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On nous raconte de belles histoires...
(Sujet créé par DarkShadok l 25/10/07 à 15:41)
J'ai entendu parler du Storytelling Management pour la première fois ce matin, mais il parait que c'est une tendance de fond de ces dix dernières années. Cet article résume bien de quoi il s'agit, l'étendue de ses applications, ainsi que ses dangers potentiels. Il y a aussi un article à ce propos dans les Inrocks de ce mois-ci, qui développe la notion de "narratocratie" (j'essaierai de me le procurer).
Pour résumer, le storytelling management, c'est le fait de présenter les événements sous forme d'une histoire, dans des domaines divers et variés, la psychologie, le management d'entreprise, le marketing, la politique, ou toute discipline dans laquelle on a besoin de transmettre de l'information ou simplement de convaincre son interlocuteur. Bref, le champ des applications est très vaste.
Et ce qui rend le storytelling management si efficace, c'est que l'esprit humain est naturellement disposé à recevoir de l'information sous forme d'histoires.
Je fais le lien avec La science du Disque-Monde de Terry Pratchett, où l'auteur parle de l'élément narrativium, omniprésent sur le Disque-Monde (et qui fait que ce qui a une chance sur un million de se produire se produira immanquablement dans les faits) mais absent de notre monde. Il développe cette notion justement parce que nous avons tendance à organiser les faits selon une histoire, un schéma narratif. Et il en pointe les dangers dans le domaine de la science, où les faits sont les faits et où il ne faut pas se laisser entrainer dans des interprétations abusives.
Cet avertissement est évidemment également valable dans les autres domaines où le storytelling management s'applique, puisque l'on cesse de s'adresser à notre intelligence et notre raison, pour nous bercer de jolies histoires et nous amener là où l'on veut.
Heureusement ce genre de manipulation peut être déjoué, si on en connait les ficelles, mais il faut être vigilant.
Lilla Mu ! Bizarreland........ Das ist das Land der begrenzten Unmöglichkeiten
Mettre les faits en mots, c'est déjà les raconter...
Quant au "schéma narratif" qui entoure les faits, c'est le BA-ba de la pédagogie. Toute notre éducation est construite autour d'histoires.
Ce storytelling management, c'est rien de plus que de la rhétorique mise au goût du jour.
S'il y a danger, il ne vient pas des histoires en elles-mêmes, mais de l'incapacité croissante des gens à faire preuve d'esprit critique.
"Ce que cherchent les élèves, trop souvent, c'est une réponse de catéchisme «ce qu'il faut penser de... » et dans leurs devoirs ce qu'ils disent c'est ce qu'ils croient que l'on doit dire. Or le principe de l'enseignement littéraire est de leur faire admettre qu'il n'y a pas de dogme tout fait et qu'à chacun sa vérité. C'est à ce prix qu'on les arrache au troupeau et qu'on les rend à eux-mêmes." Jean Onimus
Edit : Et une autre pour la route :
Plus une société devient démente, plus le langage a pour charge de planquer cette démence derrière un lexique fréquentable. Daniel Pennac
J'ai lu l'article des Inrocks intitulé "Il était une fois (la politique aujourd'hui)", qui reprend en fait les mêmes arguments que l'article que je cite en en-tête, puisqu'il présente le livre Storytelling - la machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits de Christian Salmon, l'auteur de ce dernier article.
Il les situe cependant dans la perspective des récentes élections présidentielles et de la communication officielle actuelle; cette dernière est quelque chose de plutôt nouveau en France alors qu'elle existe depuis longtemps déjà aux États-Unis ("Le président est le scénariste, le metteur en scène et le principal acteur d'une séquence politique qui dure le temps d'un mandat").
Effectivement Lilla (et merci pour les citations ) l'article ne fait que présenter cette méthode particulière d'articuler les faits, les décisions, les actes; il ne préjuge pas de nos réactions en retour ni de notre capacité à analyser ce type de discours. Et c'est là dessus que je m'interroge en fait... avons-nous les armes pour décortiquer les annonces et les discours, pour nous défaire de ce penchant que nous avons à vouloir nous en laisser conter? Est-ce que ça fait partie du jeu, de consciemment se laisser mener en bateau pour ensuite éventuellement rétorquer, de la même manière ou non? L'article parle de "citoyens infantilisés"... en sommes-nous là?
Lilla Mu ! Bizarreland........ Das ist das Land der begrenzten Unmöglichkeiten
Sur l'article de Salmon :
C'est assez curieux de voir un article contre "le narratif" utiliser des procédés narratifs... Que fait l'auteur à part construire un récit d'enquête accumulant les preuves contre le "storytelling" en y ajoutant la dose nécessaire de mise en garde, l'once de "frisson devant le danger"...
