La Pierre de Tear fait peau neuve ! L'aventure continue sur www.pierredetear.fr !
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La flèche fendit les airs, déchirant le silence sur son passage. Vibrante, elle s’enfonça profondément dans le cœur du chêne, à deux pas de la cible posée contre le tronc.
Un juron retentit à dix mètres de là et l’archer s’avança pour retirer son projectile du bois récalcitrant. Il restait visiblement encore quelques améliorations à apporter à son arc. Certes, sa grande taille et sa forme inhabituelle, inspirée de ce qu’il avait vu lors de ses voyages le long de la rivière, lui donnait beaucoup plus de portée, mais qu’importe de pouvoir l’attaquer de plus loin quand on rate l’ennemi d’un mètre ?
L’homme se replongea dans de savants calculs, sans se soucier de la poussière que soulevaient ses figures tracées à la hâte sur le sol de la forêt. Il pestait entre ses dents, furieux de son impuissance. Il avait longtemps observé les armes des hommes de la rivière : ceux-ci abattaient sans effort un oiseau posé à plus de trente pas ! La courbe des arcs lui avait paru tellement simple à reproduire… Et pourtant, force était de constater son échec. Les autres allaient encore se moquer de lui quand il franchirait les enceintes de bois du village, son arc inutile sur le dos et la gibecière vide. Si fort, il souhaita réussir à maîtriser le secret tenu du bois de noisetier, si fort et si ardemment que du fond des bois survint une créature.
En ces temps reculés, les hommes avaient des rêves plus forts, sinon plus nobles que les nôtres. Il arriva que la puissance de ces désirs fut telle que la barrière entre le monde onirique et celui du réveil en vint à se brouiller. De cette frontière, dans cette frontière, naquirent des créatures étranges, des aberrations que seuls les esprits peuvent faire jaillir, certaines vouées au bien et d’aucunes plus noires que le terrier d’un renard par une nuit sans lune. C’est l’un de ces êtres que l’archer appela malgré lui.
« Rien à faire ! » De dépit, l’homme jeta son arc au sol et lui flanqua un grand coup de pied. « Seul, je ne peux rien ! Mais qui m’aidera ! Les hommes des rivières sont jaloux de leurs armes et nul parmi eux ne me prêtera assistance… Si seulement… Si seulement je trouvais…
- Trouver quoi, bonhomme ? »
Surpris, l’archer se retourna vivement : rien devant lui… Un sifflement moqueur lui fit lever les yeux : sur une branche de hêtre se tenait la créature la plus étrange qu’il lui ait jamais été donné de voir. Un petit bout d’homme au teint noirâtre qui faisait rejaillir la blancheur carnassière de son sourire. Il était vêtu tant bien que mal d’habits faits pour plus grand que lui et de son dos dépassaient les pennes bariolées d’un boisseau de flèches. A sa main, qu’il avait petite, mais rude, il tenait un arc de la plus étrange des façons : le bois semblait luire, de fines incrustations d’or accrochaient la lumière et on aurait cru entendre sa corde vibrer sous la tension qui habitait cette arme presque vivante.
« Que… Quoi… Qui…
- Hé bien… Que de questions, mon brave. Que suis-je ? Un lutin. Plus malin que toi l’aurait deviné. Qu’est-ce qui me mène ici ? J’ai un arc à céder. Qui je suis ? Mon nom est sans importance pour toi, tu ne saurais le prononcer : les humains sont par trop grossiers.
- Vendre ? Cet arc ?
- Et oui ! L’aventure me l’a offert quand je passais près de l’eau. Sais-tu qu’avec ceci on peut abattre un oiseau à quarante pas ?
- Qua… Quarante ? » Les yeux de l’homme brillaient de convoitise. La seule vision du bois ensorcelé avait attisé son désir et endormi sa vigilance : il voulait cet arc. Rien d’autre. Plus rien d’autre ne comptait.
« Ah, mais qui s’intéresse à un tel objet de nos jours… Je n’en demande pourtant pas grand prix.
- Dis le !
- Plaît-il ?
- Dis moi ton prix !
- Oh, serais-tu intéressé, brave maître ?
- Dis ton prix, je le paierai !
- J’en veux… Ton cœur.
- Mon… Mon cœur ?
- Ton cœur, tes émotions, ton amour et tes haines.
- Avec une telle arme, que m’importe le reste ? Ne peut-on vivre sans émotions ? N’est-ce pas même le fait de grands guerriers ? Marché conclu, lutin, tope là, voici mon cœur, il est à toi ! »
Avec une vivacité surprenante, la créature se défit du carquois, posa l’arc dans les mains de l’archer et sitôt fait, sitôt disparue, plus de traces, plus de voix, plus de rire ni de pas.
Le silence résonna. L’homme, serrant contre lui son arc, s’en retourna vers son village : là, tout le monde s’ébaudit, tous voulurent le caresser, toucher le bois ensorcelé. La belle du village proposa un concours pour éprouver et l’arc et l’homme qu’elle convoitait : on aligna les cibles. Un par un, tous tirèrent. Nulle flèche ne toucha le cœur. Vint le tour de l’archer : il banda son arc, sentit le bois embrasser sa joue. Il vise. Il tire. La flèche transperce le centre de la cible ! Miracle, elle poursuit son chemin, se fiche dans une porte à quarante pas de là !
Tous applaudissent, un homme tente de retirer la flèche mais elle est bien enfoncée. La belle se retourne pour récompenser d’un baiser celui que vient de gagner. L’homme est pâle, et effondré. Saigne le cœur de l’archer qu’une flèche a transpercé.
je dois dire que je ne commente pas souvent car je ne sais jamais quoi dire d'utile, mais là ...
C'est court, une très belle histoire et magnifiquement écrit : je suis sans voix.
Félicitations mon Etoile d'avoir franchi le cap, ça me fait plaisir de relire ta prose. D'autres textes ?
Et on te reconnait bien là : un renard entre-aperçu, un arc convoité et un lutin
malicieux.
Pas étonnant que tes élèves soient si doués .