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La guerre de Troie aura lieu
(Sujet créé par Kellen l 04/02/08 à 14:01)
non favori


C'est une histoire que j'ai commencé il y a peu, j'hésite encore sur la suite, ayant 2 façons de considérer les choses à l'esprit.
J'espère que le début au moins vous plaira.



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Kellen
02/02/2008 14:46
Ferme les paupières, rejoins la nuit.

Aujourd’hui est un jour pas comme les autres. A force de s’y être projeté depuis des semaines, de l’avoir imaginé sous toutes ses formes et non les moindres en allant jusqu’à en rêver nuit et jour, on a l’impression singulière d’être un corps étranger expérimentant une nouvelle attraction maintes fois visitées. Pourtant, on le sait, on le sent, cette fois-ci sera différente. Ce n’est pas une émotion particulière, une appréhension singulière, c’est plus un instant qui s’étire en longueur, épineux peut être, coupant, certainement. Aujourd’hui est mon dernier examen de passage, celui qui scellera mon avenir d’un sceau éternel en Histoire et culture du savoir. Après huit années d’études et de labeur, la fin du tunnel s’engage sur la voie royale, celle de l’incertitude. Je sais les choses, les dates, les faits, les hommes, mais cela n’est pas suffisant. Il est nécessaire d’avoir ce sixième sens, celui de l’instinct qui appréhende le monde sous la forme d’un puzzle en dimension humaine. Chaque pièce est différente et peut s’emboîter à différentes endroits car on ne décrit pas juste le passé mais le monde, la vie, les secrets. Lire et déchiffrer voilà qui est bien, ressentir et dépasser, voilà qui est mieux.
Mon rythme cardiaque s’accélère, ma respiration se fait plus difficile. Etrangement, quand son avenir est en jeu, l’homme se fait devin, pressentant le monde autour de lui avec une acuité nouvelle, particulière, presque mystique. La porte s’ouvre sur le couloir de verre couleur de suie. Un homme d’un certain âge, aux yeux rieurs m’appelle. Je me relève avec la souplesse d’un chat, mon corps s’élance mais mon esprit s’attache au banc, se dédoublant pour mieux apprécier le spectacle, de loin, extérieur, farceur.

- Alors Cassandre, tu es prête pour ton examen.

Ma voix a décidé de rester sur le banc en compagnie de mon système nerveux légèrement indisposé par cette dose de stress qui l’a inondé. Je hoche la tête par réflexe, pâle, très pâle.

- Ne t’inquiètes pas, tout va bien se passer. Tu es l’une de mes meilleures élèves.

Mon professeur est un historien formidable, le meilleur qui soit, mais il manque parfois de ce sixième sens qui fait que parfois les gens savent qu’il vaut mieux rester muet que trop en dire. Mon sang se glace dans mes veines, cristallisant son poison venimeux en une brume pesante et piquante. Je finis par observer la pièce dans laquelle nous sommes. Des souvenirs reviennent à ma mémoire ankylosée. Au centre, cocon de cristal et de racines en fibres de verre, s’étend la machine que mon professeur a inventé il y a de cela quelques années. Un artefact pouvant placer l’esprit dans un contexte historique particulier, permettant à la volonté ainsi emprisonnée en son sein de vivre les faits, de les mettre en place selon son instinct, ses envies pour vérifier une théorie, un événement inconnu et incertain. Véritable révolution dans le monde des sciences humaines, cette création est une merveille de technologie qui recèle un secret, celui de sa construction. Le bruit court qu’il existe une fonction particulière sur cette machine, celle de remonter le temps, de visiter par soi même le temps lui-même. Mais cette théorie fantasque se trouve loin de mes synapses à ce moment là, loin de vouloir remonter le temps, je voudrai l’accélérer, prendre la télécommande de Chronos et dépasser l’instant crucial. Cet instant justement.

- Cassandre, un chiffre je te prie.

Malgré tout son savoir et son génie, lui, le créateur d’un artefact presque incroyable, conserve des habitudes d’un siècle éteint depuis longtemps. Je le vois déjà jouer de ses petites mains rebondies avec les sujets en vieux papier flétri par les ans.

- Un, monsieur.

Il prend alors la feuille numérotée du chiffre qui scellera mon avenir : le premier, l’unique, celui qui ne reviens jamais deux fois. Ces petits yeux rieurs savourent le moment qui semble durer mille ans. J’ai la vague impression d’être plongé entre l’instant d’avant et celui d’après, dans un interstice, sans repère, éphémère et pourtant éternel.

- Voici ton sujet Cassandre : Origine de la guerre de Troie, symbole et interprétation dans le sang.

