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Joute 31 Joute 31 Texte 2 : Le Dragon d'Itiriel
Oyez, Oyez, braves gens ! Prenez siège, buvez un coup et écoutez… Car je vais vous conter, dans cette magnifique auberge nommée La Pierre de Tear, une histoire. Et pas n’importe quelle histoire car, l’histoire que je vous propose ce soir est celle du Dragon d’Itiriel. Oh je ne vous parle pas de ces petites histoires que vous racontez à vos enfants avant d’aller dormir ! Non, je vous parle de la véritable histoire… celle à l’origine des contes. Une histoire qui s’est passée à une époque tellement lointaine que les créatures les plus fabuleuses foulaient encore notre sol. Mes chers amis, faites silence et écoutez donc la véritable histoire… du Dragon d’Itiriel…
Il était une fois, il y a de cela des milliers d’années, un roi bon et juste. De par son éloquence et sa générosité, il avait pu conquérir l’ensemble du monde connu, et ce sans verser la moindre goutte de sang. Cependant, alors que sa vieillesse commençait à se faire sentir, le roi n’avait toujours pas d’héritier. Sachant que son royaume s’écroulerait s’il venait à disparaitre, il organisa un bal, réunissant toutes les jeunes femmes libres du royaume. Pendant toute la nuit, il y chercha celle qui deviendrait la mère de ses enfants. Mais ces femmes n’étaient attirées que par l’argent et le pouvoir, si bien qu’au petit matin, le roi était toujours désespérément seul. Ce n’est qu’alors, une fois toutes les prétendantes parties, que le roi remarqua une jeune servante. La seule femme à ne pas être venue danser avec lui. Quand il lui demanda pourquoi elle n’était pas venue le voir, elle lui expliqua que, même si l’épouser était son rêve le plus fou, un roi méritait bien mieux qu’une humble servante ; elle qui passait son temps dans la saleté et la misère. Le roi fut conquis devant tant d’humilité et, après avoir fait la cour à la jeune femme comme il se devait, ils se marièrent. Jamais un mariage ne fut aussi grandiose. Pendant sept jours, la bière coula à flot, et les feux d’artifice explosèrent de mille feux, occultant le soleil lui-même. Une année s’écoula. Une année durant laquelle le vieux roi fut le plus heureux des hommes. Et à la fin de cette année, sa femme lui annonça qu’elle était enceinte. Mais quand vint enfin le moment de l’accouchement, la jeune reine tomba gravement malade. Si bien qu’à sa naissance, le petit bébé était déjà mort. La reine supplia les cieux d’échanger sa vie contre celle de son enfant, mais rien n’y fit. Elle mourut alors de chagrin, dans les bras de son époux. Le roi fut complètement anéanti. Incapable de surmonter son malheur, il s’enferma dans sa salle du trône, avec pour ferme intention de ne plus jamais voir la lumière du jour. Pendant un an, plus personne ne le revit. C’est alors qu’il se souvint d’un vieux conte qu’on lui racontait tandis qu’il n’était qu’un jeune garçon. Ce conte racontait qu’il existait un dragon qui exauçait les vœux de ceux qui arrivaient jusqu’à lui. Toujours selon ce conte, le dragon vivait au sommet de la plus haute colline d’Ird, un lieu dont aucun humain n’était jamais revenu. Bien que tous lui crièrent que cette quête n’était que folie, le roi décida de partir, seul, vers sa dernière lueur d’espoir. Pendant quinze ans, il gravit les falaises, affronta des dangers dont même le plus grand guerrier ne pourrait se vanter, et vit des contrées que personne d’autre avant lui n’avait pu observer. C’est seulement quand il arriva au crépuscule de sa vie qu’il trouva le dragon. Plus majestueux que la plus grande des forteresses, ses écailles d’or flamboyaient comme un brasier