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Sauveur des Ames
(Sujet créé par Phèdre l 29/09/07 à 00:56)
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LE SAUVEUR DES ÂMES





« _ Pour finir capitaine Fox, votre comportement et celui de votre équipage est totalement inadmissible. Vos manières en tout point déplaisantes, vos absences aux réunions des capitaines, vos… très mauvaises habitudes sur le terrain frôlent chaque fois un peu plus la limite des actes délibérés de séditions. Sachez, capitaine, que votre avenir à vous et aux membres de votre équipage au sein de cette armée est relativement compromis. ..:



Le commandant Kragen, soixante années allongées, raides et rachitiques comme la misère de ce monde, avait les coudes posés sur le bloc de métal et la couche de dossiers en désordre qui constituaient son bureau, dans sa cellule de six mètres carrés. Petite pièce presque nue éclairée par une rangée de spots diffusant une lumière crue, agressive, qui contrastait impitoyablement les traits et les mouvements. Sa peau parcheminée et tendue était surmontée de courts cheveux gris virant au blanc neige. Le trait mince et strict de ses lèvres restait invariablement horizontal et ne s'ouvrait que pour énoncer des mots calmes, presque doux, déversant un venin qui faisait trembler de terreur la plupart des jeunes capitaines. Des joues creuses, des pommettes saillantes et un nez en bec d'aigle affûtaient encore plus le regard déjà acéré de petits yeux noirs enchâssés sous des sourcils broussailleux.



A la différence, le visage et la plastique tout en courbes charmantes du capitaine Fox , son sourire naturel , ses grands yeux noisettes pétillants et la myriade de dreadlocks rouges qui la coiffait tranchaient d'autant plus avec l'austérité inquisitrice du commandant. La jeune femme prit une brève inspiration résolue et répondit de sa voix rythmée et intelligente :

_ Vous parlez de cour martiale mon commandant ?

_ Le conseil y songe sincèrement, rétorqua sèchement le vieil homme qui n'attendait que cette occasion ; mais nous avons d'autres préoccupations plus urgentes en ce moment. Vous n'ignorez pas les conséquences de la panne temporaire des systèmes hydroponiques dans le quartier 8 sur nos stocks de protocéréales, ce qui n'arrangent pas nos affaires. Et je ne parle pas des récentes et étranges fluctuations que l'on constate dans certaines zones d'émission. Vous comprendrez donc aisément, capitaine, que j'ai autre chose à faire que de convoquer une séance exceptionnelle pour vous et vos deux têtes brûlées.



Du baratin. Il y avait plus de deux cents quartiers sur Zion, soit autant d'étages habitables étalés sur vingt kilomètres en profondeur. Chaque étage était une strate de plus creusée dans la croûte terrestre. Deux cent cinquante mille âmes en tout dont la quasi-totalité, excepté les membres de la flotte et quelques marginaux, restaient cloîtrés dans son quartier. Les quartiers étaient constitués d'un anneau de trois kilomètres de long relié par au plus, trois ponts de traverses de presque deux kilomètres de longueur.

Par conséquent, presque aucun étage ne communiquait entre eux, du moins pas sur un rayon de plus de cinq niveaux. Le conseil étant de surcroît le seul pouvoir à contrôler les rares diffusions télévisuelles générales : il pouvait faire circuler les informations qu'il désirait entre tous les niveaux sans que les autres aillent se tracasser pour aller en vérifié la validité. Une vitesse très réduite des élévateurs reliant les niveaux qui rendaient le voyage entre ces derniers horriblement longs étant le principal tracas de ce genre d'aventure.



Le capitaine était toujours planté au garde à vous devant le bureau de Kragen. Cela faisait plus d'une demi-heure qu'elle essuyait l'ire empoisonnée du commandant. Ce qui les différenciait ? La couleur des haillons qu'étaient les larges et épais pulls en laine qu'ils portaient. Rouge pour les capitaines. Bleue pour les hauts gradés de l'armée. Eux avaient au également droit à des galons pour différencier les grades et les affectations. La jeune femme répondit distinctement, d'un ton aussi neutre que possible, contenant de justesse une montée de colère qui allait une fois de plus lui porter préjudice :

