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Joute 41 : Causalités, perceptions Joute 41 Texte E : Le joyau de Liana
Ce texte a fait l'objet d'une lecture créative : * Du haut de sa colline Lou observait Garianon. Les silhouettes des bâtiments de la ville disparaissaient peu à peu dans le soir pour laisser place aux premières taches de lumières chargées de chasser les ténèbres et la peur de la nuit. Entre chien et loup. Il y aurait long à philosopher sur cette expression. Mais Lou ne philosophait pas, il ne savait même pas ce qu’était la philosophie. Il fixait d’un air absent la cité pendant le que ciel se teintait d’or, de rouge puis, dans un dernier sursaut d’espoir, de blanc, avant de succomber au noir. Son cheval renâclait dans la tension ambiante mais Lou restait immobile dans ce silence parfois interrompu de cliquetis. Un silence lourd, pesant, collant, presque épais, que seul peut produire quelqu’un qui ne veut pas être entendu. Lou, lui, entendait des rires. Et parmi tous ces rires, plus fort que les autres, il y avait celui de Liana. Frais, cristallin, qui vous traversait l’âme pour vous noyer le cœur. Ces dernières semaines il l’avait entendu tous les jours et toutes les nuits, mais maintenant qu’il était de retour il le ressentait physiquement. Il aurait pu lui donner un gout, une odeur, une couleur. Mais Lou ne faisait pas ces choses-là. Dès sa naissance ses parents avaient su que Lou serait différent. Cela avait fait fuir son papa et lui avait lié à vie sa maman. C’est elle qui l’avait prénommé Lou. Elle l’appelait aussi « mon tout doux » et lui disait souvent qu’il était soyeux comme son prénom. Elle l’avait enveloppé de son amour et porté à bout de courage pour qu’il grandisse à sa manière. Marche après marche ils gravissaient ensemble le grand escalier de la vie, Lou avec tout son enthousiasme et maman sans jamais lui lâcher la main. Il ne comprenait pas toujours tout et il avait besoin qu’on vienne à sa rencontre pour apprendre de nouvelles choses. Mais il recevait de l’amour à ne plus savoir quoi en faire et en retour il aimait tout le monde. Et celle qu’il aimait plus que tout c’était Liana. Lou gambadait souvent dans les rues de Garianon. Il sautillait de porche en allée sur la pointe des pieds. Les gens trouvaient sa démarche bizarre mais Lou aurait pu leur expliquer son jeu de ne pas toucher les lignes des pavés si on lui avait demandé. Il était devenu très fort à ça et pouvait passer des jours sans poser le pied sur une seule. Personne n’aurait réellement voulu le prendre en apprentissage, un Lou aurait été honteux dans un corps de métier, mais il rendait de menus services à tous ceux qui en témoignaient le besoin. Il avait compensé ses difficultés par un autre trait de caractère : la ténacité. Là où les autres réussissaient facilement, Lou soufflait et souffrait, mais il n’abandonnait jamais et atteignait toujours son but. Il avait besoin d’un objectif et mettait tout son cœur pour l’atteindre. Lorsqu’il avait fini il passait à une autre mission. Vider une fosse à purin ou sculpter une délicate figurine de cheval avait la même valeur pour lui. Pas après pas, goutte de sueur après froncement de sourcil, il accomplissait des choses extraordinaires. Alors on venait le voir pour de petites tâches et de grandes réalisations car on savait qu’il prendrait son temps mais rendrait un travail parfait. Tout le monde connaissait Lou, l’enfant différent, et son enthousiasme et sa candeur débordante ne laissait personne indifférent. Tout le monde l’appréciait. Liana aussi se baladait souvent dans les rues de Garianon. Elle pouvait se promener parce qu’elle n’avait pas besoin de travailler, tout comme ses amis. Elle faisait de tout petit pas. Lou la soupçonnait de ne pas toucher par terre parfois. Il fixait ses pieds longtemps, pour vérifier. Il finissait par avoir mal à la tête et les yeux qui piquent alors il arrêtait. Il recommençait quand même le lendemain, parce qu’on ne laisse pas tomber une idée en cours de route. Ses amis étaient beaux aussi, avec des tenues aux couleurs vives qui n’avaient appartenues à personne d’autre qu’à eux même. Les habits de Lou avaient déjà connu deux ou trois corps avant le sien. Lou s’en moquait, il pouvait y mettre de la poussière sans se faire gronder. La poussière évitait Liana, comme si elle n’était pas digne de la toucher. Lou aurait bien aimé jeter un peu de