enfermé dans du verre. Tandis que ses yeux, dont la beauté n’égalait que celle de la Lune, reflétait plus de sagesse qu’aucun homme ne pourrait jamais atteindre. Quand le roi se trouva enfin devant lui, le dragon demanda alors : « Grand Roi Itérion, seigneur du royaume de Landris, tu arrives enfin au bout de ton voyage. Que me veux-tu donc ? » « Oh Grand Dragon, seigneur du Ciel et de la Terre, je viens à toi car ma fin est proche et tout ce que j’ai bâti risque de disparaitre. Je souhaite que tu m’exauces un vœu. » Le dragon leva sa tête et dit : « Ton vœu j’exaucerai, Grand Roi, mais avant tu vas d’abord devoir me vaincre. Nombreux sont ceux qui ont tenté leur chance, mais tous le payèrent de leur vie. Seras tu l’un d’entre eux ? » Le vieux roi médita longuement. Puis, lentement, il dégaina son épée qu’il jeta aussitôt au sol. « Comment pourrais-je verser le sang de celui dont je viens quérir l’aide ? Comment pourrais-je verser du sang maintenant, au crépuscule de ma vie, alors que je n’ai jamais eu à le faire de tout mon règne ? » « Abandonnes-tu ta quête, Grand Roi ? » demanda le dragon. « Non Grand Dragon, car il n’y a pas que par les armes que l’on peut être vaincu. Et je choisis de t’affronter lors d’une partie d’échecs. » Un grand sourire se dessina sur le visage du dragon, qui fit apparaitre aussitôt un échiquier devant lui. « Qu’il en soit ainsi » déclara-t-il. La partie commença alors. Pendant trois jours et trois nuits, le roi affronta le dragon, aucun d’entre eux n’arrivant à prendre l’avantage sur l’autre. Ce n’est qu’au petit matin que le roi réussit à remporter la partie. Le dragon se releva et dit alors : « Tu m’as vaincu d’une bien belle manière, Grand Roi. Et comme promis, j’exaucerai un de tes vœux. » « Grand Dragon, ma femme et mon fils sont tous deux morts et ce de façon injuste. Je t’en prie, rends-leur la vie. » « Tu aurais pu me demander la vie éternelle, ou encore les pouvoirs d’un dieu, mais là encore tu fais preuve de générosité et de bonté. Je ne rendrai pas la vie à ta femme, car si elle n’était pas morte de chagrin, elle aurait succombé à sa maladie. En échange, je ferai qu’elle meure de joie en voyant naitre non pas un mais ses deux enfants. Grand Roi, construis-moi une demeure au centre de ton Royaume, et moi, Endérion, seigneur du Ciel et de la Terre, fils de la Lune et du Soleil, je m’engage à veiller et servir ta descendance jusqu’à la fin des temps. Ainsi soit-il. » Le vieux roi n’eut pas le temps de répondre quoi que ce soit qu’il se retrouva dans son château, tenant la main de sa femme qui s’épuisait à donner la vie. D’abord naquit Voldun, celui qui aurait dû mourir avant même d’avoir pris sa première respiration. Puis vint Siminé, sa sœur et sans nul doute le présent du dragon. Tous deux avaient les cheveux rouges. Non pas roux comme l’on voyait souvent, mais rouges comme le sang. La jeune reine étreignit ses deux enfants et, après avoir embrassé une dernière fois son époux, plongea dans son dernier sommeil. Le roi quant à lui, pouvait vivre à nouveau. Il n’avait cependant pas oublié la demande d’Endérion. Le roi envoya tous ses travailleurs et architectes au centre de son royaume, et y fit bâtir Itiriel, la plus grande et la plus majestueuse cité que le monde ait connue. Entièrement faite de marbre, la cité dominait tout le monde connu. Plus grande que la plus imposante des montagnes, on dit même que ses tours pouvaient effleurer le royaume des dieux. Le dragon arriva à l’instant même où la dernière pierre fut posée et s’installa au sommet de la plus haute tour. Satisfait du travail, Il confirma au roi qu’il veillerait sur ses enfants, et que