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Joute 30 : Nouveau printemps Joute 30 Texte C : Nouveau printemps
Marie respirait avec peine lorsqu'ils arrivèrent au bord du lac. Elle sentait les gouttes de sueur glisser le long de son cou et son corps reposait lourdement sur le bras galamment offert par Mathieu. Celui-ci avait l’élégance de feindre de ne rien sentir ; pourtant elle lisait dans ses traits combien le trajet l'avait éprouvé. Cela faisait tant d'années qu'ils se connaissaient... En silence ils s'assirent sur les troncs installés en larges cercles par les jeunes couples du village. Parler après un tel effort ne leur aurait pas été possible, mais les mots ne leur étaient plus nécessaires pour se comprendre. Petit à petit les troncs se remplirent, toujours sans un bruit, par fatigue, excitation ou par peur de briser la magie de cette soirée. Marie glissa sa main dans la main de Mathieu qui, comme toujours, la serra légèrement. C'est aussi pour ces petites habitudes rassurantes qu'elle l'aimait tant. Elle déposa sa tête contre son torse et, des larmes de joie dans les yeux, elle regarda le soleil lentement décliner. Lorsque les derniers rayons disparurent derrière l'horizon des bruissements se firent entendre dans la forêt proche. « Ça va commencer » chuchota-t-elle tant pour Mathieu que pour elle même. Effectivement les premières créatures sortirent d'entre les arbres pour approcher du lac. Leur corps de cheval luisait de milles flammes dans le crépuscule tandis que leur buste humain se dressait fièrement offrant leur majestueuse nudité. Personne ne savait d'où ils venaient et personne ne se seraient risqué à les suivre de peur de faire fuir définitivement ces visiteurs du printemps. Car tous les ans, depuis aussi longtemps que les habitants se souvenaient, le même rituel se reproduisait. La dernière nuit de l'hiver ces êtres se réunissaient près du lac et offraient à tous un nouveau printemps. Marie frissonna. Toute sa vie ne tournait plus qu'autour de cette soirée. Elle supportait les douleurs et les difficultés de l'année uniquement grâce à l'attente de ce soir là. Mathieu en était bien conscient, elle s’effaçait de plus en plus, s'éloignait de la vie elle-même. Mais ce soir là ses yeux s'illuminaient, ses joues reprenaient des couleurs et il retrouvait sur son visage ce sourire qu'il aimait tant. Douze printaniers, comme les nommaient les gens dans la confidence, faisaient maintenant face au lac. Aucun d'entre eux n'avaient jamais ne serait-ce que jeté un regard aux villageois. Ils semblaient totalement inconscients de la présence des humains autour d'eux ou ne les jugeaient pas plus digne d'attention que les branches et pierres qu'ils croisaient. Flancs contre flancs, tournés vers les eaux, d'une seule voix ils se mirent à chanter et la magie opéra. Dès les premières notes une brise légère se leva et apporta une nouvelle vie au monde qui les entourait. Marie soupira de soulagement, ils étaient venus et le charme agissait toujours. Ils ne leur avaient jamais fait défaut mais plus les années passaient et plus elle redoutait que leur voix laisse leurs espérances sans réponse. Mais le souffle venant des cieux avaient bien répondu dès les premières notes et ses effets étaient déjà visibles sur la nature. Les dernières traces de l'hiver s'effaçaient, de jeunes pousses couvraient déjà le sol et les premiers bourgeons apparaissaient sur les branches. Marie se retourna vers Mathieu : « Regarde-moi ». Mathieu s'exécuta et lui sourit tendrement. « Que veux-tu faire ce soir » lui demanda-t-il par jeu. Il connaissait très bien la réponse, la même tous les ans. « Je veux danser toute la nuit ». Et il lui tendit une main pour la guider jusqu'au centre du cercle. Marie riait aux éclats, virevoltant, ses pieds touchant à peine terre. Toute sa fatigue était oubliée. Elle chavirait dans les bras de Mathieu sur des rythmes lents, ils tourbillonnaient sur les chants entraînant et elle ondulait ses fines courbes devant lui lorsqu'il s’asseyait quelques minutes pour mieux la contempler. Ses cheveux dans les yeux, débordante de bonheur, elle traversa la nuit comme une étoile filante au centre de la piste. Au petit matin elle s’arrêta face à Mathieu et lui dit d'un ton solennel : « Je veux me voir ». Ils se dirigèrent alors au bord du lac et s'accroupirent au bord du rivage. Inconsciente de l'humidité qui gorgeait sa robe elle contempla son reflet dans les eaux claires du rivage. Ses cheveux blonds cascadaient sur ses épaules, encadrant son visage doux et harmonieux. Sa bouche dessinait un sourire mutin qui avait fait tourner bien des têtes. Mais ce que tous remarquaient en premier en découvrant Marie était ses grands yeux bleus striés d'or. Mathieu répétait inlassablement que ses yeux ressemblaient tant au ciel qu'ils avait réussi à piéger le soleil. Sans quitter son image des yeux elle se releva lentement et dénoua les lacets de sa robe. Elle laissa glisser celle-ci dans un bruissement de tissu et pu observer tout son corps dans ce miroir aquatique. Sans la moindre pensée pour les villageois présents aux alentours, elle laissa ses doigts caresser sa peau blanche et ferme, ses seins rebondis et sa taille dessinée. « Regarde-moi » demanda-t-elle pour la seconde fois à Mathieu. Ce fut bien inutile car pas une seconde il n'avait détaché son regard de sa femme, fasciné par l'aura qu'elle dégageait. Mais le ciel déjà blanchissait et les étoiles s'éteignaient une à une dans le ciel. Les premières lueurs de l'aube repoussaient l'invitation de la nuit du printemps. Mathieu enlaça Marie et lui murmura : « Le jour se lève ma belle. Ils vont partir. Si nous ne rentrons pas maintenant le retour va être difficile » Elle lui répondit dans une nostalgie déjà naissante « je veux rester jusqu'au bout. Chaque seconde de cette soirée vaut bien tous les tourments du monde ». Et elle retourna à son image, remplissant son âme de sa perfection que lui renvoyait la surface du lac. Lorsque les premiers rayons du soleil transpercèrent le ciel, le chant des printaniers s’évanouit sur un dernier accord et la brise retomba. Lentement ils firent demi tour et regagnèrent le couvert des bois. Le charme était brisé, le temps et la nature reprirent leurs droits. Marie ne pu que regarder impuissante ses cheveux blanchir et se raréfier, sa silhouette se voûter et les rides estomper les charmes de son beau visage. Son 82ème printemps la quittait pour laisser place à l'hiver de sa vie. Mathieu remonta doucement sa robe sur ses épaules et lui pris le bras pour la guider sur le chemin du retour. Le trajet qui leur semblait si court dans leur jeunesse leur prendrait bien une heure à leur âge, à peiner entre les pierres et les fougères. Le silence du retour ne ressemblait en rien à celui de l'attente du début de soirée. Mathieu voyait les larmes qui coulaient le longs des joues de sa compagne. Il s’arrêta et ce fût à son tour de lui dire : « Regarde-moi » Elle tourna son visage vers le sien, le regard baissé, honteuse de l'image qu'elle a présent à lui offrir. « Je te vois comme au premier jour. Mon cœur te montre toujours aussi belle, pour moi tu n'as jamais changé. Et tes yeux... ils ressemblent tant au ciel qu'ils ont piégé le soleil. » Ces mots lui arrachèrent un maigre sourire. Mais ses yeux restaient assombris et il pleuvait sur les joues de Marie. Jusqu'au prochain nouveau printemps.
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