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Joute 32 : Epilogue Joute 32 Texte C : Epilogue
La lune éclairait la pénombre des monts Valoscor, le vent virevoltait entre les branches des cerisiers et la fumée d’un feu grisonnait vers le ciel étoilé.
Le Tornak était dressé en plein milieu de la plaine herbeuse, avec pour seuls compagnons les arbres millénaires. La tente aux toiles bleues et blanches était éclairée par les braises. Soudainement, un rire retentit et Irina jaillit du Tornak. Elle courut dans ses plus simples atours vers le feu quand les pans de la tente se soulevèrent de nouveau. Gail passa ses bras autour de la taille de la jeune femme et l’embrassa dans le cou. - Hmm, j’aime sentir ta peau, tu sais ? - Je n’en ai jamais douté, répondit-il en souriant. Sa main se fit baladeuse, remontant délicatement vers le sein droit d’Irina, mais avant d’être arrivé à destination, un pincement à un endroit extrêmement intime le plia en deux. Elle sourit, en lui tapotant la joue, tandis qu’il avait toujours les dents serrées. - Cela t’apprendra, fit-elle en tirant la langue. - Arrête ça immédiatement ! menaça-t-il en titubant. - Sinon quoi ? Vas-tu te mettre à danser le mi… Elle ne put terminer sa phrase qu’elle fut propulser à plus de cinquante pieds par une vague bleue. Il se redressa et grimaça. Ne la voyant pas revenir au bout d’une dizaine de secondes, il la chercha des yeux. Une ombre flotta à l’extrémité de son regard et il se tourna vivement. Elle tomba littéralement sur lui, ses bras et ses pieds l’agrippant sans tressaillir. Leurs visages se firent face et leurs yeux se rivèrent les uns aux autres. - Tu crois vraiment que nous trouverons le Wattengun y est ? - Non, mais nous lui avons promis, non ? Jan le veut, alors tâchons de bien le chercher. - Veux-tu partir ? - Nous avons le temps devant nous. Beaucoup. Elle l’embrassa fougueusement et il tomba à la renverse. Suicanj frappa le tronc de sa hache affutée. Les copeaux s’envolèrent dans les airs. Il s’essuya le front quand il entendit un cheval galoper. Il tourna la tête vers son cottage et vit une silhouette qu’il reconnut immédiatement. - Janmar ! Que fais-tu si loin de Sélasvy ? - Il est né, il est né ! cria ce dernier en agitant la main. Le vieux juge resta sous le choc et jetant ses gants à terre, il se toucha les joues. Des larmes roulaient dessus, et ses yeux le piquaient. Un immense sourire fendit progressivement son visage et il courut vers Janmar. Le messager du Roi montait un cheval normal, ses vêtements semblaient rapiécés et lui-même paraissait exténué. - Qu’as-tu fait d’Elainia ? Tu l’as mangé ? - Jamais, jamais ! Elle se repose parmi son peuple ! - Alors à quoi ressemble-t-il ? lança Suicanj, impatient. - Elle déjà, et bien, un cheval avec une corne, tu as déjà des problèmes de mémoire ? - Mais non, l’enfant ! Est-ce un garçon ou une fille ? Comment s’appelle-t-il ? Janmar descendit de sa monture et vint lui faire une forte accolade. - Elle est magnifique, les yeux de sa mère, tout le monde le dit. Elle s’appelle Eurona, c’était le nom… - De sa grand-mère, je sais, je te rappelle que j’ai vécu avec elle pendant plus de deux cent ans. A ses mots, des souvenirs douloureux s’emparèrent de lui, mais il les balaya d’un mouvement de tête. Le jeune messager l’observait attentivement, et le prit par le bras. - Maître Suicanj, le Roi m’a chargé de vous escorter au Palais. - Pour…, hésita-t-il en levant le doigt vers l’ouest. - Oui. Comme nous l’avions prévu. Le juge demanda à Janmar de l’attendre devant la maisonnée, et partit préparer ses affaires. En vérité, elles étaient déjà prêtes, il revêtit juste sa tenue, et saisit sa lame. Il la tira nostalgiquement. La lame irisée luisait à la lumière du soleil et les inscriptions du Taillefer étaient toujours aussi belles. Il rangea sa casserole et la grosse marmite de soupe. Le pain trouva sa demeure dans le gros panier tressé. Il jeta un dernier coup d’œil. Le feu ! Il avait failli l’oublier. Son regard vint accoster les flammes et celles-ci s’éteignirent. Il sortit, sous le regard de Janmar, et ferma soigneusement la porte. Il conseilla à son ami de s’éloigner et pris lui-même de la distance. Suicanj traça un amshi. Le cottage disparut. Les fleurs aimées du petit jardin s’évanouirent dans un éclat doré. Du sol jaillit un feu si intense que le juge en ressentait la chaleur, la terre s’érigea autour comme une coquille. Le terrain s’affaissa, s’effondra, et d’un coup, la falaise tout entière dégringola dans la mer. Suicanj se retourna, sans regrets, elle était toujours là de toute manière. Janmar le regardait, ébahi, pantois et bouche bée. Le juge était content de l’effet qu’il avait provoqué. Toujours un plaisir que quelqu’un apprécie le bon travail. Il écoutait patiemment les Ecureuils, ceux-ci étaient en émoi. L'un des leurs était mort hier soir, et ils le pleuraient. Le chêne ploya sous le poids croissant des petits animaux, il en vint de partout. La guerre a été dure pour eux, nombreux d'entre eux avaient péri de la main même du Laogonar. A présent qu'il fallait rebâtir la forêt, un mort de plus ne pouvait que les consterner. Et lui avec. Ils avaient toujours cette tendance à dramatiser la situation qu'il ne pouvait que les