quand ils auraient besoin de lui, ils n’auraient qu’à venir le voir. Les années passèrent, et quand ses deux enfants eurent seize ans, le vieux roi sentit que le moment de nommer son héritier était venu. Car si le dragon lui avait rendu les seize années qu’il avait passé à le chercher, il ne lui accorderait pas une journée de plus. Il fit donc venir ses deux enfants près de lui. La tradition aurait voulu que Voldun, qui était né le premier, hérite du royaume. Mais le vieux roi aimait trop ses enfants pour tout donner à l’un et rien à l’autre. Il décida alors de scinder son royaume en deux. Son fils hériterait de l’Occident, tandis que sa sœur hériterait de l’Orient. Ainsi fut-il décidé et, la nuit même, le vieux roi s’éteignit dans son sommeil, le sourire aux lèvres. Ne pouvant régner au même endroit, les deux monarques quittèrent le palais de leur père. Voldun s’installa dans la cité d’Andar à l’Ouest, tandis que sa sœur choisit la cité de Sil, à l’Est. Les premières années de règne se passèrent dans la paix et la prospérité, mais cela ne dura pas. Furieux de ne pas avoir été l’unique héritier de son père, Voldun décida de s’emparer du royaume de sa sœur. Sachant pertinemment qu’il ne pourrait faire cela avec les moyens dont il disposait, car leur père avait fait en sorte que l’Orient et l’Occident soient de force égale, il alla voir le Dragon et lui demanda : « Grand Dragon, exauce mon vœu ! Celui de posséder la plus grande armée que ce monde ait connu. Ainsi je pourrai marcher sur ma sœur et reprendre ce qui me revient de droit. Et que cette force prodigieuse me suive dans la tombe car jamais personne d’autre que moi ne doit pouvoir obtenir une telle puissance ! » Ainsi fut-il. Et une armée d’un million d’âmes que seul le sang pouvait rassasier sortit alors de terre, aux pieds de la cité d’Itiriel. Et à l’instant même, Voldun lui ordonna de rayer l’Orient de la carte. Quand Siminé apprit cela, elle se rendit au plus vite dans la cité de marbre et demanda alors à Endérion : « Oh Seigneur du Ciel et de la Terre, je t’en conjure, érige un mur tel que cette monstrueuse armée ne puisse jamais atteindre mon peuple. » Ainsi fut-il. Du sol s’éleva une muraille de diamant, haute de mille pieds, et dont la beauté n’avait d’égale que la cité d’Itiriel. Ceinturant l’ensemble de l’Orient, l’armée de Voldun, incapable d’avancer, s’endormit au pied de l’immense structure. Hors de lui, le jeune roi revint voir le Dragon et lui cria : « Dragon ! Je veux que tu répandes la peste et la folie dans l’Orient ! Que cette muraille censée les protéger devienne leur prison et leur tombe ! » Ainsi fut-il. Et la peste et la folie fondit sur le peuple d’Orient, tel un ouragan déchainé. Bientôt, seule la jeune reine fut épargnée, car le dragon ne pouvait faire de mal ni à elle, ni à son frère. Elle revint voir Endérion et lui demanda alors : « Grand dragon, je t’en prie, apporte la santé à mon peuple, maintenant et à jamais. Que jamais plus il ne doive subir la maladie et la folie. » Ainsi fut-il. Et la peste et la folie disparurent d’Orient, et ce comme toutes les maladies du royaume. Le frère revint une troisième fois chez le dragon et ordonna : « Dragon ! Donne-moi la vie éternelle ! Ainsi je verrai ma sœur vieillir et mourir. Et après seulement, je m’emparerai de l’Orient. Ainsi fut-il. Et les années n’eurent plus d’effet sur le roi. Cinquante ans passèrent et la reine, devenue vieille, se présenta devant le dragon : « mon vieil ami, j’ai encore une fois besoin de toi. Je n’ai pas d’héritier, car je considère que le sang ne donne pas le droit de diriger les hommes. Mon successeur, je le choisirai parmi mon