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Les deux hommes marchaient d'un pas rapide dans un couloir de la citadelle. L'un d'eux n'était autre que le général Edan, et ce que le deuxième lui rapportait ne lui faisait guère plaisir.
- Kerne et Garm sont en guerre, des dizaines de déserteurs viennent piller nos villages, le brigandage se multiplie à travers tout le pays, on nous rapporte que des démons ont été aperçus aux limites des terres Démoniaques, et vous venez me déranger pour une simple affaire de viol, vociférait Edan. Et qui vous dit que le nobliaux l'a bien forcée, cette fichue paysanne ?
- Elle-même, mon général.
- Une jeune greluche qui rêvait d'épouser un riche, et qui aura voulu se venger quand elle a perdu ses rêves, voilà tout.
- Si je puis me permettre général, reprit l'autre homme, les Inquisiteurs représentent l'autorité dans tout Korn. Il faudrait au moins ouvrir une enquête, même si elle aboutit à innocenter le seigneur, sinon notre réputation en pâtira.
- Bien sûr, vous avez raison. Mais je n'ai pas un seul homme sous la main pour ce genre d'affaires ! Tous sont en train de chasser des bandits ou de guetter des démons.
- Il y aurait bien une personne, mon général. Un jeune homme, une nouvelle recrue. Pour le moment il est affecté à la forge, mais comme cette enquête n'est qu'une façade, il fera probablement l'affaire.
- Mmh... Un jeune, dites-vous. Plein d'illusions et de convictions. Parfait, envoyez-le.
Kivan était dans la forge, en train de taper avec un marteau sur une plaque ventrale d'armure afin de la redresser, tout en maugréant :
- Quand je pense que j'ai quitté la maison pour éviter de devenir forgeron ! J'ai pas la carrure pour ça, j'suis pas assez costaud ! C'est pour ça que l'vieux m'a laissé partir... Et qu'est-ce que j'fais, là ? Je suis forgeron ! Chienne de vie ! Toutes ces années d'entraînement pour rentrer chez les Inquisiteurs, et cette bande d'enfoirés me fout à la forge ! M'ont même pas demandé ce que je vaux à l'épée !
C'était un jeune homme élancé, aux cheveux blonds en bataille et qui n'avait certes pas la carrure d'un forgeron. Ces derniers sont en général épais, avec des bras puissants et des épaules rendues larges par les heures passées à marteler dans la forge. Kivan était pour sa part assez mince, vif et souple. Il avait tendance à se fatiguer assez vite de taper du marteau, marteau qui de son bruit couvrit les pas de l'officier qui s'approchait dans son dos.
- Seconde classe Kivan, appela ce dernier.
Kivan ne l'entendit pas et continua à marmonner après "cette bon dieu d'armure qui ne voulait pas se redresser", obligeant l'homme à réitérer son appel, d'une voix plus puissante.
- Seconde classe Kivan !
Le jeune sursauta et se retourna, abandonnant la pièce d'armure toujours autant enfoncée. Voyant à qui il avait à faire, il se dépêcha de se mettre au garde à vous.
- Mon commandant !
- Ah, tout de même... Repos, ordonna-t-il. Seconde classe, j'apporte des nouvelles que vous allez certainement apprécier ! J'ai la joie de vous délivrer votre première mission.
Kivan cligna des yeux, assimilant l'information. Des mois qu'il attendait ce moment, et le voilà qui arrivait enfin.
- À quelques lieues au nord de la ville, reprit l'officier, se trouve un domaine terrien, dont le propriétaire a été accusé de viol par une jeune paysanne. Je veux que vous alliez enquêter.
- À vos ordres, commandant ! Je pars de suite !
- Holà, non ! Ne soyez pas si pressé, seconde classe. Allez d'abord vous préparer. Prenez un uniforme, une épée, et surtout un bain. Vous allez être amené à côtoyer des personnes de haut rang, et pour l'instant vous puez la sueur et la fumée. Allez, partez.
- Oui mon commandant !
Et Kivan s'exécuta.
Une fois qu'il fut sorti de la pièce, le commandant murmura pour lui même :
- Vraiment parfait. J'espère juste que ce pèquenaud ne va pas nous discréditer devant ces seigneurs de pacotille, avec ses manières de forgeron...
Sorti du bain, Kivan était maintenant à la recherche d'un uniforme. Malgré son admission au sein de l'Ordre des Inquisiteurs, quelques mois auparavant, il n'en avait jamais porté, ni même jamais vu... Il se rendit donc au magasin, où étaient entreposés les uniformes. Celui-ci était constitué de deux pièces : le stock et l'entrée, séparées par un comptoir. Un homme d'âge mûr, grand et musclé dont la barbe grisonnante était barré d'une vilaine balafre le salua :
- Besoin d'un nouvel uniforme, petit ?
- Euh... oui, répondit Kivan, tout en parcourant la pièce du regard.
