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Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
REBELLE
Quiconque me verrait, pour fou me tiendrait.
Je vocifère solitaire, immobile sur l'adret
D'un pic ardu dont la roche s'abreuve du sang
De maints compagnons, ceux-là étaient mille et cent
Qui ont mêlé leurs jeunes vies à la terre noire.
J'étais leur capitaine. Que retiendra l'histoire ?
L'insensé aspirait à une vaine gloire ?
Voulait-il des nations marteler la mémoire ?
On me nommait lumière du monde, signal des peuples,
Des hommes me suivaient. Mais rien n'est jamais simple.
J'ai abattu l'arbre du bien et du mauvais.
Jai laissé mes compagnons croirent que je savais
Où menait le chemin de notre rébellion.
Pour mon nom ils se sont battus comme des lions.
Bras puissants, têtes dures, coeurs cerclés d'airain
De courage et d'ardeur, ils avaient ceint leurs reins.
Leurs lames nues gravaient le sourire de la mort,
Béant, dans la chair offerte à l'amen du plus fort.
Fils des vastes forêts, enfants des bois profonds,
Ils ont été semés sur les flancs secs des monts
Pour être moissonnés à la fleur de leur âge,
Convaincus d'assigner aux peuples un message.
Mais l'oubli videra de sens leur sacrifice,
Les mères effaceront jusqu'aux noms de leurs fils!
Nous étions mille et cent affrontés à dix mille
Imaginant avoir, eux, la partie facile !
Pour un des miens tombé, plus d'un l'accompagnait.
Pas un des miens tombant n'a voulu me renier.
Les vautours, dans les airs effroyable couronne,
Affamés du banquet que la guerre leur donne,
Attendent l'agonie du dernier défenseur,
Celui qui des nations s'érigeait en censeur.
Mais je reste debout, retenant mes entrailles,
Contemplant le champ de mon ultime bataille,
Huant les rois charognards prêts pour la curée,
Réclamant un duel où l'un d'eux me tuerait
A moins que, plein de rage, malgré mon ventre ouvert,
Ce soit lui que j'envoie au grand festin des vers !
Mais la flèche que je sens bien plus que je ne vois,
Issue d'un arc couard, vient de trouver sa voie
Et c'est sans surprise que ma poitrine accueille
La mort qui me flétrit comme une simple feuille
FAUX DIEUX
Regarde, me disait le dieu d'Ishakar, regarde :
L'aigle vole, qui fut jadis sur la tour de garde.
Vois-tu ? La faux de son bec dégoutte de sang.
Regarde, me disait le dieu d'Ashkallon, regarde.
Guette, de peur que l'armée en marche ne tarde !
Ce sont les fils et les filles. Ce sont tes enfants !
Regarde, me disait le dieu des Siècles, regarde :
Dans la vallée profonde, ce flamboiement qui arde
Quels yeux supporteraient ce soleil éclatant ?
Regarde, me disait le dieu exsangue, regarde :
Cela n'est-il pas digne du meilleur chant d'un barde ?
Et serais-tu jaloux qu'un autre ait ce talent ?
Regarde, me disait le dieu sans visage, regarde :
Plus en avant, aperçois-tu ces faces hagardes
Qui désespèrent d'échapper à leurs poursuivants ?
Regarde, me disait le dieu ricanant, regarde :
Cette laine si blanche que tes furieux cardent
Pour que de bel écarlate elle s'aille teignant !
Regarde, me disait le dieu inconnu, regarde :
Les cris atroces roulent sous les lames blafardes
Et les clameurs des tués hanteront le vent.
Regarde, me disait le dieu de mes pères, regarde.
Es-tu si orgueilleux que l'oeuvre de la camarde
Te donne de régner sur quelques survivants ?
Silence, dieux vains ! Car si vous ne prenez garde,
Vos ors et vos pourpres bientôt seront des hardes.
J'ôterai à jamais les fumées de l'encens!
SACRIFICE
Ecarte les pierres et aplanis le chemin.
Mon unique, ne dévie ni à droite ni à gauche.
Tranche d'un coup les ronces traîtresses qui accrochent
Les longs pans de ton manteau et griffent ta main.
Ote tout ce qui pourrait te faire trébucher.
Ne te retourne plus sur ce qui flatte les yeux.
Ne relève pas le défi des orgueilleux.
Jette sans regret tes vanités au bûcher.
Mon fils, affermis ton pas si le sentier monte,
Garde la tête haute pour que je n'aie pas honte
Et réjouis mon coeur malgré toute ma peine.
Redresse-toi si par malheur tu tombes !
Fasse que les dieux réclament ton corps à la tombe,
Car ton immolation abolira la haine !
INCERTITUDES
Tu ouvres ta main et l'amertume ensemence
Le long sillon dévié de ces antiques races
Dont les temps décisifs, pas plus que quelques traces,
Ne laissent au soleil que poussières qui dansent.
Ta bouche exprimera toute louange en vain
Car qui se souviendra qu'elles furent anéanties,
Veuves d'un futur dont on les croyait nanties,
Mères d'un long déclin prédit par les devins.
Estime la brume au plateau de la balance.
A cette aune juge le poids du temps qui passe.
Des dieux inscrutables la patience se lasse
Et le néant châtie des humains l'arrogance.
Alors emplis ma coupe et buvons de ce vin
Car qui peut dire de quoi demain sera bâti ?
