruits ambiants. Une servante attendait debout derrière elle, se triturant les doigts, elle minauda légèrement et susurra son prénom timidement. Comme si le simple fait de la déranger allait faire pleuvoir sur elle... Quoi donc d'ailleurs ?
Emerine posa la brosse et se retourna. Emerine la grande. Emerine la blonde. Emerine la Championne ! Emerine rien du tout en ce matin terriblement froid. Un soupir lui échappa et elle accorda quelques mots de sa voix trop grave à la petite femme devant elle. En une heure elle fut parée de sa plus belle armure, drapée de sa nouvelle cape et coiffée.
Dans les couloirs sombres et gelés du château le bruit de ses pas résonnait comme les échos d'un combat lointain, des bruits de plaques, de mailles qui se répercutaient sur les murs comme autant d'agression à ses oreilles. Au champ de bataille elle n'entendait plus ce bruit, mais ici... Ici il lui rappelait combien il était dur d'occuper sa place, combien il avait été difficile de l'obtenir. Et combien il serait pénible de la garder dorénavant.
Au détour d'un couloir Tilbert lui tomba dessus. Elle roula des yeux et le vieil homme ne lui épargna pas un nouveau sermon. Que diable une femme portait-elle une armure ? Par tous les Dieux qu'elle ne faisait aucun effort pour être jolie ! Il n'était guère étonnant qu'à vingt huit années elle ne fusse encore pas mariée. Où étaient donc les héritiers qu'elle devait au trône ?
D'habitude elle lui aurait aboyé dessus, envoyant aux oubliettes ce pauvre hère, vieux et putride. Mais elle passa devant lui comme une ombre filante. Sa démarche souple. Son armure clinquante. Etait-il sénile au point de ne pas se rendre compte de ce qui allait avoir lieu aujourd'hui ? Mais elle se prit à penser à une chose étrange, amusante et ô combien logique. Tilbert lui maintenait les deux pieds ancrés au sol, lui rappelant chaque jour qu'elle n'était qu'une femme trop grande, trop musclée et pas assez agréable à regarder. Il n'en était que plus facile d'aller de l'avant en ignorant les flagorneries de tous les galants qui traînassaient à la cour.
Un sourire illumina son visage, brave Tilbert.
Lorsqu'elle arriva enfin devant la salle du trône les larges portes en étaient closes, deux gardes en faction posèrent sur elle un regard indécis. Qui était-elle désormais ?
D'une voix forte elle balaya tous leurs doutes, leur intimant d'ouvrir et de la laisser passer, qu'elle ne venait de leur démontrer la hauteur de son rang.
Fracassante. Ainsi fut son entrée. Ils étaient tous là. Chiens galeux du Conseil, Main du Roi avilie, fidèles troublés et courtisans soucieux d'être les premiers à connaître le fin mot de l'histoire. Elle se campa devant cette assemblée qui ne lui donnait qu'une envie -celle de déguerpir en courant- et ne pipa mot. D'aucun s'attendait pourtant à toute une tirade enflammée pour faire valoir ses droits, qui aurait pu les lui enlever d'ailleurs ? Mais rien. Le silence complet s'imposa.
Grande et fière, rendue presque belle par la clarté du matin qui faisait rutiler son armure, elle se permettait de les toiser, tous, les uns après les autres sans leur faire l'honneur de dire quoi que ce soit. Ses lèvres s'étirèrent légèrement, dévoilant une dentition trop blanche pour être naturelle, et révélèrent une face jusqu'alors inconnue de cette femme si peu plébiscitée. Roublarde. Roublarde et narquoise nota le Chancelier Caplet, ce qui le fit doucement sourire. Et il ne put empêcher un léger rire de lui échapper lorsque la princesse quitta la salle sans, finalement, n'avoir rien dit du tout.
L'homme accusa les regards dénonciateurs de certains de ses confrères. Mais qu'en avait-il à faire maintenant ? Demain, peut-être même ce soir, la plupart de ces têtes seraient tranchées. Il en était sûr, l'ingérence ne serait désormais plus de mise. La belle vie était finie. Sa main droite vint enserrer la peau rêche et fragile de son cou, peut-être même que la sienne n'ornerait plus ses épaules d'ici quelques heures.
La sortie railleuse d'Emerine trucida le silence qui s'était installé et c'est un brouhaha inquiet et suant qui se mit à agiter la foule présente. On murmurait de là qu'elle allait dissoudre le Clergé, d'ici qu'elle allait exécuter les prêtres ou pire... Qu'elle allait réformer la gouvernance. Dieux ! Qu'il était fou de penser qu'un roi pouvait régner sur son royaume ! Voyons ! De nouveau Caplet gloussa, du rire de celui qui sait que chacun méritera son sort. D'un pas léger il s'éclipsa, mine de rien il tenait encore assez à la vie pour tenter de fuir.
