La Pierre de Tear fait peau neuve ! L'aventure continue sur www.pierredetear.fr !
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La bande de sable fin s'étendait à perte de vue, bordée par le rivage d'une mer paisible dont les vagues avançaient puis reculaient indolemment. L'air était chaud et sec. L'homme avançait d'un pas lent sur la plage, de telle façon que ses pieds nus reçoivent la fraîcheur bienvenue du ressac. Il avait abrité son visage sous un chapeau de paille, de ceux que les pêcheurs arborent durant leur labeur sous le soleil brûlant. Du moins le supposait-il. Il marqua un temps d'arrêt, campé sur ses jambes maigres, et respira à pleins poumons l'air iodé. Nul bruit ne se faisait entendre à part celui du calme va-et-vient de la mer. Après un long moment passé à contempler le mouvement des vagues, il fit volte-face et observa la courte piste que formaient ses traces de pas dans le sable humide. Le témoin de sa présence au sein de ce paysage tranquille ne débutait que quelques dizaines de mètres plus tôt; au-delà, la plage était vierge, pas une marque ne venait troubler l'harmonie du lieu. Remontant ses traces, l'homme s'arrêta à l'endroit où elles étaient apparues, et avec un soupir de mélancolie il revint d'où il était venu.
La silhouette contrefaite referma avec difficulté la porte à travers l'ouverture de laquelle le chaud soleil reflété par le sable blanc teintait la pièce d'une lumière vive. Le claquement du pêne interrompit le doux bruit du ressac. L'homme retourna en claudiquant vers son fauteuil, s'assit lentement et entama les vérifications d'usage, les rouages du mécanisme de sa jambe droite, les pompes principale et secondaire, le filtre du soufflet installé dans son thorax. Il effectuait les gestes avec minutie et précision, chaque opération s'enchaînant à la suivante dans une danse saccadée ponctuée par les cliquetis et soufflements qu'émettait son corps détruit puis reconstruit. Enfin, une certaine aisance de mouvement retrouvée, il se mit en chasse.
La pièce était petite, du moins de la manière où les sens peuvent l'appréhender, mais les cachettes y étaient innombrables. L'obscurité ambiante n'arrangeait évidemment pas les choses. Mais il ne pouvait en être autrement.
La détermination avait depuis longtemps quitté l'homme solitaire. Il s'acquittait désormais de sa tâche avec la force de l'habitude, mêlée d'une lassitude qui croissait inexorablement. Il poussa un levier placé sur son bras gauche, longue écharde dans une plaie à vif et pourtant partie intégrante de son être depuis toujours lui semblait-il. L'appareillage compliqué qui formait un amas de tubes le long de son dos se mit en branle. L'appareillage difforme qu'il était devenu prit vie. L'atmosphère de la pièce changea subtilement, comme si la proie avait perçu la présence du prédateur, pas tout à fait à portée des sens, mais implacablement à l'affût. L'homme mécanique percevait maintenant les infimes pulsations dans les murs, le sol, au plafond. Les parois lisses s'agitaient à présent, des ombres minuscules dansaient follement à leur surface. Points d'obscurité glissant les uns entre les autres, tourbillonnant, s'entrechoquant pour dessiner des formes fugaces mais rémanentes si l'on glissait le regard de côté. Formes qui tourmentent la mémoire, évoquant des souvenirs passés, oubliés, perdus. Souvenirs mordant, griffant, se débattant pour s'imposer de toute leur hideur.
La lame trancha. Une gerbe d'un sang pâle jaillit en même temps qu'un doigt tombait sur le sol. Avec une habileté née de l'habitude, la machinerie vivante fixa prestement la prothèse qu'elle avait tenue prête. Un nouveau bruit s'ajouta au concert des rouages, pistons et poulies alors qu'il pliait et dépliait la phalange mécanique.
La pièce avait retrouvé son immobilité. La machine se permit un soufflement, simulacre de soupir, tandis qu'une intense flamme réduisait à néant le résidu organique. Elle revint se placer sur le fauteuil d'un pas lent et régulier. Sa carcasse était la victoire et la défaite d'un combat trop longtemps mené, chaque rajout corporel trophée d'une chasse inutile et nécessaire, vaine et indispensable. Elle avait depuis longtemps cessé de s'interroger sur le sens de son action.
Sa vision embrassait le mur le plus large de la pièce, celui où se trouvait la porte qu'elle avait empruntée quelques instants auparavant, au milieu d'une rangée d'autres portes identiques. Elles étaient une anomalie, complètement étrangères au champ d'action d'une machine effectuant la tâche pour laquelle elle a été conçue; pourtant la promesse de ce qui se trouvait au-delà de ces seuils alignés éveillait un écho chez elle. Aux tréfonds de son corps, sous les pièces métalliques et artificielles, dans la partie humaine qui subsistait encore, pulsait un désir sourd. Des saccades étrangement organiques s'emparèrent de la machine, alors même qu'elle ne pouvait plus produire de larmes. Enfin elle se redressa, se dirigeant avec hésitation vers la porte la plus éloignée. Son bras se leva vers la poignée.
La femme avançait sans bruit sous les frondaisons. Il avait plu récemment, et l'air portait encore une odeur âcre mais loin d'être déplaisante. Alors qu'elle approchait d'une clairière, elle accéléra soudain, pour le simple plaisir de courir, faisant fuir une volée d'oiseaux. S'arrêtant brusquement, elle réprima l'envie de regarder derrière elle. Secouant la tête, elle reprit sa course, faisant jouer ses muscles exercés sous sa peau bronzée. Elle s'était choisi une tunique ajustée qui ne gênait pas ses mouvements, comme en portaient les athlètes lors des courses de fond. Du moins le supposait-elle. Elle contournait avec aisance les arbres aux troncs noueux, se baissait parfois pour éviter une branche basse, sans cesser sa course. Elle ne vit cependant pas la racine camouflée par un tapis de feuilles et s'étala de tout son long, faisant virevolter brindilles et débris végétaux. Se redressant sur ses bras, elle éclata de rire, prête à repartir. C'est alors qu'elle distingua sur le sol dur ce qui ne pouvait arriver. Pas ici. Des ombres minuscules dansaient devant ses yeux tandis que son rire se muait en sanglots et que le désespoir déformait ses traits.
La lame trancha.