Et contre ma poitrine, ton beau front tu blottis
Sans t'inquiéter plus d'un avenir incertain.
J'ai donné ton nom
Seul le vent dans les ramures peut connaître qui j'aime.
Ce soir je suis monté sur ma plus haute tour
Et j'ai donné ton nom au crépuscule blême.
J'ai donné ton nom aux larmes de pluie sur mes jours,
J'ai donné ton nom à l'aigle fendant le ciel,
J'ai donné ton nom au nuage passant, lointain,
J'ai donné ton nom à l'éclair couleur de fiel,
J'ai donné ton nom à la pierre tiède sous ma main.
Eux seuls sauront en garder intact le secret
Nulle oreille d'homme ne l'entendra jamais.
Ton image est cachée aux regards indiscrets
Dans mon vaisseau de pierre au rocher arrimé.
Si je donne ton nom aux splendeurs de l'orage,
Si je le donne encore au regret de nos corps,
Ma mémoire marquée au fer de ton visage
Le donnera à notre amour et à ta mort.
Fratricide
Contre moi mon frère commit la transgression.
Le fils de mon père m’infligea l’oppression.
Son cœur insincère médita l’agression
Pour me mettre à terre, jouir de ma suppression.
Car le mal pour le bien, le trompeur me rendit.
Il me livra, ce chien, au poignard des bandits.
Il renia nos liens et en sortit grandi
Car nul n’entendit rien de tout ce que j’en dis.
On le crut mon sauveur, lui-même s’en vantait
Tandis que dans son cœur par le péché hanté,
En proie à la fureur, sans cesse il fomentait
De supprimer l’erreur de notre parenté.
Mon jumeau meurtrier, lui que j’aimais pourtant,
Qu’à genoux je priais d’abandonner au temps
Le pouvoir de trier parmi nos différents,
De mes larmes riait et m’appelait enfant.
Il se moquait de moi qui parlais d’amitié,
Qui invoquais la foi sans nommer la pitié,
Qui rappelais la loi qui nous faisait moitiés
Et doubles par le droit… Il se voulait entier.
Il voulait renaître pour vivre sans partage,
Ne voulant plus être de son pareil l’otage.
Me voir disparaître lui donnait l’avantage.
Il arma un reître pour vivre sans image.
Le bref inventaire sur ma pierre tombale,
La poignée de terre sur mon visage pâle,
Le cri qu’on fait taire sous le poids d’une dalle
Firent de mon frère le dernier enfant mâle.
Le chef de la lignée, l’aïeul rébarbatif
Rendit sans rechigner un jugement hâtif.
On lui vint désigner un pauvre homme craintif,
Il n’eut plus qu’à signer l’acte vindicatif.
Fut-ce par lâcheté qu’il maudit l’innocent
Et jugea mérité de répandre son sang ?
Mon frère héritait et devenait puissant,
Aisé à irriter et volontiers blessant.
Toutefois le pouvoir n’était pas son objet.
Il m’avait dit vouloir exister sans reflet,
Briser l’odieux miroir dans lequel il n’était
Qu’une simple mémoire et un vague projet.
Un instant à peine me fit naître l’aîné,
Cultivant sa haine envers qui était né
Du ventre de la reine avant lui, le puîné.
Premier sur la scène, ses espoirs je ruinais.
Le couteau par deux fois décida de mon sort
Il sera bientôt roi, unique par ma mort.
Mais sous le marbre froid, l’assassiné qui dort
N’oubliera pas la voie qui lui causa ce tort.
AMERTUME
Ancré au noir rocher dont mes lointains ancêtres
En des temps oubliés ont fait leur forteresse,
Dominant un pays où elle était maîtresse,
J'écoute le vent qui chante dans les hêtres.
Il me parle de plaines où les moutons vont paître,
De riches pâtures où les vachères laissent
Vaguer le gros bétail dans l'herbe qui l'engraisse,
Sous les bénédictions que psalmodient les prêtres.
Moqueur, il me raconte des Cités où paraître,
Vêtu de soie et d'or, courir où tous se pressent,
Posséder le pouvoir autant que la richesse
Sont appris aux enfants comme premières lettres.
Ce souffle ardent évoque ceux qui partent soumettre,
Commandant des armées, combattant sans faiblesse,
Etonnant le monde qui vante leurs prouesses,
Conquérant des royaumes pour y régner en maître.
Parfois même il m'apporte, doucereux et traître,
Des parfums capiteux dérobés dans les tresses
De jeunes filles en fleur, aux yeux lourds de promesses,
Ignorant jusqu'au nom du lieu qui me vit naître.
Voici bien trop longtemps que je traîne mes guêtres
Dans ce val ignoré des dieux et des déesses,
Me lamentant sans cesse et rongeant ma détresse !
Ce départ désiré, pourquoi donc le remettre ?
LE SALAIRE DU PECHE
Ce ciel gris qui pleure est un beau jour pour mourir.
Ignores-tu, mécréant, quel est ton salaire
Et que pour avoir envers moi pris de grands airs,
Tu délaisses sans recours le meilleur pour le pire ?
Vois, car j'arme mon bras de mon juste courroux !
Tu as voulu croire aux tentations de la gloire.
Cette coupe que jusqu'à la lie tu vas boire
C'est celle de ma colère qui va courber ton cou.
