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Joute 41 : Causalités, perceptions Joute 41 Texte A : Le Mage Inquisiteur d'Arguste
Un jour blafard se levait sur le Comté d'Arguste. Le soleil, pâle, peinait à percer la couche de nuages qui serrait le pays contre le sol. Au centre du paysage, le Château du Maître Noir accrochait l'attention. Il dominait de sa masse compacte la ville qui s'étendait au pied des murailles. Un homme, posté à l'une des fenêtres du donjon, observait avec attention les ruelles qui s'éveillaient. Pensif était Maître Borfel. Couché très tard, levé très tôt, le cerveau vibrionnant, il savait que la journée s'annonçait délicate. On toqua à la porte de sa chambre. « Entrez ! sans se retourner. - Si vous le souhaitez, nous sommes prêts à partir, Maître. Il aurait bien voulu rester encore un peu réfléchir à la fenêtre. Mais, d'une voix hargneuse … - Ce n'est pas trop tôt ! » Borfel devait garder les apparences. Un homme comme lui qui perd sa contenance, cela se voit très vite. Il se retourna vers son interlocuteur, Armil, son valet, un jeune homme pas très futé mais consciencieux. Celui-ci, les bras le long du corps, effectua un demi-tour parfait et le précéda dans l'escalier. Dans la cour, deux gardes les attendaient pour la tournée d'inquisition. Les quatre chevaux étaient déjà attachés à la voiture, prêts à partir, calmés par le cocher. Alors que Borfel s'apprêtait à monter dans le véhicule, un valet apparut dans la cour du château, légèrement essoufflé : « Maître Borfel ! Messire le Comte demande à vous voir ! » Garder les apparences. Borfel pencha la tête comme si cet ordre le contrariait, alors qu'en réalité l'angoisse le serrait. Il suivit le valet, qui ressemblait à Armil comme deux gouttes d'eau. Dans le couloir, ils croisèrent Legois, une de ses premières prises, qui lui sourit avec révérence. Dans la grande chambre, finissant ses ablutions, l'attendait le Comte d'Arguste, ou plutôt le Maître Noir comme tout le monde l'appelait à présent. Ne pas fuir ses yeux. « Ha ! Mon brave Borfel ! cria le comte. - Messire … - Tu comptais partir sans me saluer ! - Je ne savais pas que … - Mais oui, mais oui, je sais bien ! Sous la barbe noire du comte, un sourire triomphal laissait voir la dentition forte du seigneur. - Je voulais t'adresser mes vœux avant ton départ, Borfel. J'espère que la tournée sera prolifique. Tu as dû apprendre que je viens de tuer un magicien hier … - Oui … (les hurlements du sage Orbias avaient envahi le château pendant deux heures) - Il faut renouveler la marchandise ! conclut-il en un effroyable éclat de rire. » Borfel prit congé en tâchant de rire lui aussi. Lorsqu'il s'installa dans la voiture, il avait retrouvé un air fermé. « Où allons-nous, Maître ? s'enquit le cocher. - Valtert. » Le jour se levait enfin vraiment, mais les pensées du Mage Inquisiteur restaient tourmentées. Ils arrivèrent dans la cité côtière en fin de journée. Borfel et sa suite s'installèrent dans une grande chambre de l'Hostellerie du front de mer. Le valet, les gardes et le cocher s'installèrent par terre, pendant que lui ruminait tout habillé dans le grand lit. Le lendemain, une brise légère qui venait de l'océan lui rafraîchit les idées et lui rendit une partie de sa bonne humeur. Après tout, sa perception s'était brutalement altérée, peut-être reviendrait-elle tout aussi vite, comme on guérit d'un mal de ventre. La petite troupe rejoignit le marché, le meilleur endroit pour trouver et palper une foule. Aux yeux de ses compagnons, Maître Borfel circulait parmi les étals avec assurance et sérénité, mais en réalité le Mage Inquisiteur était en état de concentration extrême, mêlée de forte anxiété. Au milieu de tous ces visages, il cherchait désespérément une nuée magique. Il