_ Mon commandant, nous avons l'hovercraft le plus vieux de la flotte et la C.S.V a affirmé à plusieurs reprises que ce vaisseau était dans un état qui rendait plus qu'aléatoire la survie de ses occupants. Avez-vous entendu la moindre chose à propos d'une plainte de ma part ou de celle de mon équipage ? Vous nous avez coupé depuis un peu moins d'un an toute opportunité d'action sur le terrain, en dépit des anciennes statistiques de missions, en nous cantonnant uniquement aux missions de surveillance et à quelques débranchements occasionnels. Vous n'autorisez mon hovercraft qu'à emprunter uniquement les zones d'émission le plus éloignées et les plus exposées à l'ennemi et elles me semblent bizarrement loin d'êtres fluctuantes celles-là. Ces deux dernières années pourtant, le Prajapati à lui seul, a débranché plus d'intervenants que tous les équipages affectés à cette catégorie de mission. Nous avons même battu le record de 104 débranchements que détenait l'équipage de l'Esperanza. Vous et le…conseil, avez balancé votre nouvelle émoulue chair à canon dans des appareils flambants neufs avec lesquels vous nous faisiez baver depuis des mois. Nous étions et nous ne sommes que trois. Nous avons obéi sans la moindre protestation. Nous obéissons toujours. Et vous me parlez d'actes délibérés de séditions ? Sauf votre respect, vous seriez pas un peu en train de vous foutre de ma gueule mon commandant ?



Kragen se leva tel un diable sortant de sa boîte, sa voix gronda comme le restant de la colère de 01 :

_ Vous l'aurez cherché capitaine ! Pour votre insolence envers un supérieur qui frise la tentative d'insubordination, je vous suspends vous et votre équipage durant six mois jusqu'à nouvel ordre. Votre vaisseau restera condamné et en cale sèche. Demain matin, à 05/15 standard, je veux vous voir vous, le lieutenant Zik et l'officier Crow au niveau 187-B pour des tests cyberpsychologiques menés par le Docteur Volstoff.



Elle reçut la nouvelle comme un uppercut très vicieusement placé. Ca n'était pas la lente et douloureuse litanie des tests cyberpsychos pratiqués par le docteur Volstoff, - affectueusement surnommé le boucher cérébral – et de sa truculente équipe : série de microchocs localisés, EMEG, néo-Rörschar, Wisconsin VIII et autres violentes douceurs du même acabit uniquement crées pour faire cracher son venin à Volstoff et les briser physiquement et moralement. Ca n'était pas non plus le mépris, la suspicion et le déni qu'inspiraient ces tests au reste des habitants de Zion. Non, le pire c'était la suspension.

Six longs mois pareils à six décennies pour elle et ses compagnons. Une torture, la pire de toutes. Et Kragen le savait parfaitement. Mais elle n'avait pas pu retenir sa dernière remarque ; c'était ça ou foutre son poing dans la gueule de ce vieux salaud.



_Maintenant disparaissez de ma vue capitaine et si j'étais à votre place, je tâcherais de filer parfaitement droit dans les temps à venir. Vous avez une lourde épée de Damoclès au dessus de la tête et je ne crois pas qu'il faille longtemps avant qu'elle ne tombe. Continuez à jouer les merdeuses et l'on verra vraiment qui commande dans cette armée. Je ferais de votre cas et de celui de votre équipage un exemple pour tous. Rompez, aboya Kragen.

_ A vos ordres, commandant.



La jeune femme sortit de la cellule les mâchoires serrées. Elle débordait d'une haine acharnée, muette et implacable qui se diffusait en elle comme le plus sûr des poisons. Grignotant sur son passage les notions de conscience, d'obéissance et d'ordre. Il fallait faire quelque chose. Oui mais quoi ?... Direction : niveau D : les quais.

Elle avait quitté l'office du commandant située dans le quartier 198-a soit trois niveaux en dessous des quais. L'ascension lui avait pris une vingtaine de minutes, sans compter les dix minutes moyennes d'attente de l'élévateur.

Par dépit plutôt que par vertu le capitaine avait été tentée de faire un crochet par le niveau 197 et son temple dédié à Vishnou. C'était l'un des rares cultes qui avait résisté au Nouveau-Bouddhisme ; la plupart des autres religions s'étant engluées dans d'obscurs schismes avant de sombrer peu à peu dans l'oubli. Faute de leaders charismatiques après la seconde phase de la Guerre, elles avaient succombé. On trouvait bien sûr disséminés ça et là des autels chrétiens, juifs ou musulmans mais les fidèles qui ne s'y arrêtaient qu'un instant devenaient de moins en moins nombreux au fil des ans. Presque aucune croyance connue n'avait survécue à la renaissance du bouddhisme revu et corrigé il y quelques années de cela par un membre très éloquent du conseil dont Fox avait oublié le nom. Elle avait renoncé à aller adresser une prière au temple.



