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Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
MEMOIRES (cycle)
MEMOIRES 1
L'autel de ma mémoire est bâti sur le vent
Chaque pierre taillée, chaque souffle scellé,
Je les ai patiemment disposés au levant.
A l'orient, j'ai dressé une victoire ailée.
J'ai tendu par devant les pans de l'oriflamme,
L'honneur de ma maison où croissent les chardons.
J'ai semé tout autour les épines du blâme,
Les larmes d'une femme, les roses du pardon.
Trop souvent je consume l'encens des souvenirs,
Le poids d'un héritage sur le marbre volage,
Mais si je sacrifie au plan d'un devenir,
C'est m'enfuir sans bagage, sans souci de partage.
Mes mains ensanglantées, ce temple ont élevé,
Mes pas exténués souvent m'y ont mené,
Parmi les morts anciens dont les noms délavés
Sur la pierre tracés, m’accusent d'être né.
MEMOIRES 2
Aux temps immémoriaux des confins de l'Histoire,
Le ménestrel accroche les oripeaux du chant
Et brode aux souvenirs un brouillard de mémoire.
La rose est dépouillée parmi les fleurs des champs.
Le chanteur insouciant que j'écoute, distrait,
Sait-il, cet innocent, qu'en narguant ma douleur,
Il risque à tout moment d'être percé d'un trait
Qui le rendrait jumeau de ma propre pâleur.
Les noms de mes ancêtres et leur péché ancien
Ne lui donnent aucun droit à l’emporter sur moi :
Des accords insensés qui ne riment à rien,
Mais dont ce rimailleur croit susciter l'émoi.
A moi seul appartient de célébrer l'effroi
Que les miens autrefois répandaient ici bas
Et le juste courroux qui priva de leurs droits
Ces orgueilleux barons et aujourd'hui m'abat.
MEMOIRES 3
Des noms tissent mes nerfs par leur chant insistant,
Une toile d'angoisse, qui, au métier tendue,
Jusqu'au point de rupture, me lie aux temps perdus.
L'ancien sang chante encore, à des siècles distant.
Le vol blanc des gerfauts, au déclin de l'été,
Dessine d'un mystère l'insondable rébus.
Fin ou commencement, je rêve d'un début
Qui me révèlerait ma propre vérité.
La parole inspirée m'octroiera le pouvoir
D'entendre du passé les plaintes des mourants
Qui des rois sans couronne vinrent grossir les rangs.
Leur silence est bruyant et m'impose un devoir.
La lente théorie qui hante ma mémoire
De tous ces anciens rois et mes lointains ancêtres
Réclame que je sois de leurs hauts faits le prêtre
Et qu'à leurs noms honnis je restitue la gloire .
MEMOIRES 4
Les grands vitraux brisés où sont peints mes aïeux
M'opposent avec morgue leur perfection sinistre
Et réclament de moi que je sois leur ministre.
Le soleil lent se couche en deuil sanglant des cieux.
Il jalonne ma route d'éclats où se recueillent
En nuances fanées les fumées de la gloire,
Tandis que je parcours du temps les vains prétoires
Et le devoir me lie au parage des cercueils.
Haut lieu de mon histoire, prison de la mémoire,
Je trace dans le Livre avec une encre noire,
Dans cette salle hantée, la trame de leurs jours.
Mes pères orgueilleux et insoucieux d'autrui
Veulent que je relève ce qu'eux-mêmes ont détruit,
Que sur l'espoir ruiné j'édifie une tour.
MEMOIRES 5
Ils sanctifiaient pour eux les fruits de leurs rapines
Et tenaient pour hauts faits le vol et le pillage.
Les Bardes célébraient l'horreur de leurs ravages
Qui en tous lieux semaient le chardon et l'épine.
Leurs flèches s'enivraient du sang de leurs captifs,
Leurs épées dévoraient la chair des vains fuyards
Et ils se réjouissaient, fanfarons et braillards,
Se moquant de la veuve, de l'orphelin chétif.
Je déchiffre des mots écrits au sang des larmes
Qu'un scribe, de sa plume usant comme d'une arme,
A jadis griffonnés en manière d'hommage.
On voudrait que j'absolve, il faudrait que j'expie
Les crimes impunis et les péchés impies
De ce sang corrompu que j'ai eu en partage ?
MEMOIRES 6
La corruption déjà sévit au coeur des fleurs
Et au sein du bonheur a germé le malheur.
La superbe des miens annonçait le déclin
De ces hautains seigneurs à la violence enclins.
La plume à mes doigts gourds pèse plus qu'une épée
A maudire la guerre sans désirer la paix.
La cire pâle coule, lentes larmes d'un cierge
Sur le vélin précieux et le parchemin vierge.
Je mêle l'eau de source à la suie la plus noire
Mais l'encre dont je trace les chants de leur histoire,
Plus rouge que le sang suinte de mes blessures.
Le manuscrit maudit se nourrit de ma vie.
Quelqu'un m'a-t-il un jour demandé mon avis
Pour m'enclore en ces murs comme moine en bure ?
MEMOIRES 7
Ces vantards fastueux, posant sur moi leur joug,
Qu'exigent-ils sans fin, sinon que je les loue,
Faisant tout pour leur gloire, avec rien pour moi-même.
Ma semence ne sera qu'un long jet d'encre blême.