lui en fallait une. Depuis quinze ans, Borfel servait le Maître Noir. Il avait un don : face à n'importe qui, il sentait s'il avait affaire à quelqu'un capable de manipuler la magie. Cette capacité se manifestait par l'apparition d'un halo autour de la tête, halo d'autant plus éclatant que son possesseur était avancé dans la maîtrise magique. Et ce talent, le Maître Noir avait su l'exploiter. Dans sa tentative de conquête du continent, le Comte d'Arguste se heurtait à la résistance des magiciens. L'Armée Noire d'Arguste était la plus puissante du monde connu, la plus fournie, la mieux armée, mais les pays voisins résistaient à l'invasion car ils bénéficiaient d'une aide magique. Les magiciens ennemis pouvaient soigner les blessés, aiguiser les armes, ériger des murs de protection, bloquer les flèches … Combinées, leurs capacités défensives étaient sans limites. L'arrivée de Borfel au château avait changé beaucoup de choses. Dans les batailles, il pouvait détecter celui qui, discrètement, assistait les soldats. On concentrait les attaques sur cet homme et la victoire tombait comme un fruit mûr. Mais Borfel servait aussi de recruteur. Sur ses indications, les Soldats Noirs enlevaient les magiciens et les ramenaient au château, où ceux-ci pouvaient choisir entre une mort douloureuse et l'entrée au service du comte. Ainsi Legois, ancien Briseur de Flèches, et actuel Rigidifieur-Aiguiseur. Mais ces prises-là étaient rares, les magiciens ennemis se révélant particulièrement difficiles à capturer. Alors Borfel s'était lancé dans une autre occupation, les inquisitions. A intervalles réguliers, il parcourait le pays, à la recherche d'habitants possédant des dons magiques. Souvent les élus ignoraient leur talent. Borfel les ramenait au château où ils suivaient une formation qui leur permettait de grossir les rangs des Mages Noirs. Mais la formation était lente et souvent peu efficace. De plus, les sujets les plus doués étaient souvent aussi les plus rétifs, et le Maître Noir n'avait pas beaucoup de patience. Il préférait tuer ceux en qui il n'aurait jamais confiance. Borfel continuait donc à parcourir le pays, et en ces temps où Arguste inspirait de plus en plus de crainte, les batailles se raréfiaient, et le comte avait tout le temps de bâtir une cohorte magique de grande ampleur. Ce que le Maître Noir n'avait pas prévu, c'est que le défaut de cette organisation s'appelait Borfel lui-même. Au fil des années, jamais il n'avait trouvé la moindre personne possédant le même don que lui. Cette singularité avait longtemps fait sa force, car il jouissait au château d'une place unique, et donc intouchable. Mais, quelques semaines plus tôt, s'était produit un phénomène terrible et inattendu : Borfel avait totalement perdu sa perception. C'était arrivé d'un seul coup, sans aucun signe avant-coureur. Un matin, Legois, un des Mages Formateurs, croisé dans un escalier, avait perdu son halo. Borfel en avait sursauté, et avait failli le faire savoir immédiatement à son maître, pensant bien sûr que c'était Legois qui avait un problème. Mais Farlid, Jousque et le deuxième Legois, eux non plus n'étaient plus nimbés de lumière. Lorsqu'il eut compris son infortune, Borfel essaya de conserver la tête froide. Il se mit légèrement en retrait, passa plus de temps dans ses appartements, évita le contact avec les apprentis, et reporta les tournées prévues. Mais le temps passait, et aucune étincelle dans les yeux, aucun halo sur les têtes. Il ne pouvait se dérober plus longtemps, et devait reprendre ses inquisitions, sous peine d'éveiller les soupçons. C'est ainsi qu'il s'était retrouvé à Valtert. C'est ainsi qu'il se tenait là, au cœur du marché de Valtert, écarquillant les yeux en implorant le retour du don. A ses côtés, Armil et les