J'ai enduré longtemps tes puérils caprices,
J'ai pardonné comme à un compagnon fidèle
Tes ingratitudes, tes fréquents propos rebelles
Jusqu'à ce que confiance et amitié périssent.
On me loue généreux, on me dit magnanime.
En vain pourtant à mes pieds tes genoux se plient,
Tout aussi vainement ta bouche me supplie :
La déception accroît la fureur qui m'anime !
Ne sais-tu pas qu'on moissonne ce qu'on a semé ?
En ce moment même la hache du bourreau s'apprête
Et bientôt de ton sang elle va se repaître !
Tu sauras en mourant combien je t'ai aimé ...
Ni dieu, ni homme
On crie au blasphème, on me jette l'anathème,
Je suis un spectacle pour les dieux, pour les hommes
Car j'ai marqué mon front de l'onction du saint chrème.
De l'ambroisie divine j'ai respiré l'arôme.
Le monde est devenu la scène de théâtre
Où un maître trompeur dirige les acteurs.
D'un sceptre de fer, j'en veux être le pâtre.
Le dernier acte ne me verra pas spectateur...
Elles hurlent dans les douleurs de l'enfantement,
La terre et la mer, parce que les jours sont mauvais.
Elles enfanteront pour un achèvement.
Qui d'autre que moi pourrait tenir où je vais ?
J'ai racheté le temps, j'ai réduit les années,
Je me révèlerai pierre d'achoppement
Pour les Puissants dont l'ardeur soudain s'est fanée
Devant l'ange maudit qu'ils proclament dément.
Gardez vos coeurs entiers, veillez sur vos esprits.
Les dieux m'ont désigné comme pierre de touche.
Ecoutez le conseil, vous en savez le prix,
Dédiez moi sans tarder la louange des bouches !
MENTOR
Il était le seul digne de recevoir l'honneur
Je m'approchais de lui en l'appelant seigneur
Et fouler son chemin faisait tout mon bonheur.
Il m'était comme un frère, il m'était comme un père
Les paroles de sa bouche me servaient de repères
Et vous vous étonnez que je me désespère !
Il était celui qui seul vraiment comptait
Bien plus que ces héros dont les exploits contés
Elèvent pierre à pierre les remparts du Comté.
Mes pas il a guidé et mon bras soutenu
De ses âpres bontés, à l'âge d'homme venu,
Avec un coeur complet je me suis souvenu.
La couronne de fer, trop lourde pour mon front,
Il l'a consolidée, sans m'en faire un affront
Je n'étais qu'un surgeon, issu de l'ancien tronc.
Sans répit il oeuvrait à édifier la paix
Rachetant des contrées au fil de son épée
Regagnant des empans sans crainte de duper.
Il a mis sa grandeur au service de ma gloire
Il ne se souciait pas de rentrer dans l'histoire
Je n'aurai de cesse qu'on honore sa mémoire.
ECUMES
Les amers marécages de mes amours mortes
Les sombres amarrages au charnier des coeurs
Les mornes pillages des vains miroirs brisés
Les funestes appareillages qui m'emportent
Aux tristes rivages où glapit le malheur
Sur la trame absurde des tombeaux arasés
Les partages félons sur le seuil de la porte
Le lamentable exil sur la foi des menteurs
Le lent fardeau du deuil en orgueil déguisé
Je ferle sur nos torts les voiles du remord
J'aborde au dernier port, sémaphore des morts.
ILLUSION
Illusoire allusion d'illégitime alliance,
Son sourire secret sacrifie mes regrets.
Il dénie la victoire à ma vaine vaillance.
La jalousie se joue de ma joie à son gré.
Le silence du sang qui suinte de ma plaie,
De mon coeur arraché, ridicule hochet,
L'implore sans répit et sans pitié lui plait.
Nos noces égaieront le nocturne nocher.
LA BETE
Fer
Enfer
De la guerre !
Monte de la terre
Une bête sauvage
Toute affamée de carnage
Issue du plus ancien des âges.
Ses crocs déchiquètent avec rage,
De la mort elle paie le salaire
Et répand le venin de sa colère.
Le feu et le sang habitent ses orages
Pour que tous sachent qu'elle règne sans partage.
REVOLTE
Toi
Sans toit
Et sans loi
Mais pas sans foi
Tu railles la croix
Et les soldats du roi
Tu cries notre désarroi
Tu te mets à semer l'effroi
A répandre le chaud et le froid
A chasser les riches comme des proies
Tu appelles à briser le joug qui nous broie
Nous rejoindrons tes rangs tu seras notre droit
Homme de sang
Vois-tu ce noir frisson sur les têtes tranchées,
L'écarlate moisson des membres arrachés,
L'atroce fauchaison des corps écartelés ?
Ce n'est que déraison à l'horreur attelée.
Les corbeaux y festoient un funèbre festin,
Leurs becs affreux nettoient les regards incertains
Des orbites vidées de leurs yeux terrifiés.
La guerre est une idée, m'as-tu un jour confié.
Est-ce pour crucifier mon vieux coeur que tu lances
Cet assaut justifié par ta jeune arrogance,
Ce carnage insouciant dans la plaine arasée
Où le vol impatient des charognards rusés
S'abat sur les vivants autant que sur les morts ?
Mais de ce bain de sang n'as-tu aucun remord ?
Tu t'appropries leurs vies avec la convoitise
D'un prédateur maudit, la présomption te grise.
Te détourner du mal est pour toi détestable.