Mon sang justement qui l’instant d’avant était de glace, passe à l’état de vapeur brûlante, suffocante. De pâle, je n’ignore pas que je viens de tourner au rouge pivoine le plus humiliant qui soit. Les mots tournent dans ma tête, s’entremêlant sans pouvoir se lier. Vide, je me sens vide. Vidée. Mon esprit ne m’a toujours pas suivi, solitaire et fier de demeurer loin de tout ce cirque. Mon professeur me conduit ensuite à sa machine et m’installe de façon confortable entre les longs droits crochus d’une espèce pseudo organique de glace et de métal. J’appréhende le contact de ma peau contre cette plante aux racines hybrides, mais rien ne se passe, je suis comme insensible. Insensibilisée par la peur. Il installe sur mon front et mes poignets de drôles de rubans argentés, diffusants dans mon organisme une solution inconnue aux propriétés oniriques. Il s’assied à sa table de contrôle, long panneau aux couleurs chatoyantes et active quelques boutons d’un cliquetis vif, rompant le silence d’une monotonie languissante. Le sujet de mon examen danse dans ma tête, les mots clefs s’entrechoquent en une réaction chimique inefficace, aucun produit ne se mêle à la soupe, aucun. Je réprime un soupir qui s’achève en une lente agonie de mes sens. Je sens mon esprit revenir à moi et s’endormir, insidieusement s’épanouir dans une vision déformée de la réalité. Les contours s’altèrent, les couleurs se désagrègent, les bruits se meurent, j’oublie tout et ne pense à rien, emportée. En cet instant, unique, précis, je me sens bien, délivrée. Puis, le gouffre, la nuit. Nyx.

****

Il fait beau, je m’absente dans les méandres de cette étude météorologique absoute de tout examen ou note sur laquelle on pourrait me juger. Mais rapidement, ma priorité s’impose à moi sous la forme d’une image dont je n’aurai jamais cru pouvoir un jour être le spectateur attentif. Troie, ville idéalisée tant de fois dans l’histoire. Troie, irréelle cité auréolée d’une gloire sans âge est là devant moi. Troie, mythe et guerre d’un lointain passé personnifiant en cet instant mon avenir. Etrange illusion, improbable paradoxe. C’en est alléchant. Le fait de confronter ses propres désirs à cette cité engloutie par le feu et les flammes d’innombrables fois me rend mes esprits. Au départ, spectatrice de mon avenir, j’en deviens actrice, profondément, irrémédiablement. C’est une chose de vouloir devenir quelque chose mais d’y faire face et de savoir qu’on ne s’était pas tromper en est une autre. Plus qu’une délivrance, c’est une obsession.

Nimbée de la lumière du crépuscule, elle apparaît presque fragile, sanctifiée par les rayons de la nuit qui l’enveloppe déjà. Pourquoi donc ai-je choisi de la représenter sous cet aspect vespéral ? Elle qui a toujours éblouit de son éclat ? Peut être que parce que justement la chute d’un joyau est plus tragique sous le dais de la déesse Nyx, plus juste aussi. La frontière entre le jour et la nuit, ce moment où le temps est en suspend, presque hésitant, pourtant déjà certain de la suite, est un délice, celui de la fin d’une ère et du commencement d’une aura indicible. Troie est ainsi, légende où le mythe de la richesse et de la prospérité rencontre ses failles et ses limites. Presque enfantin.
Bien que la nuit telle un manteau de suie emporte couleurs et saveurs dans son périple séculaire, je distingue encore les trirèmes au large ainsi que les bivouacs de l’armée en contrebas de la colline. Toute la Grèce est représentée, tous ses héros et ses guerriers sont rassemblés au pied de la cité. Donc la dixième année du siège est entamée, Troie agonise déjà. La chute est décidément envoûtante, elle peine, mais on ne peut s’empêcher de la regarder, de l’admirer même. Que dis je, je parle trop. Je réfléchis trop. Laisse toi porter par l’Histoire, observe, vis. De toutes façons, tu interpréteras inconsciemment se qu’il se passe. Fonds toi dans le moment, fais abstraction de ce que tu es, profite.

Et c’est ainsi que j’ai vécu la guerre de Troie, que je l’ai interprété.
Thismardoch
04/02/2008 14:01


Très beau texte, comme toujours. J'aime beaucoup l'idée d' "un artefact pouvant placer l’esprit dans un contexte historique particulier, permettant à la volonté ainsi emprisonnée en son sein de vivre les faits, de les mettre en place selon son instinct, ses envies pour vérifier une théorie, un événement inconnu et incertain." (en corrigeant au passage une petite faute sans importance)
Kellen
10/02/2008 22:00
Ferme les paupières, rejoins la nuit.

Merci beaucoup Thismardoch.

Je réfléchis à la suite, comme je l'ai dit j'ai 2 visions légèrement différentes qui sont encore en balance. Apparemment les deux idées n'ont pas encore bien muri dans ma tête car aucune des deux ne se détachent véritablement. C'est bientôt les vacances, je pourrais alors me poser un peu et souffler pour me concentrer sur cette histoire et la finir. ^^ J'ai hâte.


Mais c'est quand même étrange, pour le moment, j'ai presque peur d'écrire, peur d'être déçue de ce que je vais faire. La fatigue surement. J'espère que cela va passer.


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