Elle voulait en finir au plus vite avec cette histoire brûlante comme l'acide qui la rongeait de l'intérieur. Elle devait prévenir son équipage de la sanction, les tripes encore nouées par la rage. Cette mise aux arrêts, cet emprisonnement déguisé allait être plus néfastes encore que les tests cyberpsychos. Cette interdiction de vol signifiait la perte totale de liberté de l'équipage. Que ce soit hors de ce trou à rat censé être le dernier bastion de l'humanité, dans la géante étendue intestinale des réseaux d'évacuations qu'ils utilisaient pour leurs vols ou dans la jungle grisante de la Matrice. C'était ça leur liberté. Celle qu'ils avaient choisis en avalant la pilule rouge. La liberté qu'ils défendaient, qu'ils servaient, qui les faisait manger, boire, dormir, respirer. Et cette suspension, cette perte totale de liberté, était capable de rendre l'équipage complètement malade en peu de temps et c'est ce que Kragen voulait.

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Ses propres pas et le fil de ses sombres pensées menèrent la jeune femme à travers les quais toujours encombrés, bruyants et grouillants d'une faune aussi bigarrée que pressée. Des équipages de six ou sept hommes et femmes qui arrivaient ou partaient, toujours leur barda en alutane brillant sur le dos. Les équipes de maintenances en combinaison orange sombre, les équipes de nettoyage dans de larges tabliers vert foncé. Une organisation de guingois qui tournait pourtant à la perfection depuis bien des années.



Elle arriva à l'embranchement 8 et reconnu d'un coup d'oeil tous les hovercrafts posés sur les cinq promontoires libres. Ici le Busted Hope, classe 2. Il se faisait installer une nouvelle tourelle KM 8 sur son sabord droit. Là, le Renegade, classe 1, relié à une infinité de gros hydrotubes. Il était à quai pour se ravitailler et remplacer le revêtement en quavlar d'un morceau de la coque. Là encore, le Kaiser, également classe 1. Son ingénieur bedonnant poussait des jurons contre les chefs-opérateurs et le temps qu'ils mettaient à apporter les dirnen de cellules de refroidissement à l'azote. Pièces dont il avait grandement besoin bordell von Scheisse. Enfin, emplacement 4, le Prajapati, son hovercraft, son bébé : trente mètres de long, la moitié de large. Vingt tonnes de métal grinçant et presque aussi vieux que Zion elle-même. Allongé au bout du promontoire comme un chat endormi et famélique sous un soleil écrasant.

Le Prajapati était l'un de ces anciens modèles d'hovercraft de classe 1 équipés d'un sas latéral plutôt qu'un sas de poupe. Une ouverture dont les joints d'étanchéité et le système de verrouillage tombait bien souvent en carafe. De cette plaie béante elle apercevait un bout mal éclairé du pont inférieur, très mal éclairé d'ailleurs. Les ratées du système électrique et le manque effarant d'ampoules au xénon s'étaient conjugués pour éliminer la moitié de l'éclairage du vaisseau. On pouvait voir la solide échelle menant aux autres ponts, la porte rouillée de la cabine de Crow et un bout de la traverse menant à la salle des machines. Dans un infime soupire le regard du capitaine remonta le long des flancs bombés et décrépits de l'hovercraft, c'est là qu'elle le vit :



