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Joute 32 : Epilogue
Joute 32 Texte H : Le plan
Le 04/03/2013 par rhav' non favori

[…]

Demain.
Demain, je détruirai deux mondes.

Jour 836

Ce seront mes derniers mots dans ce journal de bord. A bien des égards, il semblera au lecteur que ces lignes appartiennent plus à un journal intime (même si maintenant que vous arrivez aux dernières pages, cela vous semble déjà évident...). Disons qu'il s'agit d'un mixe des deux, dans la mesure où j'ai autant relaté mon expérience que mes états d'âmes.
J'ai essayé d'être aussi honnête que possible, de n'avoir rien enjolivé ou exagéré, même si je sais que fondamentalement, tous nos écrits sont teintés de partialité.

836 jours. Si mes estimations sont correctes, cela correspond à environ quatre ans sur Terre. Même après tout ce temps, même après tout ce que je viens de vivre, même après mon évolution, j'ai encore du mal à croire que cela fait si longtemps. Inutile de revenir sur tout cela. Si un jour, lecteur il y a, il lui suffira de reprendre la lecture au début de mon journal pour se rendre compte de l'effet que cela me fait, maintenant que j'écris ces lignes.
Après tout, cela ne fait qu'une dizaine de cahiers de deux cents pages...

Comme je le disais, j'ai essayé d'être honnête le plus possible. Néanmoins, au cours de ces dernières semaines, un projet... un objectif, s'est dessiné. Pas exactement un objectif, même. Plutôt une nécessité (encore qu'en fait, le mot projet ne soit pas si éloigné du concept que j'ai en tête). Et le lecteur se demandera pourquoi il n'en a pas connaissance, pourquoi cela ne lui évoque rien.
Cette nécessité découle d'une pensée que j'ai eu, je pense, au cours de la première apparition d'Antarès. Évidemment, le lecteur se posera la question suivante : "Quoi ? Mais à ce moment-là, il avait des troubles de la mémoire... comment peut-il s'en souvenir ?"
Et puis, j'imagine qu'il se reprendra dans la seconde qui suit. Après tout, j'ai fait un compte rendu détaillé à l'époque. Si j'ai pu écrire dans ces cahiers, qu'est-ce qui m'empêchait d'écrire sur d’autres, qui n'entrent pas dans la continuité ?

Je ne me suis jamais gêné pour démolir le Quatrième Mur. Je ne vois pas pourquoi je commencerais maintenant.
Cher lecteur, j'espère pour toi que tu as bien emporté toute la caisse de cahiers. Parce qu'au fond de celle-ci, parmi les cahiers vierges que tu trouveras, il y en a un, bien caché, avec toutes mes notes de projets depuis la première fois où j'ai vu le satellite géant de cette planète.

Si Mira était apparue avant Antarès, le contenu de ce journal de bord aurait sûrement été entièrement différent. Il est même probable que je ne l'aurais jamais tenu.
Néanmoins, j'imagine que maintenant que j'écris ces derniers mots, autant en profiter pour finir en beauté.

Le jour se lève. Enfin.

Fiak dort toujours. Mon maudit compagnon à plumes ronfle du sommeil du juste. Il est loin de s'imaginer ce que je m'apprête à faire. Et s'il savait, de toute façon, que pourrait-il faire ?
Il m'arrive en le regardant de me demander s'il se souvient que je l'ai pratiquement tué. Et fatalement, à chaque fois depuis que j'ai décidé de la date pour mener mon projet, je me demande si ce que je vais faire sera bon pour lui et les siens. Et pour la planète, dans son ensemble.
Malgré mon évolution, malgré l'amélioration de ma compréhension, de mes perceptions et de mes facultés, je n'arrive toujours pas à savoir si je vais réussir. Cela me tourmente mais pas tant que cela. En réalité, ce qui me tourmente le plus, c'est plutôt l'ignorance.
Admettons que j'échoue. J'en meurs. Passons, cela a toujours été une évidence, quelque soit l'issue. Mais admettons que j'échoue. Quelles seront les conséquences pour ce monde ?
Aucune idée. Cela seul justifie mon tourment.
Pire. Admettons que je réussisse. J'en meurs aussi. Je l'ai déjà dit. Que le lecteur se rassure, je m'y suis fait. Mais les conséquences ? À court terme, bonnes. À moyen termes, bonnes. À long terme... ? La théorie du chaos reprend ses droits.
Pire encore. C'est moi et moi seul qui qualifie les conséquences à court et moyen termes de bonnes. Mais est-ce que j'ai le recul et le droit d'agir sur la seule base de ma conviction ?