poussière son ourlet pour voir si elle s’y accrochait ou si elle s’en éloignerait comme il le soupçonnait. Il ne le faisait pas car il ne se pardonnerait jamais de la salir. Des fois Liana lui donnait un fruit. Parfois il le mangeait, parfois il le ramenait à sa maman. Sa maman adorait les fruits même si elle ne pouvait pas s’en acheter souvent. Lou lui aimait s’approcher de Liana. Elle sentait meilleur que les fruits. Meilleur que le pain tout chaud. Et même meilleur que les fruits et le pain tout chaud réunis. Elle semblait fragile et délicate comme les bulles de savon quand maman frottait le linge, et elle rayonnait plus que le soleil lui-même. Sa maman lui disait de ne pas embêter Liana et de la laisser tranquille. Lou ne l’embêtait pas, il aidait quand elle et ses amis le demandaient, et il venait chercher son fruit quand elle l’appelait. Et il regardait ses pieds effleurer le sol. Le soir il rentrait chez sa maman. Maman était fatiguée de son travail, mais elle restait toujours disponible pour lui. Ils mangeaient leur soupe, parfois un fruit de Liana. Puis il posait sa tête sur ses genoux et tout en lui caressant les cheveux elle lui racontait la vie. Toutes ces choses que les gens savent spontanément mais que Lou devait apprendre. Elle lui disait les émotions et les relations. Les couleurs et les manières. Le courage et le pardon. Lou retenait tout et appliquait ce qu’elle lui disait. Il ne voulait pas lui faire de peine en oubliant quelque chose. Avant de s’endormir maman se penchait pour lui murmurer doucement dans l’oreille la formule magique qui éloigne les cauchemars. Grace à elle il n’en faisait jamais. Lou grandit. Dans son grand humour le destin donna un corps de 14 ans à cet enfant resté si jeune d’esprit. Sa maman avait peur de ce grand corps tout musclé alors elle lui en parla. De son corps, de celui des filles, de l’amour, du désir, de ce qu’il ne faut pas faire et de ce qui est très grave. Encore une fois Lou retint tout ce qu’elle lui enseignait. Il put mettre un nom sur ce qu’il ressentait pour Liana et su de quoi il avait envie. Après des jours d’hésitation il prit son courage dans ses deux mains maladroites et il alla lui parler. Elle était assise sur le bord d’un puit, avec ses beaux amis autour d’elle. Si Lou avait connu le ciel et ses mystères il aurait dit qu’ils n’étaient que la queue alors qu’elle était la comète. Mais Lou ne connaissait rien au sujet. Il se disait juste qu’elle était belle comme seule elle-même pouvait l’être. Il amena son grand corps au milieu de tout ce monde et lui parla de tout ce que lui avait raconté sa maman. D’elle, de lui, et de son amour total et inconditionnel. Il y eu un silence, très long. D’aucuns se seraient sentis mortifiés mais Lou ne mettait pas de sens aux silences, il attendait. Liana fini par lui répondre, lentement, en souriant. Elle lui expliqua qu’elle aussi elle l’aimait mais qu’elle était fille de noble et lui de servante, alors que leur amour resterait impossible. Tous ses amis souriaient aussi, certains avaient parfois un petit rire. Maman avait raison, l’amour c’est beau, ça déteint même sur les autres en les rendant heureux. Lou accueilli la réponse comme tout le reste dans la vie : comme un problème à résoudre. Avec beaucoup d’effort tout trouvait toujours une solution et comme quand il ne savait pas il demanda conseil. Liana était intelligente, elle devait bien savoir comment faire. Effectivement elle savait. Il suffisait qu’il devienne un grand chevalier. « Si tu ramènes en plus un fabuleux joyau d’une de tes quêtes, alors mon père consentira peut-être à notre union ». Maintenant tout le monde riait de bon cœur. Lou rit aussi, ravi que la solution soulage aussi ses nouveaux amis. Le jour même-il dit au revoir à sa maman. Charles, le garde de la porte principale, lui avait dit que pour être un chevalier il fallait vivre des aventures et accomplir de grandes choses. Charles savait beaucoup de choses, c’était un poste important garde de la porte principale. Lou emballa ses maigres affaires et essuya les larmes de maman. Elle voulut le convaincre, le retenir, elle s’accrocha à lui de toute la force de ses petites mains mais Lou les embrassa, les décrocha et parti devenir chevalier. Liana comptait sur lui. Il marcha au hasard, évitant les grands axes pour s’enforcer dans des territoires isolés afin de voir si l’aventure voulait bien de lui. Il