Juché à califourchon sur le dos du vaisseau, la clé anglaise pressurisée dans une main, le thermo-soudeur dans l'autre, il travaillait encore à débloquer le système rotatif de l'unique tourelle du vaisseau : un vieux modèle Handcannon calibre 57. Il tombait en panne presque tous les jours de la semaine s'achevant par –di mais ne les avait jamais lâchée dans les moments cruciaux. Merci Vishnou. Crow n'était pas petit mais pas non plus excessivement grand. Solide sans être trapu, son visage taillé au burin affichait toujours cette bonhomie placide qu'on lui connaissait. Crow avait été débranché par Fox quelques semaines avant Zik, le pilote et dernier membre d'équipage. En un temps record, il avait décroché haut la main le diplôme d'ingénierie. Quand ensuite il avait poussé la porte de l'école des opérateurs on lui avait d'abord ri au nez. On lui avait ensuite dispensé les cours avec un sourire en coin, certain qu'il se découragerait tout seul. Il avait finit par avoir son diplôme devant une rangée d'yeux ronds et de bouches bées. Et c'était une véritable prouesse pour un débranché. La totalité des opérateurs étaient des nés à l'ancienne : n'ayant jamais eu de contact avec la Matrice, ils la décodaient naturellement sur leurs écrans. Né de et dans la Matrice, Crow n'avait vu au début que les désespérantes lignes de codes verts qui tombaient en pluie sur ses moniteurs. Mais au fil du temps, il commença à y voir ce qu'il appelle encore aujourd'hui « autre chose ». La performance de Crow était tout simplement incroyable : il avait un double rôle principal dans la survie de l'équipage dans l'hovercraft comme dans la Matrice. Il s'était attiré la jalousie muette de tous les opérateurs après un travail sur lui-même tout simplement colossal. C'était un homme purement efficace qui jonglait aussi aisément avec le contenu de sa boîte à outils qu'avec les quatre claviers de son poste d'opérateur.



Il se redressa de son travail, essuya la sueur sur son visage du revers d'un bras ponctué de plugs et aperçu le capitaine.

_ Ow…Captain ! Ca s'est si mal passé que ça avec le Crade ? demanda-t-il sans autre conviction que de poser une question purement rhétorique.

_ Réunion. Maintenant.

L'ingénieur avait identifié le ton péremptoire des très mauvais jours. Il gratta un moment son épaisse chevelure noire, rangea soigneusement ses affaires et descendit calmement par l'échelle de secours. Il retint même une envie de siffloter.



Avant de pénétrer dans le vaisseau, le capitaine avait aperçu son second. La silhouette du lieutenant Zik s'était un instant découpée dans la lumière bleutée du cockpit. La proue de l'appareil était allongée comme une bouche de dauphin car elle obéissait à des règles aérodynamiques et esthétiques devenues aujourd'hui obsolètes et, dans un accès de nostalgie – certains diront prétention - Fox avait voulu qu'on tatoue sa bête d'un renard aux couleurs flamboyantes. Situé juste en dessous des vitres derrière lesquelles s'affairait le lieutenant le dessin avait depuis lors perdu de sa superbe et s'écaillait à certains endroits. Mais il était toujours là, comme elle, comme Zik, comme Crow et ni Kragen ni les machines, ni personne, ne pouvait changer quelque chose à ça.

Une demi-minute plus tard les trois officiers étaient rassemblés sur le pont central. Crow affalé plutôt qu'installé à son poste d'opérateur, Zik sagement assis sur le cuir usé et décrépit d'un des fauteuils de branchements et Fox faisant face aux deux.



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DragonSlayer
29/09/2007 00:56
Administrateur

Je ne connais pas le "background" de l'univers Matrix par coeur mais il me semble que le concept de l'oubli progressif des religions est illogique, puisque les gens libérés de la matrice devraient tout de même partager leur foi et donc continuellement renouveler leur dogme respectif.

A part ce point de détail, je trouve que cet extrait est tout à fait bien écrit. Les termes anglais (dreadlocks, hovercraft...) sont justifiés par l'univers et dans cette optique rien ne me choque particulièrement.

L'auteur est loin d'écrire très mal à mon sens
Maedhros
29/09/2007 01:00
Clown-Paysagiste

Je plussoie, une écriture extrêmement riche.

J'aimerais bien savoir ce que donnera, par la suite, une histoire parallèle de Matrix. (en tout cas elle commence vraiment très bien!)

J'aurai voulu aborder un détail sur la valeur qu'attache l'auteur à ses textes. Je ne pense pas que nos avis changerons vraiment quelque chose sur sa façon de voir ses écrits. S'il n'aime pas sa façon d'écrire, ou s'il n'a pas confiance en lui au niveau de la crédibilité de ses textes, le problème reste le même. Être en désaccord avec soi-même, c'est un problème qu'on règle seul avec le temps et l'habitude (plus simple à dire qu'à faire oui...).
Kellen
01/10/2007 10:50
Ferme les paupières, rejoins la nuit.

J'aime beaucoup.

Une écriture rythmée et riche, une histoire qui nous tient en haleine.
Cela se lit avec plaisir.

POur le concept de l'oubli progressif des religions, je trouve que cela ne semble pas si illogique que ça au sein d'une infime partie de l'humanité froide et rationnelle qui tente de survivre malgré tout.
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