Le sang de ce graal tu répands sur la table
De l'autel consacré en sacrifice odieux.
Crois-tu donc qu'il agrée au Tout Puissant, au Dieu
Que tu prétends servir par des tueries infâmes ?
Il va bientôt sévir, Il hait qui Le diffame.
Le sang des innocents, ton Dieu te le réclame.
Qu'ils soient dix mille ou cent, c'est le prix de leurs âmes.
Vers Lui montent les cris de ceux que tu assailles.
Ils gémissent, ils prient, leurs voix lasses s'éraillent.
Tu paieras le prix fort car plus de mille fois
Tu connaîtras la mort et plus souvent l'effroi.
Du grand pressoir soudain le sang débordera,
De nos veines le vin enivrant te noiera !
L'oiseleur
Tu tisses tes pièges, araignée en sa toile.
Sur le mal tu sièges, tu trônes sous l'Etoile,
Pestilence est son nom, mortelle la lumière
Du soleil des démons qui se rient des prières.
A qui vit sans pardon tu feras bon visage.
De raison et de coeur il perdra tout usage.
Le fiel et le venin seront sa nourriture
Et quant à son chemin : les voies de forfaiture.
Ta face vérolée m'oppose un masque indigne.
Je saurai dévoiler tes tromperies insignes.
Tu n'attraperas plus pour un culte rebelle,
Comme oiseaux dans la glu, mes amis infidèles !
Car je vais donner champ à ma juste colère.
Par les flots de ton sang, je laverai ma terre.
Ton oreille entendra mon puissant cri de haine.
Le royaume a son roi, ce soir ma coupe est pleine.
ALLIANCES
Avez-vous contre moi quelque sujet de plainte ?
Te voilà, mon garçon, avec au coeur la crainte
De déplaire pourtant à celui qui domine.
Tes yeux s'enténèbrent et quel feu les ranime ?
Parle, n'atermoie pas, montre-nous ton courage,
Et sans claquer des dents, expose le message
Que mes loyaux sujets, arguant de leur droit,
T'ont chargé de porter à leur généreux roi.
Mon sceptre étincelle, ma couronne scintille.
Ton ardeur s'étiole, ta bravoure vacille !
Tu soutiens mon regard, jusqu'à moi tu avances
Mais tu connais enfin le poids de ma puissance.
Tu déguises ta peur par un vain artifice.
Ton sot engagement te mène au sacrifice.
Ceux qui t'ont mandaté, au fer cérémoniel
Sans pitié t'ont voué, tel l'innocent agnel
Que le prêtre immole pour attendrir les dieux.
Le crime n'est pas mien, il est leur, et odieux !
Ils me savent cruel et sans miséricorde,
Se montrent les pendus gigotant à leurs cordes.
Et leur oeil sera sec lorsque admirant ta danse,
Ils te plaindront avant de se remplir la panse.
Vas-tu, mon enfant, pour ces gens-là mourir ?
Ils ne veulent d'un chef, bien plutôt d'un martyr !
Tu as quelque valeur et malgré ton jeune âge,
Ton regard dur et froid atteste ton courage.
Je te ferai prince, tu règneras sur eux.
Autour de leurs cous blets, tu serreras le noeud
Que tous voyaient déjà briser ta fière nuque.
Et nous rirons tous deux de ces couards eunuques !
Malédictions
Il adviendra qu'un jour, au terme de l'errance
Vous mêliez votre sang à d'étranges semences.
Les oeuvres de vos mains vous tiendront lieu d'oboles
Et vous adorerez d'improbables idoles.
Abandonnant ma voie pour la fosse et le piège,
Vous serez comme un lieu qu'un conquérant assiège.
Vous avez méprisé mes vraies sollicitudes,
Une indécise foi masquait vos habitudes.
Je vous ai enseigné, vous n'avez rien appris.
Tel des gerfauts criards que l'oiseleur a pris,
Vous serez achetés pour l'humiliante prime
Que jettera au front l'homme fort qui opprime.
Vous serez étrangers sur votre propre sol.
Vous n'aurez que graviers au fond de votre bol.
Vous me rechercherez, rampant dans la poussière.
Sur vous rétributions, décisions judiciaires !
Mais si vous revenez vers moi en vérité,
Vous saurez que je suis roi de fidélité.
Si vous manifesté la crainte salutaire
Je vous rétablirai héritiers de ma Terre.
IDOLES
O gloire indécise, pauvre déesse aptère
Qui tente en vain l'envol vers des cieux délétères
Pour quelle libation puiserai-je au cratère
Le vin noir et puissant des antiques mystères ?
Cette divinité au front pâle et hautain,
Présomptueux démiurge qu'achète le butin
D'une ville assiégée aux cendres du matin,
Exige l'addiction d'un peuple de hutins.
Je n'immolerai pas sur l'autel du carnage
La chair sacrée des miens, le fol comme le sage,
Qu'un dieu insignifiant, à l'impuissante rage
Réclame comme prix de son divin ratage.
Je suis blasphémateur, qu'importe la sentence,
A eux l'ostracisme car c'est moi qui les tance !
N'espérez pas de moi un mot de repentance,
J'assignerai vos dieux aux plus hautes instances.
L'enfant mort
Je me remémore l'instant bleu de ma mort
Sous le sycomore, près du figuier retors.
Les filets de mon sang étoilaient le dallage,
Je n'étais qu'un enfant ignorant des orages.