traversa des déserts où il apprit la sagesse et la concentration des Hapgard. Il conquit le respect des orcs d’Oluz et inspira la peur aux mystiques d’Epgell. À chaque étape de son parcours les peuples le recevaient comme un fou et il repartait comme un héros. Huit années d’effort, de souffrance et d’apprentissage. Sa détermination et sa soif d’apprendre n’avait de cesse et Lou devint une légende auprès de ces peuples oubliés de la grande civilisation. Huit ans de combats durant lesquels Lou perdit un yeux et une partie de son innocence. Lui qui n’avait connu que les caresses et la douceur apprit la souffrance et les privations. Huit années qui passèrent et Lou fut si reconnu et vénéré qu’il n’eut plus besoin de chercher de nouveaux maitres, c’est lui qu’on venait voir pour être enseigné. Mais Lou n’enseignait pas, il ne savait pas comment faire. Un jour Zadieck, un chef de clan orc, demanda une audience en public. Tous les représentants des peuples furent réunis et Lou fut conduit sur une grande estrade. Le chef de clan prit la parole pour exprimer la pensée de tous. « Lou-le-puissant, toi qui est venu à la rencontre des races rejetés, qui possède la force et la sagesse, le courage et l’abnégation, dis-nous, lequel d’entre nous préfères-tu, quel est ton peuple élu ? » Il ne comprit pas la question. Lou aimait tout le monde, du premier des Hapgardien au dernier des orcs. Tous lui avaient appris et l’avaient porté un peu plus loin dans sa quête. Le silence ne semblait pas vouloir s’arrêter tout seul alors il répondit tout de même, avec son cœur. « Aucun ». Les têtes baissées empêchaient de voir le désespoir de l’auditoire face à cette réponse. Zadieck continua tout de même. « Lou-le-puissant, dis-nous ce que ton cœur attend. Fais nous l’honneur de nous trouver digne d’y répondre ». Lou n’était toujours pas sûr de comprendre mais il savait de quoi avait besoin son cœur pour trouver la paix. D’un joyau pareil à nul autre. A peine eut-il prononcé ces mots que l’ensemble des chefs de clan se levèrent en silence et se mirent en route. Sans vague ni préparatif, sans perdre un instant. Dans l’heure qui suivi tous les hommes étaient en route ainsi que les femmes des Corenthans, qui participaient aux combats au même titre que leurs maris. Lou resta seul avec les autres femmes et les enfants. Parfois il posait la tête sur les genoux de l’une d’elle, et elle lui caressait les cheveux en lui parlant de la vie. Mais aucune ne connaissait la formule magique qui chassait les mauvais rêves. Les semaines passèrent et les chefs de clan revinrent avec leurs soldats. Zadieck se détacha de la troupe, s’approcha de Lou, mit un genou à terre et déballa le tissu qu’il tenait contre son torse. Entre les pans apparut la pierre la plus fantastique qu’un être vivant eu l’occasion de voir. Elle semblait animée d’une vie propre et les couleurs chatoyaient et virevoltaient en son sein. Lou su que c’était elle. Il prit son ami dans ses bras et pleura longuement. Alors qu’il remballait la pierre et se préparait à partir Zadieck rassembla son courage pour prendre de nouveau la parole. « Lou-le-puissant, dis-nous quel peuple d’entre nous aimes-tu ? » Cette fois-ci Lou compris la question et pu y répondre. « Tous. Vous êtes ma famille et par cette pierre vous me donnez une nouvelle fois la vie ». Lou aurait bien aimé faire un beau discours comme les seigneurs en faisaient parfois mais il ne savait rien aux discours. Alors il leur raconta l’histoire de Liana qui depuis 8 ans attendait son retour dans la belle cité de Garianon. Il leur parla de ses petits pas, de sa bonne odeur et des pavés de la ville. Il leur promit que quand ils se seraient mariés il parlerait d’eux aux nobles de la ville et que les races rejetées auraient leur place dans la grande civilisation. Et tous eurent le cœur plus rempli de joie et de fierté par ces mots que n’aurait pu le faire n’importe quel discours de seigneur. Liana était encore plus belle que dans son souvenir. Ses amis étaient toujours dans les parages mais elle s’était éloignée du groupe pour caresser un chaton aventureux. Ses longs doigts graciles courraient le long de l’animal qui ronronnait de plaisir. Lou était heureux, c’était son grand jour et il pourrait lui parler en tête à tête. Il aimait bien ses amis mais il n’avait pas envie de partager son bonheur aujourd’hui. Il s’apprêtait à recevoir son fruit qu’il avait