Même avant d'arriver ici, je me suis toujours considéré comme ouvert d'esprit. Depuis mon arrivée ici, cette ouverture a beaucoup augmenté. Le lecteur le sait. De même qu'il sait aujourd'hui quelles sont mes limites.
Une compréhension supérieure ne signifie pas pour autant un jugement supérieur. Encore moins l'accès à toutes les réponses.
Je crois que jusqu'à mon dernier souffle (qui, cyniquement, n'est pas si loin que cela), je serai hanté par cette recherche du sens de l'univers.
Vous comprendrez mieux mon tourment si je vous dis que mes calculs statistiques prennent forcément en compte la probabilité infiniment petite de l'existence d'une force supérieure.
D'accord, il est également probable que mes agissements aient été prévus par cette force supérieure. Mais en regard de l'extrêmement faible probabilité que cette force existe, la probabilité que mes actes ont été prévus est tout simplement ridicule. Si ridicule que cela ne vaut pas la peine d'être mentionné.

Alors pourquoi le mentionner ? (est-ce que, après tout ce temps, je dois encore m'excuser pour ce genre d'anticipation ? ):
_je fais partie d'un plan, qui vise à l'anéantissement : j'ai tort d'y contribuer.
_je fais partie d'un plan, qui vise à la continuité : j'ai raison d'y contribuer.
_pas de force supérieure, mon jugement manque de recul : j'ai tort d'agir.
_pas de force supérieure, mon jugement a assez de recul : j'ai raison d'agir (à court OU moyen OU long termes...)
Avec toutes les déclinaisons possibles et imaginables pour les deux premières possibilités. Il peut y avoir non pas une mais deux entités supérieures ou plus, et donc par conséquent, non pas un mais deux plans (ou plus) par entités.
D'un point de vue statistique, si je mentionne les quatre possibilités ci-dessus, c'est parce que selon la définition que je donne à « court », « moyen » et « long » termes, la dernière englobe les trois autres, de sorte que les probabilités des trois premières suivent une courbe asymptotique.
Autrement dit, en simplifiant à l'extrême, que je réussisse ou que j'échoue n'a pas d'importance, j'ai une chance sur deux de faire ce qu'il faut.

Alors pourquoi ai-je décidé d'agir, malgré le doute ?
_parce que je le peux.
_parce qu'au cours des 835 jours que j'ai vécu ici, je n'ai rien vu qui justifie la destruction ce de monde.
_parce qu'une incertitude de la vie vaut mieux qu'une certitude de mort.
_parce que de mon point de vue, la vie sur cette planète a le droit d'exister.

La grande question étant plutôt : si je dois en mourir, à quoi bon ?
Simplement ceci : je n'ai pas trouvé de raison de vivre plus longtemps. J'ai la certitude de ne jamais pouvoir rentrer chez moi par mes propres moyens. Les chances pour qu'une intervention extérieure s'en charge sont minces et quand bien même, dans l'hypothèse où mon absence n'ait pas été remarquée, je doute de pouvoir me réintégrer à la société. Pas après ce que j'ai vécu ici.
Du reste, je ne vois pas bien l'intérêt de continuer à vivoter sur cette planète jusqu'à la fin de mes jours. Ou pire, pour l'éternité. Puisque j'en suis capable, autant que mes facultés servent à quelque chose.

C'est pour cela que j'ai décidé d'agir.
C'est pour cela que Mira et Antarès doivent disparaître.
C'est pour cela que dans quelques heures, quand Mira et Antarès seront au zénith, je les détruirai.
C'est pour cela que demain, je mourrai.

Peut-on vraiment cesser d'aimer quelqu'un ?
À Mira, avec ton mon amour.