Quel nom portais-je alors pour un si court destin ?
J'étais faible de corps, prisonnier d'un destin
Dont je ne sais toujours quel monstre l'a tramé.
Dans le sombre séjour, l'apprendrai-je jamais ?
Je jouais, je crois bien, avec une chimère
Fidéle comme un chien, beau présent d'une mère
Dont le visage absent déplore, doux fantôme,
Le trépas de l'enfant qui ne fut jamais homme.
Ses traits sont effacés, j'imagine ses larmes.
L'animal fut passé au fil de la même arme,
Un coutelas brandi par la main criminelle
Qui emporta la vie du fils d'un duc rebelle.
Mon père fut puni en son unique fils.
On exigea ma vie en odieux sacrifice
Pour abattre celui qui se révéla traître
A l'Etoile qui luit, le Dragon, notre maître.
Or les rêves d'un mort ne sont-ils que mensonges ?
A qui n'a plus de corps ne restent que les songes.
Me suis-je imaginé, par un orgueil plaisant,
Germe d'une lignée plutôt que paysan ?
Je voudrais arpenter les lieux de mon enfance,
Le jardin enchanté qui aimait ma présence.
Que j'en fusse occupant ou humble jardinier
Est-ce bien important pour l'enfant éloigné ?
LACHE
L'avenir me hante le passé m'épouvante
Mes plaies sont ardentes nul lendemain ne chante
A force d'errance je n'ai plus d'espérance
Le fol hasard lance ses dés sur la balance
Mon esprit succombe je rejette le monde
L'envol des colombes évitera ma tombe
Pour que l'aile sombre du vautour trame l'ombre
Au lit des décombres au néant où je sombre
J'ai renié qui j'aime proféré le blasphème
Je vais maigre et blême faucher ce que je sème
L'endurance est vaine à quoi bon tant de peine
Si peu dans mes veines pour vivre à perdre haleine
Je cède la place je refuse la grâce
J'efface mes traces c'est là ma seule audace
L'absence de remord pour cet ultime effort
Parce qu'enfin la mort sera mon réconfort
Sur les marches
Bien aimée, tous les jours j'attendrai sur ces marches
L'heure de ton retour ! Je dormirai sous l'arche,
Je boirai mes larmes, je mangerai mon coeur,
Je prendrai les armes pour tuer le malheur.
Salomé danse
Ma longue Salomé dans l'envol de tes voiles,
Tu frôles de tes doigts le parfum des étoiles.
La danse immortelle de tes pieds blancs et nus
Piétine mon vieux coeur et ma tête chenue.
SARAH
Je garde en mémoire chacune de tes larmes,
Tes sourires aussi sont pour moi autant d'armes
Qui percent ma cuirasse et ravivent mon coeur
Que je croyais défait sous la faux du malheur.
La soie de tes cheveux me revêt de douceur
Et mon corps s'incendie à leur fière rousseur.
Je me noie sans regret dans l'eau de ton regard
Que tu lèves sur moi jusqu'à me rendre hagard.
Le miel de tes lèvres adoucit ma fureur.
Pour la première fois j'éprouve de la peur,
D'être seul à nouveau en de tristes errances,
Car tu m'as enseigné de l'amour les plaisances.
Et je veux ignorer qui tu fus avant moi
Quand un autre que moi provoquait tes émois.
Car tu es née, Sarah, le jour où je te vis
Lorsque d'un seul regard tu me rendis la vie.
SARAH TOUJOURS
Entre tes mains, Sarah, je ne suis qu'un enfant
Qui découvre, ébloui, les délicieux tourments
D'un amour infini qui défie la raison.
La cage de tes doigts met mon coeur en prison.
Ta bouche sur la mienne en est la douce clé.
Je suis fou, je le sais mais ainsi je me plais.
Tes baisers m'enivrent, à toi je m'abandonne
Avec la même ardeur que à moi tu te donnes.
Je sais aussi, Sarah, qu'un tel bonheur se paie
Mais ta guerre est la mienne au mépris de ma paix.
SARAH PLUS JAMAIS
A mon côté l'épée, et sous moi un cheval,
Il n'y a rien que je craigne, ni le bien, ni le mal.
Qu'ai-je à faire de l'amour, qu'ai-je à faire d'un toit ?
Ma vie est sur la route, ma vie ce n'est plus toi.
La tienne est à la Cour, je reprends mes errances,
Ce n'était pas si mal, et ma désespérance
M'est une compagne sans surprise et fidèle
Jusqu'au jour où la mort me coupera les ailes.
SARAH ADIEU
Rouge, mon sang coule et s'écoulent mes jours
Derrière mes yeux clos. Un improbable amour,
Un regard attendri qui toujours m'émerveille,
Un sourire triste sur des lèvres vermeilles
M'ont lié à jamais, entrelaçant mon coeur
À la soie des cheveux de mon amante en fleur.
Pour elle, à genoux, abîmé en prière,
Je répands ce sang dont elle est héritière.
Ces fils d'écarlate sur la pierre si blanche
Vers elle m'attirent. Que jamais je ne flanche !
FELON
Grand roi, tu mérites l'amour de tes sujets
Et moi je médite de bien sombres projets
Ta nation s'est vouée à te servir toujours
J'ai choisi de jouer les pires mauvais tours
Tu places ta confiance en de justes ministres
Et j'emploie ma science à me rendre sinistre
AMOUR VAIN
En vain ai-je adoré l'Etoile du matin
Et c'est l'abaissement le prix d'un coeur hautain,
Or j'espérais gagner son amour pour butin.