mis des années à mériter, et il le voulait pour lui tout seul. « Liana ? » Elle eut un petit sursaut. Même la surprise lui allait bien. Elle ne parut pas le reconnaitre au premier regard mais Lou avait beaucoup changé. Sa peau était bronzée et sa carrure impressionnante. Il lui manquait un œil et était couvert de cicatrices. « Liana ? C’est moi ». Et il tomba à genoux pour lui conter ses aventures et tout ce qu’il avait enduré pour devenir un chevalier digne d’elle. Il lui parla des épreuves et des peuples abandonnés qui attendaient de les rejoindre. Et Liana éclata de rire. Lou ne s’attendait pas à cette réaction mais il sourit lui aussi. Si Liana était heureuse lui aussi. Son rire semblait ne jamais vouloir se tarir. Finalement entre deux hoquets et trois larmes elle réussit à articuler : « Lou ? Tu es sérieux ? Tu as vraiment cru toute cette histoire ? Non seulement tu étais un imbécile, mais maintenant tu es un imbécile encore plus laid qu’avant ! Comment oses-tu ne serait-ce que penser qu’une fille de mon rang puisse s’intéresser à toi ? Tu es vraiment parti vivre tout ça à cause d’une blague ? Je te pensais tombait au fond du gouffre de ta propre crétinerie. » Elle éclata de rire de plus belle et se détourna de Lou pour rejoindre ses amis. Son rire submergea Lou mais quelle que soit la taille de la vague, on n’éteint pas aussi facilement huit ans d’espoir et de privation. Il voulut la convaincre, lui parler du joyau, mais Liana se contentait de rire en s'éloignant. Il la suivi en rampant, la suppliant de regarder la pierre sous le linge, lui récitant son amour comme on s'accroche à une prière. Il fallait juste qu'elle regarde pour comprendre. Parce qu'il ne savait pas quoi faire d'autre il s'accrocha au bas de sa robe pour la retenir. Il y eu le bruit d'une étoffe qui se déchire. Liana qui bascule en criant. Un autre cri. Les amis qui arrivent en courant. De plus en plus de cris. Lou ne comprenait peut-être pas tout mais il avait de l'instinct. Il se mit à courir vers la sortie de la ville, le plus vite possible. Il dérapait sur les pavés, hors d'haleine, pour filer plus vite que ne vole la rumeur. Il passa Charles et la porte principale mais ne ralenti pas. Il courut jusqu'à ce qu'il fût loin de Liana, loin de la ville, du rire et des cris vindicatifs. Il resta alors prostré, à pleurer toutes les larmes que son enfance lui avait épargné et ce pendant trois jours. Trois jours c'est le temps qu'il fallut à l'annonce pour arriver jusqu'à lui. Devant sa tentative de crime ignoble, on avait arrêté sa maman. Elle serait pendue au solstice d'été pour entamer les festivités, s'il ne venait pas prendre sa place. Le solstice d'été cela laissait plusieurs semaines. Lou avait un nouvel objectif à tenir. Il sécha ses larmes et repris sa route. La nuit était complètement tombée sur Garianon. Son cheval piaffait d'impatience mais Lou était toujours immobile. Il ne restait que trois jours avant le solstice. Le bourreau avait déjà dû installer son échafaud. Lou avait passé bien des solstices sur la place principale, il imaginait très bien les décorations et les musiciens répétant pour que tout soit parfait. Zadieck avança à sa hauteur. Quand Lou était revenu et qu'il avait donné ses ordres personne n'avait discuté ni posé de question. On n'interrogeait pas Lou-le-puissant, sa parole était vérité. Tout le monde avait obeit. Zadieck donnerait sa vie sans hésitation, tous les deux le savaient et Lou lui accordait une confiance aveugle. Ce soir il lui confiait ce qu'il avait de plus précieux. « A ton signal Lou-le-puissant ». Zadieck irait chercher maman, quoi qu'il en coûte. Lui s'occuperait de trouver Liana. Une femme serait bien pendue le soir du solstice. Cette fois il serait sûr que les petits pieds de Liana se balançaient sans toucher le sol. Le soir maman lui murmurerait la phrase et les rires et les cauchemars disparaîtraient. Entre chien et loup. Les chiens avaient rejoint leurs maîtres et se terraient dans les maisons. Il ne restait plus que Lou et sa meute. Il avait promis aux peuples rejetés une place dans la ville de la grande civilisation, et il tiendrait sa promesse. Loin dans les montagnes de puissants bras forgeaient une couronne avec en son centre un joyau exceptionnel. Lou leva le bras et lança son cheval au petit trot. Derrière lui son armée se mit en marche. |
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