Et puis, les citations... Ca fait scientifique, ça fait sérieux n'est-ce pas ? Sauf que traduire une citation et en remettre des morceaux en VO entre parenthéses... ça rime à quoi ? (et non, ça ne précise rien du tout en général)
Je note aussi la belle répétition de "story" qui contribue à donner l'inquiétante impression que l'on est littéralement () envahis d'histoires.
Bref, juste un peu de mise au point pour souligner combien il est facile de se laisser prendre, faudrait pas s'en laisser conter par cette histoire d'histoires, hein ?
Heum bonsoir j'suis nouvelle, me suis déjà présentée là où il le fallait :].
Je pense avoir un lien qui a un certain rapport avec ce que vous dites, ici.
Même si parfois ça paraît assez exagéré, on reconnaît des choses de notre vie à tous dans certains des exemples mentionnés. Ils ne sont pas tous directement liés au storytelling management, mais je trouve l'article finalement intéressant.
Les articles en rapport avec le storytelling sont plutôt les 1, 5, 6 et 7 (avis personnel).
A Lilla: Certes, je n'avais pas du tout vu ça sous cet angle... enfin même en déconstruisant l'article, il en reste toujours quelque chose; déjà on a probablement besoin d'un discours narratif pour transmettre de l'information (d'où l'utilisation du procédé dans l'article même), ensuite l'article n'est pas contre le narratif à mon avis, il en souligne également les aspects positifs, ou pour le moins les côtés utiles.
A zelizZ: Effectivement ce sont des procédés qui s'en rapprochent ou qui recoupent le storytelling management (qui lui-même est je pense un agrégat de techniques diverses). Par contre je ne suis pas d'accord avec le ton général de ce lien, qui semble souscrire à une certaine théorie du complot, comme quoi cette désinformation ambiante serait orchestrée en haut lieu.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'on peut toujours dénoncer l'inanité du 13h de TF1, mais les sources d'information sont là, il suffit d'ouvrir un journal ou pourquoi pas un livre d'investigation sur un point précis si on souhaite obtenir une information plus complète. Je ne pense pas qu'il y ait une rétention d'information sciemment organisée (du moins dans la partie du monde ou nous vivons). Je ne nie pas que la tentation existe de la part de personnes de pouvoir (politique ou économique) de manipuler l'information, mais je pense que globalement ils n'y réussissent pas, ou alors imparfaitement.
Par contre je ne connais pas la proportion de gens qui ne cherchent pas à s'informer au-delà de ce qu'on leur sert au 20h et, de la même façon, je me pense correctement informé, mais finalement je ne peux pas en avoir la certitude. Tout ce que je dis c'est que les sources d'information existent bel et bien (et je ne peux que déplorer qu'elles ne soient pas plus faciles d'accès).
P.S.: sans aucun lien narratif voici un lien vers un article obligeamment fourni par un mangeur de cookies qui souhaite garder l'anonymat
Je suis tout à fait d'accord, on peut si on veut, et le lien que j'ai donné est plutôt exagéré. Mais j'ai bien peur que la proportion de gens qui voient plus loin que leur poste télé soit encore assez réduite.
Tout ça me rappelle quand même mon bon vieux cours de civilisation romaine, qui dit que, à une époque où le sentiment national commencait à se détériorer, quelques écrivains comme Tite-Live ont écrit de joulies histoires qui montraient l'exemple de forts et courageux hommes (et femmes d'ailleurs) qui se battaient et se sacrifiaient héroïquement pour Rome... Comme quoi, on ne change pas une équipe qui gagne : les tripes répondent souvent de façon plus arrangeante que le cerveau .
C'est qu'Edward L. Bernays est généralement reconnu comme l'un des principaux créateurs (sinon le principal) de l'industrie des relations publiques et donc comme le père de ce que les Américains nomment le spin, c'est-à-dire la manipulation – des nouvelles, des médias, de l'opinion – ainsi que la pratique systématique et à large échelle de l'interprétation et de la présentation partisanes des faits.
On pourrait définir cet ouvrage comme de la propagande en faveur de la propagande, puisqu'il en vante les mérites à destination de ceux qui pourraient en avoir usage (principalement hommes politiques et grands patrons).
J'ai commencé à lire la préface, et ce qui y est présenté fait froid dans le dos, tant on en retrouve des échos dans notre environnement contemporain, et aussi parce que les implications des théories de Bernays nient l'idée même de démocratie tout en s'en réclamant.