Elle était de mon coeur l'altière souveraine.
Quel orgueil à prétendre être aimé de la reine!
Et je jouais ma vie comme dans une arène.
Je voulais la servir, je lui en fis l'aveu,
Elle se rit de moi et rejeta mon voeu:
"Non pas comme tu veux, mais comme je le veux!"
Ses baisers restent chers à un coeur oublieux
Des mots d'esprit cinglants, du regard dur des yeux
Que leur inclémence ne saurait rendre odieux.
A elle, à tout jamais, ira mon allégeance,
Pour magnifier son nom dans la paix ou l'urgence,
Je serai son fléau, la faux de ses vengeances.
Pour gagner son respect à défaut de l'amour,
Si elle veut de ma vie interrompre le cours
J'accepterai mon dû sans implorer secours.
L’INGRATE
Le vent dans mes cheveux, le long de mes paupières,
Assèche mes larmes et brûle mes regrets.
Car enfin ton aveu métamorphose en pierre
Ce coeur qui sous les armes ne battait qu'à ton gré.
Le rocher en surplomb où j'ancre mes pieds las
M'a paru un instant le socle d'un envol
Par lequel d'un seul bond, je ne serais plus là,
À jamais hors du temps qui me fit pauvre fol.
En vain à tes genoux, j'avais pressé mon front,
En vain je t'implorais, ô ma reine insensible,
Et inclinant le cou sous l'intenable affront,
Insensé, je t'offrais mon coeur maudit pour cible.
Tu as aimé en moi le guerrier plus que l'homme
Tu n'as pas voulu voir le coeur sous la cuirasse.
Je te donnais ma foi, tu ne voulais en somme
Qu'un double en miroir, et prenant peu de place.
J'ai détruit des nations et asservi des rois,
Sous tes pieds orgueilleux, j'ai traîné les rebelles.
Servant tes ambitions j'ai imposé ma loi
Pour paraître à tes yeux comme le seul fidèle.
Un plus jeune que moi a conquis ta faveur
Et tu m'as congédié comme on jette une pierre.
Par cet inique choix tu renies ma valeur
Quand je t'avais dédié mon existence entière !
Pauvre fou que je suis d'avoir aimé à tort !
Mais plus fou encore de croire que la traîtresse
Méritait que je fuis lâchement dans la mort !
De vivre et me venger, ceci est ma promesse.
Oiseaux
L'hirondelle au balcon a édifié son nid
Sans trêve, elle nourrit ses petits affamés
Ma plume n'écrit plus, mes doigts sont engourdis.
Au soir, le rossignol chante sous ma fenêtre
Le charmant musicien célèbre son aimée
Ma viole est muette, il me faut bien l'admettre.
Le moineau vient mendier, sautillant sur mon seuil,
Des miettes rassises que pour lui j'ai semées
De mon inspiration, je dois faire le deuil.
Le faucon pèlerin a investi mes tours
Des hauteurs il s'abat sur la gent emplumée
Ma muse m'a quitté sans espoir de retour.
L'hirondelle au grand froid quittera ma fenêtre
Et à tire-d’aile s'enfuit ma renommée
D'un profond silence, puisse l'espoir renaître !
CORDES
Quand sonnera l'heure, quand viendra l'échéance,
Ne versez pas de pleurs sur notre déchéance.
Nous avons persisté en vaines tentatives
Mais un juge a listé nos destinées hâtives.
De la corde à nos cous le mortel frôlement
Nous suspendra d'un coup, gigotant drôlement !
ECOUTE
Ô toi qui es dans la détresse
Qui t'accordera la sagesse ?
Tais-toi, ne parle pas sans cesse,
Ecoute-moi, hais la paresse,
Cultive le discernement
Pour savoir qui dit vrai, qui ment.
Plonge tes regards dans la loi.
Vers les hommes de bon aloi
Dirige-toi sans hésiter.
Acquiers la perspicacité.
Le mauvais monte vers sa mort,
Qu'importent regrets et remords...
La sagesse te garde en vie.
Aux sots ne porte pas envie
Et ne te laisse pas séduire
Par ceux qui toujours veulent nuire.
Du droit chemin ne dévie pas.
Résiste aux funestes appâts
Du gain injuste et désastreux.
Ecoute et tu seras heureux,
Les sentences d'un vieux brigand
Jadis brutal et arrogant.
Quand je guettais les innocents
Et par plaisir versais le sang
Je raillais la connaissance,
Je me targuais de l'excellence
De mes choix et de mes conseils.
Ils sont meilleurs, fais-en ton miel,
Ceux qu'aujourd'hui je te dispense
Et je te parle d'expérience.
Ecoute ma voix sans attendre
Car tout à l'heure on va me pendre.
SI FROID
Tes pâles mains glacées alanguies sur la neige,
Les flocons indolents pour unique cortège,
Tes lèvres frissonnant sur l'infime présence
D'un souffle abandonné au rêve sans conscience...
La mort tisse tes pleurs, fils de soie à retordre,
A la trame d'un coeur que le remord va mordre.