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Peu après avoir refermé son journal sur ces ultimes mots, Nathan alla le poser dans la caisse en plastique. Mécaniquement, il en referma le couvercle sur son précieux contenu. Probable que les cahiers ne seraient jamais lus, mais aux yeux du jeune homme, ils avaient plus de valeur en ce monde que n'importe quoi d'autre. La valeur de la dernière preuve de son existence.
En se relevant, les yeux fermés, il prit une profonde inspiration. Le flux vert turquoise qu'il avait nommé « Anaeri » emplissait l'air depuis la veille. La vie se répandit dans ses poumons puis, grâce à la circulation sanguine, s'insinua en lui, renforçant encore plus sa compréhension.
Nathan sortit de sa grotte, caressant avec affection les murs qu'il avait lui-même excavé. Le contact de la pierre tiède lui rappela les efforts qu'il avait fournis pour tailler son foyer, les coups de marteau sur le burin qui résonnaient dans son bras, la sueur qui perlait sur tout son corps, les morceaux de roches se détachant à chaque impact. Un souvenir en rappelant un autre, Nathan se revit en train d'extraire le fer du minerai, dans son premier haut-fourneau, quand il lui fallait encore tâtonner pour réaliser quoi que ce soit. La brûlure des muscles qui travaillent, la chaleur intense du brasier, le plaisir à l'idée de redécouvrir ce que les hommes du passé avaient fait.
Des centaines d'autres souvenirs lui revinrent en tête. Tous mêlés de joie, de peine, d'émerveillement, de douleur, de tristesse. Tous surpassés par la sérénité qui l'avait gagné au fil des mois. Et même, d'une certaine manière, au fil des années.
Plus il respirait, plus Nathan sentait la vie et la compréhension s'insinuer en lui. Il s'abreuva à cette source, comme il s'était abreuvé dans l'eau d'un torrent, peu après son arrivée sur cette planète, alors qu'il mourrait de soif. La plus petite fraction d'Anaeri pouvait, de son point de vue, faire la différence au moment crucial.
Face au soleil levant, le jeune homme ouvrit les yeux. Malgré l'étendue des connaissances et de l'ouverture d'esprit que lui conférait la substance turquoise, malgré la pratique et le questionnement qu'il s'était imposé depuis des mois, Nathan n'avait jamais réussi à percer le mystère de son arrivée, ni celui de sa présence sur cette planète. Seule des déductions intuitives avaient permis d'entrevoir des réponses. Mais jamais de moyens de retour.
En regard des facultés et connaissances qui étaient siennes sur cette planète, la solitude et l'ignorance avaient été une torture sans nom, l'amnésie, une bénédiction à égale mesure.
Tout cela relevait à présent du passé. Nathan avait besoin de la totalité de ses ressources, besoin d'être entier, d'être en pleine possession de ses moyens. Et si les vagues de questions, de ressentiment et de tristesse revenaient l'assaillir, il s'en servirait pour alimenter le brasier de ses émotions.
Il sortit de la grotte, accordant un bref coup d’œil à la forêt luxuriante en pleine floraison et se téléporta à l'à-pic. Le haut de la falaise jouerait un double rôle. La vue qu'elle offrait sur la plaine continentale contribuerait à l'apaisement tandis que la hauteur permettrait à Nathan d'avoir accès à plus de Calabi, la substance violette tueuse de vie.
Il s'assit au rebord du vide, face aux Étendues Verdoyantes, ferma les yeux, et entrepris de chasser les derniers doutes de son esprit, de contrôler sa respiration, de discipliner le torrent de ses pensées.
Le temps passa.
Antarès continuait, inlassablement, sa course dans le ciel. Mira, déjà présente, semblait l'attendre patiemment. Les deux astres semblaient dévorer l'horizon, gigantesques de par leur taille. L'un bleuté aux reflets turquoise, l'autre rougeâtre sombre. La spirale d'Anaeri allait bientôt atteindre son apogée. Bientôt, Antarès serait suffisamment proche pour que le Calabi commence à s'échapper.
Ce n'était plus qu'une question de seconde.
Nathan chassa les dernières pensées parasites de son esprit et ouvrit les yeux. Les premières volutes de Calabi s'élevaient devant lui. Il élança son esprit vers elles et s'en saisit, avant de commencer à tirer sur la source. La puissance affluant en lui, il étendit son esprit en une bouche ouverte sur le sol, qu'il agrandit de plus en plus, aspirant toujours davantage de Calabi et d'Anaeri.
Les forces antagonistes, qui luttaient de façon destructrices en ce monde ne pouvaient rien face à cette faim dévorante. Elles ne se pliaient pas à la volonté du jeune homme, elles étaient consumées par l'esprit de cet intrus en ce monde. Plus il en aspirait, plus sa compréhension et ses connaissances augmentaient. Plus il en aspirait, plus les mâchoires de son esprit grandissaient. Plus il en aspirait, plus il pouvait en aspirer.