gardes le veillaient discrètement en feignant de s'intéresser aux marchandises exposées. Ses pas le portèrent dans un coin de la place, où des jongleurs attiraient les badauds par leurs tours agiles. L'un d'eux enflammait des torches et les lançait à tour de rôle, les récupérait, les relançait, très vite, sans rien laisser tomber. C'était impressionnant, et les gens applaudissaient. Grâce à ce numéro, les jongleurs pouvaient espérer une bonne journée. Un assistant apporta un seau rempli de sable, et le jongleur rata successivement les trois torches qui tombèrent dedans une à une, s'éteignant dans le sable. C'était un effet très réussi, qui obtint un joli succès. Les jongleurs saluèrent, et l'assistant ramassa les instruments. C'est là qu'un détail sauta aux yeux de Maître Borfel. Une des trois torches n'était pas complètement éteinte. Le jeune homme qui la ramassait, dos au public, posa subrepticement la main dessus, et le feu s'éteignit aussitôt. Puis il finit de tout ramasser comme si de rien n'était. Borfel était pétrifié. L'assistant venait de déployer un talent magique devant tout le monde, et il avait eu la chance incroyable d'en être témoin ! Il fallait en être sûr. Il sortit deux pièces d'or de sa bourse et les jeta sur la scène, sous l’œil ébahi de ses compagnons de voyage : « Encore ! Encore ! » Les jongleurs se regardèrent, interloqués, puis saluèrent ce riche spectateur, et celui qui avait lancé les torches se tourna vers son assistant, lui demandant de les préparer à nouveau. Borfel était attentif à l'extrême. Le jeune homme prit les torches et très vite, toujours dos au public, posa la main sur la première torche, pendant que sa deuxième main faisait semblant de manipuler un briquet. La torche s'enflamma, et il l'apporta au jongleur. La conviction de Borfel était faite. Il était en présence d'un magicien Manipulateur de Feu, une catégorie très rare, et très recherchée par le comte. Le Mage Inquisiteur n'en revenait pas de sa chance. Le numéro fini, il n'eut pas besoin de simuler la joie pour applaudir les artistes ambulants. Poursuivant sa route, il prit les deux gardes à part et les informa de leur mission : ramener à l'Hostellerie le jeune assistant des jongleurs. Algid et Mountel n'eurent pas besoin de longues explications : ils savaient ce qu'ils avaient à faire. La nuit était encore jeune lorsqu'Algid revint frapper à la porte de la chambre de son maître. « Ça y est, Maître, nous avons ce que vous vouliez. - Où est-il ? - Dans l'écurie. Mountel le garde dans la voiture. - Ligoté, bâillonné ? - Oui, Maître. - Retourne avec eux. Vous vous relaierez pour veiller à ses côtés. Il serait imprudent de lui laisser la moindre liberté. - Les chevaux sont prêts, Maître, si vous le désirez, suggéra le garde. - Non, non, répliqua le Mage. Inutile de prendre des risques. Nous partirons demain matin à la première heure. » Borfel se coucha dans un état d'excitation avancé. Cet événement inattendu lui offrait un sursis qu'il n'osait plus espérer. Ils partirent aux premières lueurs de l'aube. Face au mage, dans la voiture, le prisonnier avait été couché sur le côté, toujours emmailloté. Au bout d'une heure, ils arrivèrent en vue d'un bosquet, et Borfel jugea qu'il était temps de faire une pause. « Donnez-lui à boire, lança-t-il à ses hommes qui desserraient les liens du prisonnier. Celui-ci était dans un sale état. Il avait une trace rouge sur le front, et cela faisait une dizaine d'heures qu'il était resté saucissonné et bâillonné. - Qui êtes-vous ? demanda-t-il d'une voix faible. - Allons, tu ne me reconnais pas ? fit le mage d'un ton doucereux. Je suis le Mage Inquisiteur du Château d'Arguste. Et toi, comment t'appelles-tu ? - Yan. Yan Toush. - Ha, ha, un Solirien, hum ? Tu es loin de ton pays, mon