Sacrifiant ma lignée à l'honneur du lignage,
Vais-je rester cloîtré jusqu'au bout de mon âge
Et dans l'abstinence n'engendrer que des mots
Jusqu'à ce que vieillesse m'accable de ses maux ?
Ces rouleaux que j'écris, ces codex que j'entasse
Seront donc de ma vie la misérable trace ?
Dois-je pour obéir me conduire en eunuque ?
Et faut-il pour servir toujours courber la nuque ?
Ma progéniture morte avant d'être née
Gît entre les pages reliées de cuir tanné.
A la place de fils germeront mes ancêtres,
Puisque de leur tombeau il faut que je sois prêtre.
MEMOIRES 8
Dans les miroirs brisés, j'interroge mon âme
Et dans mes yeux ternis, je cherche en vain la flamme
Qui jadis y dansait, d'impatiente jeunesse,
Lorsque j'errais, serein, loin de nos forteresses.
J'avais fui sans retour ces lieux pesants d'histoire,
Les mains vides d'argent, mais le coeur lourd d'espoir
Et je n'avais requis nulle bénédiction
De ceux dont j'exécrais les terribles passions.
Mais leurs coeurs enhardis à bien faire le mal
S'avisant que j'étais leur dernier enfant mâle
Lancèrent les filets, me brisèrent les ailes
Et à m'émasculer employèrent leur zèle.
Ils avaient pris pour eux les plus belles des femmes
Et couché des serves dans les lits de leurs dames.
Ils m'ont ôté le droit, commun à tous les hommes,
D'espérer une épouse et pour mon coeur un baume.
Dès le commencement était le dénouement
Car le juste paiera pour l'oeuvre du méchant.
La sentence prévue contre leur vile gloire
Me condamne à écrire dans ce maudit grimoire.
MEMOIRES 9
Je taille ma plume et remplis l'encrier
De souvenirs glanés auprès des serviteurs.
Mais la voix des humbles chevrote de frayeur.
Ils murmurent tout bas ce qu'ils devraient crier.
Les soudoyers bornés, les écuyers naïfs
Qui combattaient jadis pour mes aïeux cruels,
Se sont faits paysans, ou maniant la truelle,
Ont abandonné l'arc que l'on sculptait dans l'if.
Ils ont forgé leurs socs dans le fer des épées.
Sur les autels blanchis, ils ont offert des gerbes
Nées du sang répandu à gros bouillons dans l'herbe.
A ce prix croyaient-ils pouvoir gagner la paix ?
Leurs langues se figeaient, refusant le partage,
Quand je les implorais de m'aider dans ma tâche.
Leurs lèvres dessinaient le terme affreux de lâche,
Parce qu'ils m'accusaient de fuir mon héritage.
MEMOIRES 10
Serai-je apostat et dépourvu de foi ?
Laisserai-je inouïs les temps emplis d'effroi
Que le nom craint des miens marqua d'un sceau sanglant.
Aux oreilles des morts vais-je prier hurlant ?
Dans les nuits sans sommeil, je médite ma fuite
Gardant l'esprit ancré sur des projets sans suite.
Heureux l'homme qui dort après son dur labeur
Car il ne marche pas dans les voies de la peur.
De leurs gestes fameux, de leurs propos acerbes,
Sur l'aire de battage je porterai les gerbes .
Mon coeur sera le crible pour apurer ces grains.
La moisson achevée, le Livre terminé,
Ma tâche à bien menée, je suis déterminé,
Exultant dans la mort, à vanner mon chagrin.
MEMOIRES 11
Je prendrai mon envol au-dessus des nuées.
J'aurai rompu mes liens, j'aurai jeté ces cordes
Et rêvé au repos que le trépas accorde.
Mes morts s'endeuilleront, geignant sous les huées.
Leur ambition est vaine, leur espoir illusoire
De croire pour toujours conservés leurs hauts faits
Que ma plume accuse comme autant de méfaits
Dont ils ont exigé que j'écrive l'histoire.
Mes aïeux sont troublés par mon rictus railleur.
Et j'acquiers l'amnésie par le biais d'un ailleurs
Qui m'ôtera bientôt de célébrer leur gloire.
Le Manuscrit damné, au sort d'un palimpseste
Sera abandonné avec mes pauvres restes.
Ignoraient-ils qu'ainsi périrait leur mémoire ?
Je poserai ma plume sur la page achevée et l'encre coulera comme une ultime larme. Je me verserai une pleine coupe d'un vin doux comme l'oubli et le boirai d'un trait, sans même respirer. Je négligerai de couvrir mes épaules de ma cape, abandonnée comme un homme ivre sur un vieux coffre aux ferrures rouillées. Je sortirai dans le couloir sombre et, ma main gauche frôlant la pierre froide, je prendrai d'un pas vif la direction de la tour d'angle, non la plus haute mais celle qui surplombe le ravin le plus profond, suffisant pour y trouver la mort, crâne éclaté, membres rompus, entrailles répandues sur les rocs acérés.
Un vent âpre, aux senteurs balsamiques, m'accueillera lorsque je poserai le pied sur la plateforme. Sans l'ombre d'une hésitation, je me hisserai sur un merlon et l'alcool qui embrasera mes veines éclatera alors de rire. Je défierai mes geôliers, ces pères que je hais, et les dieux insensibles. J'avancerai, un pied suspendu comme pour marcher sur l'air et je serai ...
Libre.