Bientôt, la base de la spirale d'Anaeri se rétrécit, les courants à l'intérieur devenant plus denses sous l'effet de l'augmentation de l'intensité. Et toujours, Nathan aspirait, dévorait les deux substances, l'une provenant de Mira, l'autre s'échappant vers Antarès. Il consumait une fraction de ces flux pour les contenir en lui-même, une autre pour augmenter la taille de sa bouche, une autre encore pour aspirer plus encore des deux flux.
L'effort mental lui crispa le visage.
Bientôt, les vagues de compréhensions, d'émotions, de sensations et de pulsions s'estompèrent, les unes après les autres. Ne resta plus qu'une pensée, avec derrière, l'instinct.
La spirale d'Anaeri se réduisit en colonne, la base supérieure s'élevant jusqu'à Mira, la base inférieure se rétrécissant toujours plus.
Nathan retint un grognement tandis que la crispation atteignait les épaules.
L'instinct de survie commença à protester.
Un grondement sourd s'éleva et un début de vibration vint faire trembler la terre. La roche craquela et d'inquiétants bruits de fissures se firent entendre.
La colonne d'Anaeri rétrécissait de plus en plus. Déjà, son bord le plus éloigné ne recouvrait plus que les terres. Les flux verts en son sein gagnaient toujours plus en intensité, virant progressivement au bleu, puis au jaune. Sur le chemin des bords de la colonne, la vie semblait exploser sous toutes ses formes, les arbres grandissant démesurément, la végétation comme prise d'une furie titanesque.
Les nuages se formèrent de nulle part, englobant ainsi les cieux, l'atmosphère se nimba de bleu sombre, les limites entre le ciel et la terre s'estompant. Le grondement sourd se transforma en un roulement de tonnerre, faisant écho aux gémissements de la terre.
Partout, le sol s'ébranla, laissant s'échapper des faisceaux de lumières violacées. Les crevasses s'ouvrirent autour de Nathan. Les crevasses devinrent des failles, gagnant en largeur, se rejoignant les unes les autres, avalant des pans entiers de falaises, vomissant le Calabi comme un volcan libère son magma en fusion.
Nathan était prostré sur lui-même, luttant de toutes ses forces, de toute son âme, de tout son être pour consumer Calabi et Anaeri. La tension lui vrillait tous les muscles du corps, menaçant de le déchirer. L'instinct de survie lui cognait les tempes au rythme des battements de son cœur. Il prit l'inspiration la plus profonde de toute sa vie. L'instinct de survie prit de la vigueur, luttant pour lui faire lâcher prise.
La falaise continuait de s'écrouler sous Nathan, maintenant recroquevillé sur lui-même, tremblant mais insensible aux changements autour de lui. La roche sur laquelle il se trouvait se déroba, ouvrant la gueule monstrueuse d'un maelström démesuré de Calabi. La lumière violette s'échappant de l'abîme vira lentement au noir profond, teintée ici et là par les courants de flux.
Dans un ultime gémissement, cieux et terre se figèrent dans le silence et l'immobilité, terrassés par la tension. Seuls restaient encore le cône noir de Calabi et la colonne d'Anaeri, l'un comme l'autre rétrécissant de plus en plus, leur point focal centré sur Nathan.
En quelques secondes, la colonne d'Anaeri devint un unique rayon de lumière tandis que le cône de Calabi s'estompa, les deux dévorés par la volonté du seul être humain de l'univers.
L'instant d'après, Nathan musela la petite voix dans sa tête et relâcha la tension en un hurlement inhumain, d'une puissance effroyable qui dura une éternité. L'atmosphère claqua telle une corde qui se rompt et dans le même temps, le jeune homme se saisit des deux corps célestes.
Aux premiers instants, il sembla que rien ne se produisait. Mais il devint rapidement visible que les deux astres se rapprochaient, la distance les séparant se réduisant de plus en plus vite. En quelques minutes ils étaient sur le point de se toucher. Nathan puisa dans ses dernières ressources et dans un dernier râle d'effort, obligea Mira et Antares à entrer en collision.
Calabi et Anaeri disparurent.
Nathan n'en su jamais rien. Au moment même où Mira et Antarès s'étaient effleurés, la vie avait quitté le jeune homme. Son corps tomba dans le gouffre ouvert quelques instants plus tôt.

Dans les dernières secondes d'accumulation des flux de vie et de mort, Nathan s'était servi de la toute puissance mentale du moment pour calculer les angles et vitesse d'impact de sorte que sa lune soit envoyée sur une orbite stable autour du soleil. Cela avait nécessité l'essentiel de ses ressources, plus encore qu'il ne lui en avait fallu pour dévier les courses d'Antarès et de son satellite géant, Mira.
A présent, Terra, la terre sur laquelle il avait vécu 836 jours n'était plus une lune mineure autour d'une géante gazeuse, mais une planète à part entière autour de son soleil, à distance viable et orbite stable, avec ses propres satellites.
Et la vie pourrait maintenant s'y développer en paix.

Je pense que c'est ce qu'il aurait voulu. Il aurait voulu que les dernières pages de son cahier de bord relatent ses derniers instants. Je lui devais bien ça.
Je suis le maudit compagnon à plumes qu'il appelait Fiak.
Et je ne suis pas censé savoir écrire.

Pardonne-moi, mon ami.