ami. - Je suis parti de chez moi il y a longtemps, messire. J'ai offert mes services à cette troupe d'acrobates. Je … je cherche juste à gagner ma vie, messire. Je ne suis pas un homme riche. - Ah, ah ! Tu te trompes ! Nous ne sommes pas des bandits ! Je te dis que je suis le Mage Inquisiteur du Maître Noir, tu ne sais pas ce que cela signifie ? - Je vous fais confiance, messire, articula le jeune homme sans aucune assurance. - J'ai repéré ton potentiel magique, hier, mon garçon. Un grand destin t'attend si tu me suis au château. Yan Toush restait à le regarder. Il semblait se remettre peu à peu. - Le Comte d'Arguste recherche des gens comme toi pour l'assister dans la gouvernance du pays. Tu vas nous suivre au château et tu suivras une formation pour te permettre de devenir un Magicien à part entière. - Mais je ne fais pas de magie ! se récria le jeune homme. - En es-tu si sûr ? Vois-tu, j'ai la perception de ce genre de choses. Il faillit lui rappeler l'épisode des torches, mais il s'abstint. - Tu ne dois pas avoir peur de nous. Si tu te montres coopératif, une belle carrière t'attend au château. - Mais pourquoi m'avoir traité ainsi ? Il montrait son front abîmé. - Nous ne pouvions pas nous permettre un refus. Vois-tu, nous ne voulons pas qu'un jeune homme si prometteur se retrouve en de mauvaises mains. Yan Toush ne répondit rien. - Et tu comprendras que nous devons te garder les mains attachées pour l'instant. La route n'est pas longue. Lorsque nous serons arrivés, tu auras tout le temps de montrer ta bonne coopération, et viendra le temps du confort. » Borfel jubilait. Il avait repris le contrôle, il avait retrouvé ce petit discours qu'il sortait avec assurance aux prisonniers. Il avait retrouvé son rôle. Ils arrivèrent au château en début de soirée. Pour la première fois depuis de longues semaines, cette nuit-là, le Mage Inquisiteur allait bien dormir. Dès le lendemain, Yan Toush fut conduit devant son instructeur, Jousque, Mage Formateur. Borfel était présent, très satisfait de lui. « Comment était son halo, Maître ? s'enquit Jousque. Borfel repensa à l'allumage de la torche, un petit feu sûr et vite lancé. - Bon halo, Jousque. Ce n'est qu'un garçon des rues, il y aura du travail, mais le potentiel est intéressant. - C'est ce que nous allons voir. » Le ton du Formateur s'était asséché, et Borfel savait que le petit Solirien allait souffrir pendant au moins quelques jours. Une semaine passa, durant laquelle le Mage Inquisiteur se contenta de revoir ses registres et de travailler à une bonne répartition stratégique des forces magiques. Le contingent des Mages était un vrai souci pour le Maître Noir, qui attendait avec impatience que celui-ci fût assez important pour lancer une offensive décisive sur les pays voisins. Les Mages Noirs étaient moins puissants que leurs adversaires, ils devaient compenser par le nombre et par une plus grande aptitude au combat. C'est aussi pourquoi l'engagement de Yan Toush était une bonne nouvelle, car si tout se passait bien il allait bientôt pouvoir déchaîner le feu, une qualité que tous les sbires du comte d'Arguste attendaient avec impatience. Les cris des défenseurs lorsque soudain les murailles s'enflammeraient, lorsque les chevaux et les boucliers prendraient feu, Borfel en rêvait. Mais il ne voulait pas se précipiter sur Jousque et son nouvel élève, car il n'était pas censé connaître cette particularité. Le Maître Noir en personne allait lui fournir l'occasion d'en savoir plus sur les progrès du Solirien. Il se fit annoncer par son valet personnel alors que la matinée prenait fin. « Alors, Borfel, est-ce que tu t'en sors avec ces nouveaux magiciens ? lança la voix terrible et familière. - Nous progressons, Maître. Ma tournée à Valtert n'a pas été très