L'homme marmonna quelques mots en rapport avec sa taille et sa largeur d'épaules avant de disparaître dans l'autre salle. Kivan s'approcha du comptoir et s'y accouda. De là, il pouvait voir une partie du stock : des dizaines de carrés de tissus bleu nuit étaient empilés dans des étagères. Ce devaient être les uniformes pliés, se dit le jeune homme. Il aperçut également une grande boîte en bois peint, posée dans un coin.
Le grand barbu revint avec un des carrés de tissu sur le bras, et dit à l'attention de Kivan :
- T'es là depuis peu toi. Je t'ai jamais vu avant. Seconde classe ?
- Euh... Oui.
Il posa l'uniforme sur le comptoir et alla ouvrir la boîte. Kivan pu voir que les carrés de tissus étaient en fait des grandes capes munies de larges capuchons. Le magasinier revint avec une épingle en bronze représentant une plume.
- Tenez, c'est pour la fermer, lui dit-il en lui tenant la plume.
- Euh, vous en avez pas de moins... Moche ?
L'homme éclata de rire.
- T'es vraiment nouveau toi ! T'en auras une plus belle quand tu monteras en grade. Seconde classe : plume en bronze. Caporal, plume en argent. De Sergent à Adjudant chef, c'est des pointes de flèches. De major à Lieutenant, c'est des feuilles d'érable. Les officiers supérieurs ont des soleils, et le général a un soleil en or. C'est comme ça. Bon, allez, passe à l'armurerie pour te trouver une épée, et bonne chance pour ta première mission petit gars !
- Merci, répondit le jeune homme d'un ton hésitant.
Il fit demi-tour après avoir récupérer ses affaires, puis se dirigea vers l'armurerie.
Les couloirs de la citadelle étaient noirs comme la suie, ainsi que tous les murs de la ville de Magoariek. Et dans l'un d'eux, il croisa deux personne : un homme et une femme, en pleine conversation. Lui était grand et très musclé, avec des cheveux ras et un visage recouvert de cicatrices et la trentaine bien passée. Elle était un peu plus petite que Kivan, peut-être vingt-cinq ans, avec des cheveux noires jusqu'aux épaules et des yeux verts qui firent trébucher le jeune homme. Qu'est-ce qu'elle est belle, se dit-il. Ils se croisèrent sans qu'elle ne le remarque.
- ...tu sais très bien ce que j'veux dire, disait la demoiselle. On n'a de plus en plus de boulot, avec tous ces brigands, et on devrait être payé plus.
- Moi je vois pas pourquoi, lui répondit le grand type. On fait notre boulot, c'est tout, et plus y a de types à zigouiller, mieux c'est. J'vais certainement pas me plaindre...
Kivan se rendit compte qu'il s'était arrêté de marcher pour pouvoir les suivre du regard plus longtemps, mais il se rendit également compte qu'il avait les yeux fixés sur le bas du dos de la jeune femme. Elle marchait avec une grâce naturelle hors du commun, et ses hanches se balançaient en un mouvement envoûtant. Le jeune homme se secoua et repris sa route.
L'armurerie était une grande salle dont les murs étaient recouverts d'armes, d'armures et de boucliers de toutes sortes. Kivan était déjà venu plusieurs fois, pour son travail à la forge. Il connaissait donc également l'armurier, qui le salua chaleureusement. C'était un homme trapu, assez petit, au crâne chauve et à la barbe bien garnie.
- Qu'est-ce que tu fais là, sans mon armure ? demanda-t-il sans inimitié.
- Bah en fait, j'viens chercher une épée.
L'homme remarqua alors l'uniforme au bras de Kivan, et un sourire naquit sur ses lèvres.
- Alors ça y est, le moment est venu ? J'vais te chercher ce qu'il te faut.
- D'accord, merci...
Il revint avec une épée longue en acier qu'il lui mit dans la main.
- Essaie ça !
L'épée était trop lourde pour le jeune homme, qui lui fit faire gauchement quelques moulinets, qui firent s'esclaffer l'armurier.
- Ma grand-mère ferait mieux que toi, si elle était encore de ce monde ! La pauvre vieille a voulu chasser une meute de loups qui rôdaient autour de sa ferme...
- Elle a été dévorée vivante ? s'exclama le jeune homme, horrifié.
- Pas du tout ! Elle est tombée dans la rivière après en avoir eu terminé. Elle savait pas nager...
- Elle s'est noyée ?
- Non, elle s'est prise un rocher, ça lui a fendu le crâne. On a retrouvé son corps quelques lieues en aval, la tête comme une noie écrasée.
- Ah, euh... Et sinon, pour mon épée, changea-t-il de sujet. T'aurais pas plus léger ?
- Bah ! Les épées courtes c'est pour les femmes et les mauviettes !
- Fais donc comme si j'en étais, je préfère ça que de mourir pour n'avoir su parer un coup !