VOYAGES
Les masses tourmentées des nocturnes nuages
Pourchassés par le vent s'évadent sans bagage
Pour des rêves lointains, pays jamais atteints,
Lieux inaccessibles où les soirs sont matins
Sous la voûte indigo qui se souvient encore
Des gloires du couchant dans la pourpre et dans l'or.
De la couleur du ciel et de la terre
Première voix :
Du ciel peut-on savoir la couleur, gente dame ?
Je le dirai rosé s'il reflète ton âme,
Nacré comme ton sein, doré comme la flamme
Et l'énigme sacrée que sont toutes les femmes.
Seconde voix :
De la terre le teint est-il celui de l'homme ?
Trop souvent de nos sangs la libérale somme
De toutes vos guerres en nourrit les racines.
Mon seigneur, aimez-vous la couleur assassine ?
Première voix :
Le mal existe-t-il pour que je rêve au ciel ?
Et l'azur de tes yeux pour faire pièce au fiel
Que la mer jalouse de leur bleu délicieux
Veut dans ses tempêtes projeter jusqu'aux cieux ?
Seconde voix :
Ocre jaune et rouge, je filtre la poussière
Entre mes doigts tremblants, le corps de notre mère.
Vous la martyrisez, par le feu et le fer
Abreuvant ses sillons d'une liqueur amère.
Première voix :
Lors, ne t'étonne pas, ô toi, femme céleste,
Qu'au creux de ton regard, qu'au ballet de tes gestes,
Je cherche sans répit la couleur chatoyante,
Nuance fantôme qui sans cesse me hante.
Deuxième voix :
Tu tends vers moi tes mains, ô homme sans mystère,
Tes paumes sont marquées par les plaies de la terre.
Je te plains, mon ami, mais je crains ta violence.
Ce soir le ciel rougeoie sous le faix de vos lances.
Première voix :
Lumière de mes yeux, prends pitié de celui
Qui humblement te prie, ô étoile qui luit
Pour le noyé blême ballotté par la houle
Et le pendu blafard conspué par la foule.
Deuxième voix :
Ô homme, ô guerrier, quitte tes voies mauvaises.
Tes pieds caresseront le chemin qui apaise
Les coeurs durcis au feu de l'enfer sur la terre.
Et tu découvriras la vraie couleur de l'air.
Première voix :
Crois-tu que je pourrais connaître sa nuance ?
Car j'ignore comment cultiver l'espérance.
Guide-moi vers le but, ô divine maîtresse,
Ce lumineux sentier où marche l'allégresse.
Deuxième voix :
Ô enfant du malheur, fils de la destruction,
Je suis femme et fleur, arme de rédemption.
Ma couleur est l'amour par lequel je te sauve.
Je couronne ton front de lys blancs et de mauve.
Déclaration
Sais-tu que sans l'amour, toute existence est vaine,
Que tout au long du jour, il allège la peine ?
Son feu rafraîchissant est si intense, et pur.
Tour de chair et de sang, il est un appui sûr.
En des temps de malheur, il est un bouclier,
Un manteau de douceur qu'on ne veut délier.
Si nous suivons sa voie, nous ne manquons de rien.
Ecoute enfin sa voix, il ne veut que ton bien.
L'amour est un berger, il prend soin et nourrit.
Le fruit de son verger rassasie et guérit.
Lui seul est qualifié pour réjouir ton coeur.
Pourquoi donc te méfier et cultiver la peur ?
Laisse-toi enseigner par ce maître admirable.
Sur toi il va régner en seigneur équitable.
Il n'effacera pas nos traces sur le sable
Car tes pas dans mes pas rendront sa loi durable.
Failles
Dans les lignes de fuite au tableau de ma vie
S'affairent des fourmis thésaurisant l'envie.
L'architecte intérieur en évidence érige
Les faux d'ailes noires zébrant l'obscur vertige
De mes yeux inversés vers un ailleurs ultime.
Les cris stridents d'oiseaux au ciel mis en abyme
Déchirent âprement l'espérance comptable
Au sablier du temps dont mon sang est le sable.
Car j'ai vécu sans soif, sans jamais être ivre,
Palimpseste amer d'un improbable livre.
SERMON
"Pense à tes ancêtres tout au long du chemin.
De leurs bras disparus, ils soutiendront ta main !
Leur belle intégrité tracera le modèle
Que tu devras suivre pour te montrer fidèle.
Nos Chroniques parlent des gestes de courage
De nos nombreux aïeux : un précieux héritage !
Ils sont la racine de toutes les victoires
Qui graveront ton nom au fronton de l'Histoire.
Evoque Yehihel qui vainquit le dragon,
Yahoush qui abattit le dieu maudit Dagon,
Boz, devant qui les rois inclinèrent la tête !
- Désolé, ton discours ne me dit rien qui vaille.
Le passé est trop lourd, je ne suis pas de taille.
Sur ce, papa, bonsoir, je vais faire la fête !"
En ma vigne
Mes coteaux rocailleux séduisent le soleil,
La chaleur de l'été et les grains noirs et lourds
Composent un tableau où la clarté du ciel
Prépare la trame d'une nuit de velours.
J'ai ôté les pierres pour en dresser un mur,
J'ai creusé un pressoir, j'ai bâti une tour
Pour y dormir au frais quand les raisins sont mûrs.
N'hésitez pas, amis, à faire le détour !
Ma terre est mon orgueil, ma vigne est mon royaume.