fournie, mais j'ai bon espoir que le jeune homme que j'ai ramené se distingue vite. Son halo était de bonne taille. - Sera-t-il un bon combattant ? rugit le Comte. Des réparateurs de bras cassés, j'en ai assez ! - Je ne sais pas, Maître. Je n'ai pas voulu déranger Jousque dans son apprentissage. - Eh bien, allons voir. J'en profiterai pour faire une petite inspection de nos forces. Je veux voir à quoi ressemblent ceux qui guideront nos armées. Tar ! Va prévenir les Mages Formateurs que je veux voir leurs élèves sitôt le repas achevé ! » Pour la première fois depuis longtemps, Borfel eut l'honneur de partager le repas du Maître, après ces semaines de discrétion forcée. « Allons, il est temps, lança le Maître Noir en vidant un dernier gobelet. Allons voir ces Apprentis. Tout le monde dans la cour était au garde-à-vous. Farlid, Jousque, les deux Legois, les Mages Formateurs étaient tous là, sérieux et concentrés. Derrière eux, les dix apprentis, et parmi eux, le petit Yan Toush, pâle et fatigué, comme il fallait s'y attendre après une première semaine au Château. Farlid, le plus âgé depuis le décès d'Orbias, prit la parole. - Noble Seigneur ! Nous avons l'honneur … - Jousque ! cria le Comte. Montre-moi le Solirien ! - Bien, Maître. Il est encore un peu sauvage. Avance-toi, Toush ! Yan Toush s'avança sans enthousiasme. Il était manifestement affaibli, et semblait peu coopératif. Borfel était anxieux. Il risquait de ramener encore peu d'Apprentis ; si ceux-ci n'étaient pas bons, cela n'allait pas dans ses affaires. - Que sait-il faire ? intervint-il sans ménagement. Jousque hésita. Le regard noir du Comte l'incita à répondre. - Il … il a montré des dispositions dans les mouvements d'air. Pour l'instant, il semble se diriger vers un emploi de Pousseur de Bateau. C'est un poste dans lequel nous n'aurons jamais assez … - Quoi ? coupa le Mage Inquisiteur, désarçonné. - Eh bien, Borfel ? interrogea le Maître Noir. Je te sens bien nerveux. Lui même n'était pas très serein. Encore un Pousseur de Bateau ! Il voulait des Lanceurs de Feu, des Jeteurs de Pierre ! Mais l'agacement manifeste de Borfel et sa nervosité flagrante surprenaient. - C'est-à-dire ... commença Borfel. Jousque ! Tu as testé son attitude face au feu ? - Evidemment, Maître Borfel. Il s'est brûlé dans le réchaud. Toush ! Montre tes doigts ! Inexplicablement, Yan Toush garda les bras le long du corps. Il regardait fixement face à lui. - Toush ! Ce n'est pas un piège ! Tu peux montrer tes doigts, s'impatienta son instructeur. Alors Yan Toush avança les deux mains, paumes au ciel. Ses doigts étaient intacts, aussi nets que ceux d'une jeune fille. Mais personne n'eut le temps de manifester sa surprise. Dans la seconde qui suivit, il les recourba et deux flammes rondes naquirent au creux de ses mains. Les deux gardes qui encadraient le Maître Noir bondirent, mais il était trop tard : le jeune Apprenti étendit ses bras vers le Comte d'Arguste, et deux torrents de flammes se déversèrent sur le monarque. Le Maître Noir était en train de se consumer sous les yeux effarés des Mages et de leurs Apprentis. Les deux gardes se précipitèrent sur l'assassin, épée levée, protégés par leur armure ; mais les deux épées se volatilisèrent, et les deux hommes ne purent faire un pas de plus, menacés par les flammes. Dans le même temps, le Maître Noir s'était recroquevillé de douleur, s'agitant avec désespoir dans la fumée noirâtre. Tout s'était déclenché si vite que personne d'autre n'avait bougé, sauf Legois, qui maintenait sa main en l'air. Alors Borfel comprit : c'était le Mage Formateur qui avait disloqué les armes des soldats. - Legois ! Qu'est-ce que tu as fait ? Legois ne lui répondit pas. Il s'était rapproché de Yan Toush et, avec ses deux mains, dessinait une