suivre. Il s'agenouilla à côté du petit corps et l'emporta sous les cris des petits animaux. Il regarda vers le sol près de sa maison, une petite tombe se creusa dans la terre. Il y laissa le corps de la petite bête, alors que ses compères se réunirent autour de lui. Il soupira et, ne pouvant pas marcher sans trébucher sur un écureuil, il choisit de traverser le mur de sa résidence. Il continua la préparation de la potion d'immortalité avec la recette qu'ils avaient trouvée dans les sous-sols du Parc de la Reine. Il jeta la branche de chêne dans la marmite, avec la patte de renard et l'aile de rouge-gorge. Ah, le rouge-gorge, ce satané piaf ! Il avait mis plus de cent ans pour acquérir une seule aile de ce maudit oiseau ! Mais dès qu'il posa le reste de l'animal dans le chaudron, des cris humains à l'extérieur attirent son attention. - Bon sang, que se passe-t-il encore ?! maugréa-t-il en sortant, la cuillère à la main. - Père Daran ! Père Daran ! La fille de Jan est née ! cria une voix qu’il identifia tout de suite comme celle de Janmar. Le père Daran sentit son coeur battre la chamade mais se reprit. - Comment va-t-elle ? Est-elle saine ? Tiens-toi tranquille, abruti de gamin ! - Oui, mon père ! Elle est en parfaite santé, Sélana aussi. Vous devez venir vite ! s'écria-t-il en tirant sur le bras du vieux sorcier. - Doucement, je n'ai plus quarante ans. Il jeta un dernier regard à sa maison et aux écureuils qui l'observaient attentivement, vérifia qu'il touchait bien le jeune homme. Et ils disparurent. Le Palais de Sandis était arrosé des lueurs incandescentes du soleil couchant. Ce jour-ci, la mer montait très haut et frappait les digues d’obsidienne comme si les chevaux de Néipondo le Vert étaient en course. De la haute Tour, on pouvait distinguer les ambassades venues d’Istangor, de la Gorge des Dragons, et celle spécialement menée par Nini. La jeune princesse avait voulu venir en personne la nouvelle née. Jan et Sélana agitèrent la main, en sachant que Nini ne pouvait pas les voir. Le Roi prit sa femme par la main et la regarda précautionneusement. Elle avait rapidement perdu ses formes, et semblait aussi mince qu’avant d’être enceinte. Trop mince même. Il se retourna, pensant entendre le cri d’Eurona, mais elle n’était pas là. Leur jeune servante la berçait au Palais. Strictement interdit, avait répondu Mérénise, si vous la sortez, et qu’elle attrape froid, je ne m’en occupe plus, quand il avait proposé de faire voir le coucher de soleil à sa petite fille. Le portrait craché de sa mère. Une petite peste avec des cheveux roux, des yeux verts, et un nez à faire fondre n’importe quel père. Surtout lui. Il sourit en s’imaginant la porter dans ses bras, peut-être l’amener à la chasse plus tard, il ne fallait pas que sa mère l’adoucisse trop. Sélana lui pinça le bras afin de le ramener sur terre. - Hé, ho, parlerais-je tout seul ? fit-elle, la bouche plissée. - Je réfléchissais, ma mie. Notre fille sera reine un jour. - Je le sais, crois-tu que ta reine soit si peu intelligente que tu doives lui rappeler cela ? Il voulut répondre, mais face à un regard noir royal, rien ne vaut mieux qu’un détournement. Comme l’explosion extrêmement sonore dans un ciel noir et clair annonçant la venue du plus vieil homme du Royaume. Le père Daran fut présenté à la petite Eurona. Elle l’adopta dès qu’elle le vit. Sélana était étonné par une telle situation. Après avoir été accueillir et longuement embrasser le Maître des sorts de Sélasvy, le couple royal l’avait escorté jusqu’à le petit être qui venait de naître. Le sorcier s’était approché avec délicatesse et une douceur jaillit de ses yeux. Il avançait précautionneusement, un pas après l’autre, mais dès qu’il vit l’enfant, il fut plongé dans un monde noir. Il tomba à travers un gouffre sans fond, il s’écrasa contre ses souvenirs, des plus sombres à ceux qui lui étaient les plus chers. Le visage de Janmar, le cadavre du petit écureuil entre ses doigts, les dépouilles de derniers héritiers de l’Empereur, les cadavres des cent mille hommes qui jonchent au sol, rougissant la terre et le ciel du sang versé. Il ne sentait pas tomber étrangement, mais remonter le long d’un puits noir. Les visions reprirent dans les couloirs du château impérial, le groupe courait sans regarder en arrière, Sélana volait dans les airs, la lame d’ébène céleste dans le cœur de Song, le petit Jabrel les yeux vitreux, la dernière Guerre, les siècles de service auprès de son Eurona. Il fut de nouveau renvoyé à sa réalité, dans ce gouffre inversé où ses pleurs noyaient ses cheveux d’une amère saveur. « Eurona, Eurona, pourquoi m’as-tu laissé ? » Un flash le ramena dans son rêve : la culture des champignons hallucinogènes, les lanceurs de feux de l’Ouest, le chanteur de l’Auberge sur le port, les lames brûlantes des Chauves sur sa peau, les années d’errance, la guerre de l’Initiation, les ruelles étroites de Damaco, le visage de sa mère, la chaleur originelle et après une éternité de songes, le néant. Il ouvrit les yeux. Il était près du berceau et une petite main touchait son nez. Deux yeux verts bien ouverts le noyaient d’affection, le jour renaquit dans sa tête. Sa peau fondit dans la lumière. |
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