Emerine avançait d'un pas énergique, rapide, qu'elle avait acquit au cours de longues marches forcées. Peu importe qu'elle eût été princesse, duchesse, putain ou fille de rien, elle avait marché pendant des années aux côtés des soldats et c'est ce qu'elle était. Un soldat qui s'était toujours battu pour le Royaume de Galence, pour sa réunification et pour la protection de ses frontières.
Midi sonnait au dehors, une vilaine grimace déforma ses traits, elle exécrait la cloche de cette foutue église, elle exécrait cette église elle-même et elle exécrait tous ces freluquets de prêtres à l'intérieur qui se complaisaient dans leur graisse et leur mollasserie. Elle les ferait tous brûler ! Comploteurs, menteurs et profiteurs. Ils ne méritaient que son courroux.
La vision qu'elle eut en arrivant enfin dehors la radoucie un peu, au diable ces mollassons elle avait devant elle tout ce qu'il lui fallait pour mener à bien ses rêves de grandeur. On avait entassé dans l'enceinte une petite partie des bataillons disponibles, les autres attendaient probablement à l'extérieur des murailles. Des milliers d'hommes, entraînés et prêts pour la guerre. Une pensée fugace et désagréable terni son engouement. A partir d'aujourd'hui elle ne pourrait plus se préoccuper que du front contre les Teltans, d'autres batailles -au cœur de son propre camp- seraient à livrer.
Un reniflement sec derrière elle la fit légèrement frémir. Hargir le Sec. Homme de main, assassin, voleur et surtout ami. Ce serait lui le véritable héros de cette journée mais personne n'en saurait jamais rien. D'un petit mouvement de la main elle lui fit signe et l'homme se fondit dans les ombres d'un escalier tortueux. Il devait réunir les bonnes personnes, rassembler les objets nécessaires, éconduire les prétendus alliés, raffermir les vraies unions. Là-haut, dans cette prétendue salle du pouvoir, les futurs perdants mettaient en place leur propre solution, si ce n'était déjà fait. Qu'importe. Ils ne pourraient rien faire. Il n'avaient plus aucun pouvoir.
Cors, manœuvres, exercices et passage en revue, l'après-midi passa telle une éclaircie au milieu d'un ciel d'orages. Le soir tombait, inexorablement, et amenait avec lui l'Heure. Remontée dans sa chambre, lavée, peignée et habillée par d'autres mains que les siennes, elle pensait. La tristesse n'avait pu la prendre de toute la journée et c'était maintenant, à peine quelques heures avant le dénouement de cette journée de pure mascarade, qu'elle se laissa aller.
Ses servantes en furent déboussolées. Qui avait déjà vu la Championne de Galence se mettre à pleurer, les yeux débordants et le nez coulant ? Une catastrophe. Un cri de rage et de désespoir la projeta à terre, renversant le bac d'eau chaude et mouillant une bonne partie des tapis au sol. Elle n'était pas prête. Là. A quelques minutes de ce qui allait être son heure de gloire. Elle n'était prête. Pas comme ça, pas maintenant. Elle aurait voulu laver son corps de ses mains, le bercer d'une chanson légère et embrasser son corps. De toute cette foutue journée de faux semblants elle n'y avait même pas pensé une seule seconde.
Une main se posa sur sa nuque, froide et rude. La voix de Tilbert claqua dans le silence entrecoupé de sanglots. Debout. Elle devait se relever. Elle devait répondre aux ordres car telle était ainsi la loi. Telle était ainsi la vie. Et elle en était désormais la dépositaire. Elle grogna, un son profond et animal, se releva d'un geste rageur et aboya des ordres. Elle fut séchée, habillée et coiffée. La Championne s'était relevée. D'ailleurs elle n'était jamais tombée. Un regard bref et tranchant sur les femmes dans la chambre l'en persuada.
Elle avait refusé la robe de soie et de dentelle. Elle avait refusé les bijoux et les perles. De même que le maquillage ou tout autre artifice pour la rendre plus belle. De nouveau et toujours en armure, elle était parée au combat. Et elle le mènerait à bien.
La démarche assurée et le port altier elle pénétra dans la salle du trône. Tant de monde... Avait-on poussé les murs ? Cette pensée la fit sourire, tellement incongrue. On n'entendait plus que les cliquetis de ses plaques, il lui semblait que le monde retenait son souffle. Sans doute que non. Malgré tout elle ne percevait plus que les battements de son cœur, lents, réguliers, inhabituels.
Arrivée aux pieds du trône elle défia de sa stature l'homme qui s'y trouvait. Son visage resta de marbre alors que celui en face se tordait de déplaisir. La défaite n'est jamais plaisante. Un coussin rehaussé d'or sur lequel trônait une couronne lui fut apporté. Il la souleva, du bout des doigts, comme si elle le brûlait.
Elle ne prit pas la peine de mettre un genoux à terre.
Une pression sur sa tête.
Et ces mots, enfin, pour sceller leurs destinées à tous. Pour toujours et à jamais.