coque de protection. Lorsqu'il vit que le Comte était mort, le jeune Solirien suspendit ses torrents de feu. Il se tourna vers Borfel. Son visage était transformé. Plus mûr, plus sûr, il affichait à présent un air triomphal. - Borfel ! cria-t-il d'une voix forte en désignant les deux soldats qui essayaient de ramper vers lui. Rappelez ces hommes si vous ne voulez pas qu'ils périssent à leur tour ! Une flammèche à son index concrétisa sa menace. - Arrêtez-vous, ordonna le Mage d'une voix lasse. Qui êtes-vous ? tenta-t-il, vaincu. Il avait bien compris que c'était à Yan Toush qu'il fallait parler, pas à Legois, qui restait concentré sur son sort défensif. - Vous m'avez posé la même question, il n'y a pas si longtemps, Maître Borfel, souvenez-vous. Pourquoi changerais-je ma réponse ? Je m'appelle Yan Toush, et je suis Solirien. Mais je crois, ajouta-t-il à l'adresse de Legois qui ne put s'empêcher de sourire, que Maître Borfel comprendrait mieux ce qu'il se passe si vous leviez votre sort. Alors Legois, gardant une main sur sa coque, fit un geste horizontal, et pour Borfel tout s'éclaircit. Farlid, Legois, Jousque, les Apprentis, tous retrouvèrent leur halo. Cependant aucune de ces nuées n'atteignait la moitié de l'intensité de celle qui nimbait Yan Toush. Le Solirien éclata de rire. - Est-ce que vous me voyez mieux, à présent, Maître Borfel ? - Comment … comment est-ce possible ? - Ne comprends-tu pas ? intervint Legois. Yan Toush est un des Mages les plus puissants du monde. Il a développé un art de Lanceur de Feu que l'on pensait jusqu'alors incontrôlable. - Et c'est toi, Legois, qui a permis sa venue ? L'évidence lui crevait le cœur. - Je n'ai jamais cessé de travailler à développer mes talents, Borfel. Et je guettais ce moment depuis des années. Toi et ton maître, vous n'avez jamais réussi à me mettre dans votre camp. Borfel était dévasté. Il comprenait qu'il avait été l'instrument de la machination. - Un jour, j'ai réussi à bloquer ton pouvoir. C'était le signal. - Mais comment as-tu fait ? - Quelle importance ? Ton art est de voir les flèches magiques qui émanent des magiciens. J'ai brisé ces flèches. - Une fois le paravent défait, il fallait encore s'approcher du Comte, intervint Toush. J'ai profité de votre tournée à Valtert pour monter ce petit stratagème, et ma fausse imprudence sur les torches. - Mais j'aurais pu ne rien voir ! - Nous aurions trouvé une autre occasion. Je serais venu à l'auberge … - Mais comment saviez-vous que je viendrais à Valtert ? En guise de réponse, Yan Toush se contenta de sourire, mais Borfel comprit aussitôt, alors que le visage d'Armil, son valet trop consciencieux, s'imposait à lui. - Je pensais m'installer tranquillement au château et guetter le bon moment pour passer à l'action. L'impatience du Comte a accéléré les choses, je crois. Le tas de cendres au milieu de la cour pouvait en témoigner. Des cris lointains leur parvenaient. Legois manifesta son impatience. - Bien, je crois que le moment des adieux est venu, conclut Yan Toush. Rassurez-vous, cependant, vous entendrez bientôt parler de nous. Bon courage pour ces heures difficiles qui s'annoncent. » Sur ces mots, Armil sortit de l'ombre avec trois chevaux. Les deux mages et le valet montèrent en selle, puis Yan Toush avança les deux mains et détruisit la porte du château dans les flammes. Les trois cavaliers partirent au galop au moment où les Soldats Noirs pénétraient dans la cour. Immobile au milieu du branle-bas, Maître Borfel contemplait la carcasse fumante de celui qui avait été son maître vénéré. Il avait retrouvé sa perception, mais à cet instant précis, la seule chose qu'il voyait, c'était l'imminence d'une ère de ténèbres sur le Comté d'Arguste. |
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