- Comme tu veux, céda l'armurier.
Il alla ranger l'épée longue et revint avec une beaucoup plus courte à lame large.
- Voilà, mais l'exhibe pas trop, si tu veux pas mourir de honte !
- Merci, ça fera l'affaire. J'la modifierai sûrement, quand j'aurais le temps. Maintenant, faut vraiment que j'y aille ! Bonne fin de journée !
Quand il s'était mis en route, fier dans son magnifique uniforme neuf, et son épée à la ceinture, Le soleil brillait de tout son éclat dans un ciel bleu azur. Mais quand Kivan arriva à destination, après quelques heures de marche - les chevaux étant mobilisés pour les combattants - le ciel était noir de nuages et un orage se déchaînait. Il avait donc son capuchon rabattu sur sa tête en pénétrant dans une auberge au bord de la route.
Lorsqu'il franchit la porte, un éclair illumina le ciel noir, et toutes les personnes dans la salle stoppèrent leurs conversations pour le regarder. Quelques murmures s'élevèrent des tables, dont Kivan ne saisit que le mot "Inquisiteur". Il tenta de dissimuler sa fierté alors qu'il faisait un pas vers le comptoir. Les conversations reprirent. Le jeune homme s'adressa à l'aubergiste, sa tête toujours dissimulée sous son capuchon - il pensait que cela lui donnait l'air plus sérieux.
- Je viens enquêter sur une affaire de viol. Vous êtes au courant de quelque chose ?
- Hum... Évidemment. La vieille Anis a fait tellement de boucan autour du viol de sa fille. J'vous sers quelque chose ?
La cape de Kivan était chaude et protégeait bien de la pluie, mais il avait beau s'emmitoufler dedans, le vent parvenait toujours à s'infiltrer.
- Quelque chose de chaud, oui, s'il vous plait.
Il continua de questionner l'aubergiste tandis que celui-ci remplissait un bol de potage.
- Et vous en pensez quoi ?
- Oh, vous savez, nous on n'y croit pas trop. Faut vachement trier ce qu'elle dit la vieille. Par exemple, elle maintient qu'elle a vu un démon traverser son champs la semaine dernière ! Un démon... N'importe quoi... Elle a même pas été fichue de le décrire, et tout le monde sait qu'ils existent plus depuis des siècles ! Tenez, ajouta-t-il en lui tendant le bol de soupe.
Le jeune homme tira quelques pièces de sa bourse et continua :
- Et où se trouve leur ferme ? J'aurais quelques questions à leur poser.
- Pas difficile. Vous continuez tout droit sur la route que vous avez prise pour arriver - vous venez bien de la grande ville, hein ? bon - et puis vous verrez, c'est la première ferme sur vot' droite.
Kivan paya sa soupe et remercia l'aubergiste avant d'aller s'asseoir à une table libre, pas trop loin du feu, pour déguster sa soupe. Il commençait à se réchauffer et enleva son capuchon.
Un groupe de trois hommes, que Kivan avait vu à une table un peu plus loin que la sienne, vinrent s'installer à la sienne. Personne n'était jamais venu s'asseoir à sa table avant qu'il n'ait cet uniforme. Il en éprouva un certain plaisir, qu'il s'efforça de dissimuler. Un Inquisiteur est toujours sérieux. Les trois étaient de taille moyenne, l'un châtain et les deux autres bruns. Ils avaient le visage dur de ceux qui travaillent dehors à longueur de journée, même par la plus froide des journée d'hiver.
Après quelques instants, l'un des bruns prit la parole :
- Mes potes et moi on a entendu que vous vous renseigniez sur la petite Samira, déclara-t-il d'une voix grave.
- Je ne savais pas son nom, répondit Kivan, mais oui, ce doit être elle.
- Bah voilà, on voulait vous dire que c'est sûrement des conneries. On la connaît bien, nous cette fille, et c'est le genre qui refuse jamais un câlin, si vous voyez ce que je veux dire. Enfin vous vous en rendrez compte par vous même, si vous y allez, m'enfin y a pas grand intérêt. Vous allez sûrement découvrir que c'est sa mère qui a piqué une crise de nerfs après l'avoir surprise dans le foin, ou un truc comme ça. Vous avez sûrement mieux à faire, non ? Enfin bon, moi j'dis ça comme ça.
Kivan but une gorgée de potage et répondit :
- Et bien, merci les gars, mais je pense que j'vais quand même y faire un tour. Je voudrais avoir la version de tout le monde, vous comprenez ?
- Ouais, bien sûr. M'enfin c'est dommage de se mouiller sous la pluie pour ça, c'est ce que j'veux dire.
Kivan finit sa soupe et se leva, puis dit aux trois hommes :
- Bon, merci pour les renseignements. J'y vais maintenant.
- Bonne chance, lui répondit celui qui lui avait parlé.
Il rabattit son capuchon, réajusta sa cape et sortit sous l'orage.