Mes fidèles compains sont les meilleurs des hommes,
Pour déguster mon vin, ils couvrent bien des lieues.
Une belle à mon bras, une coupe à la main,
Je vous accueillerai, mes chers frères humains.
Mais contre les faquins, je défendrai mon lieu !
Chevalier un jour, Chevalier toujours ! Montjoie Saint Denis et Tutti Quanti !
Le mourant
Il courbe le front sous les vents froids de l'hiver
Qui poudrent à frimas son âge encore vert.
Sa chair sera bientôt un festin pour les vers.
Voici son testament tenant en quelques vers.
J'écris sous sa dictée quels sont ses derniers dons.
A son pire ennemi, il offre son pardon,
Oubliant tous les torts et les sanglants affronts.
Qu'il écoute la voix de parfaite raison !
A ses bons compagnons, il cède tous ses livres,
Les tonneaux de sa cave et son envie de vivre.
Qu'ils lisent et boivent jusqu'à en être ivres
De vin et d'amitié, car tôt viendra le givre !
A ses très chers enfants, il lègue un coeur pur,
La voie de justice, le chemin le plus sûr
Où marcher dans la paix malgré les temps si durs.
Qu'ils entendent l'appel d'un lumineux futur !
Pour sa tendre épouse est son dernier soupir.
Elle eut sur son grand coeur le plus doux des empires.
Entre ses bras dolents, à mourir il aspire,
Son souffle parfumé pour ultime respir.
A moi, son fidèle, il dit :"Garde mes paroles.
Un fleuve débuta en infime rigole
Qui reçut des cours d'eau une précieuse obole.
Parfaire mon discours, voilà quel est ton rôle."
Homme libre
L’esprit de mon Maître guide toujours mes pas,
La voie qu’il m’a tracée je ne quitterai pas.
Contre tous j’ai choisi et relevant la tête,
Je n’aurai de frayeur ni des hommes ni des bêtes.
Je ne prétendrai pas qu’il est semé de roses
Ce chemin fort étroit. Mais seul celui qui ose
Obtiendra le pouvoir de décider pour soi.
Cela vaut bien, ma foi, tes beaux habits de soie.
Ah ! Frère, tu ris de mon froc en sombre bure
Et de mes yeux rougis par les longues lectures.
Mais ta barbe lustrée et ton brillant plumage
Font-ils vraiment de toi quelqu’un de bien plus sage ?
Tu vends ta liberté pour la gloire inconstante
Qu’un roi t’abandonne. C’est là ta seule attente.
Quant à moi peu me chaut l’admiration des sots.
J’ai rejeté le monde et brûlé mes vaisseaux.
Tu n’es qu’un serviteur, toi qui te dis le maître.
Tu écoutes ton cœur mais le cœur est un traître.
Je foule mon chemin sans charger mes épaules
D’un fardeau superflu et sans jouer un rôle.
Lorsqu’on me questionne, je parle avec franchise.
Si un fat m’injurie, je garde ma maîtrise.
Pour un mot de travers, tu dégaines ta lame.
Quelle noble ambition où employer ta flamme !
Je ne me pose pas en unique modèle.
C’est à moi avant tout que je reste fidèle.
Je ne dévierai pas car j’ai fait le bon choix.
Je ne t’oblige pas à marcher avec moi.
Ce monde est moribond et un lent crépuscule
Peint de fausses couleurs les pantins ridicules
Qui réclament, geignards, de l’or et des offices.
Pensent-ils survivre par ces vains artifices ?
Je suis pauvre mais c’est toi qui es indigent.
Tu es riche, c’est vrai mais qu’est-ce que l’argent
Au regard de la Voie, la Liberté promise ?
Sur moi qui ne suis rien la peur n’a pas de prise.
Frère, vas-tu t’asseoir, blasé, sur les gradins ?
Ton roi – il n’est plus mien -, pour châtier le dédain
Que j’ai pour ses bienfaits, va m’envoyer demain
Combattre dans l’arène une épée à la main.
Contre moi, il requiert mes anciens compagnons.
J’ai vécu avec eux en une étroite union
Quand nous étions garants des Marches du royaume.
Je les ai commandés, ils étaient tous mes hommes.
Mais le Maître est venu, enseignant que l’épée
Tue l’esprit et l’espoir. Il m’a donné la paix.
Le roi l’a mis à mort bien qu’il fut innocent.
Il n’a pas supplié quand on versait son sang.
Comme lui j’offrirai ma mort en bel exemple.
Dans l’arène de bois, s’édifiera mon temple.
Sur le sable ma main laissera chuter l’arme.
Alors, frère, sur moi ne verse pas de larmes
Malédiction
En ces jours si sombres sonne la dernière heure.
Grondantes, les cloches ébranlent les tours hautes.
La Peste nous fauche et lourdes sont nos fautes.
Quand avance l’ombre, tout espoir est un leurre.
Le roi et ses nobles nous ont abandonnés.
Les dieux et leurs prêtres sont sourds à nos suppliques.
Des lois ils sont maîtres mais nul ne les applique.
Nos voies sont ignobles, qui sera pardonné ?
Nous avons négligé justice et connaissance.
Nous avons érigé richesse et impatience
En dieux jaloux et vains dignes de notre zèle.
N’espérons plus du ciel aucune sauvegarde.
L’avenir n’est que fiel. Sous la lune blafarde,
Les hiboux, les devins s’enfuient à toutes ailes.