peuple. Mais à ma mort, l’Orient sera à la merci de mon frère car ma lignée sera brisée et ta promesse à mon père n’aura plus lieu d’être. Alors je t’en prie, permet-moi de vivre jusqu’à ce que mon frère ait été vaincu. Ainsi je saurai que mon peuple sera en sécurité. » Ainsi fut-il. Et un pommier apparu dans le jardin personnel de Siminé. « Mange une pomme de cet arbre, lui dit le dragon, et tu rajeuniras de dix ans. Prends-en tant que tu veux et, quand tu voudras enfin mourir, cesse simplement d’en manger. » Et ainsi la reine retrouva jeunesse et beauté. Voldun, fatigué par ce jeu, se rendit une dernière fois chez le dragon. « Dragon, lui dit-il d’une voix lasse, à cause de toi je ne peux réaliser mon projet, car pour chaque vœu que je fais, ma sœur peut en faire un autre. Et pour cela voici mon dernier vœu : Endérion, je veux que tu meures ! » Le dragon le regarda longuement, puis dit enfin : « Qu’il en soit ainsi, mais saches que tu viens de briser le contrat qui nous lie ! Ainsi je proclame que tu vivras éternellement, mais tu subiras les affres de la vieillesse et quand même tu seras réduit en poussière, tu ne trouveras jamais le repos ! » Et sur ces dernières paroles, Endérion, seigneur des Cieux et de la Terre, disparu dans une explosion de lumière. Deux siècles passèrent, et Voldun n’était plus qu’un cadavre sans chair. Dans sa folie, il avait exterminé son peuple, dans le seul but de renforcer son armée qui, liée à lui, ne pourrait mourir que lorsque lui-même rendrait son dernier souffle. Dans un dernier sursaut d’orgueil, il marcha alors jusqu’au mur de cristal et, dans un souffle glacial, ordonna à son armée déchue qui n’avait pas bougé depuis toutes ces années, de le submerger avant de raser une fois pour toute l’Orient. C’est alors qu’il s’éleva au sommet du mur, Endérion. Plus majestueux et lumineux que le Soleil lui-même. La Lune, filtrant derrière lui, ceinturait son crane telle une couronne d’argent. « Tu es mort ! lui cria Voldun. Je t’ai tué moi-même ! » Et pour la première fois de son interminable vie, le roi des morts sentit la peur l’envahir. « Je suis mort devant tes yeux, mais je suis revenu devant ceux de ta sœur, lui répondit Endérion. Car sache qu’elle a pleuré toutes les larmes son corps pour moi, pour ce que tu m’avais fait. Alors je suis revenu, pour elle et pour son peuple. Je suis revenu exaucer son dernier souhait, celui que plus jamais son peuple ne doive vivre dans la peur. Et pour cela, tu vas disparaitre. » Il étendit ses ailes, chacune recouvrant la moitié du ciel. Puis il fondit sur les morts et, crachant un brasier de flammes d’argent, il réduisit en cendres l’armée infernale. Voldun sentit ce qui restait de son corps se disloquer puis, il disparut, tout simplement. Ainsi, l’Orient et l’Occident furent réunifiés à nouveau. Sinimé cessa de manger les pommes de l’arbre et finit par mourir de nombreuses années plus tard, non sans avoir d’abord choisi un héritier. Endérion reprit sa place dans la cité d’Itiriel, prêt à intervenir si jamais une nouvelle menace venait à fondre sur le Royaume de Landris. Ce n’est que des siècles plus tard, quand les luttes intestines fracturèrent le royaume en une multitude d’états indépendants qui deviendront plus tard les nôtres, qu’Endérion décida de s’en aller. Selon les rumeurs, il serait simplement retourné sur sa colline d’Ird, mais personne n’a jamais pu le confirmer. Quant à Voldun, son propre vœu d’immortalité fit que la Mort elle-même refusa de l’enlacer, le condamnant à dériver dans le néant, plongé pour l’éternité dans le désespoir et l’obscurité. |
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