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Joute 30 : Nouveau printemps Joute 30 Texte H : Printemps nouveau
La place commune du village était à la fête. La veillée avait durant plus longtemps que d'ordinaire. C'était la tradition, pour marquer la fin des Rigueurs. Et comme le voulait la tradition, on avait festoyé grassement et pour l'heure, on chantait, dansait, riait et profitait pleinement de l'évènement. Dans un coin, adossé contre le mur et légèrement tapis dans l'ombre, le ménestrel divertissait les enfants de ses histoires. Les aventures des héros et héroïnes de légende faisaient toujours merveilles sur un public jeune. À l'écart, un Apôtre s'avançait en clopinant dans l'une des rues secondaires du village, s'aidant de son bâton. La sagesse irradiait de tout son être, une sagesse illuminée par les premières lueurs de l'aube. Il marchait en direction d'un tertre adossé contre le mur d'enceinte de pierre. Alors que le ménestrel terminait son histoire, les enfants criaient : "une autre ! Une autre !" Et le vieil homme de sourire, son visage débonnaire rayonnant de plaisir. "Pas avant que je me sois rincé la gorge, les petits, répondit-il en se levant. Je vous raconterai le voyage de Tarik Lorata vers le monde des puissances, comment il brisa l'Arbre-Roi à son retour, comment il défit les géants, comment..." Sa voix se perdit dans l'atmosphère de fête des adultes. Citare, tambours et flûtes jouaient sans discontinuer, passant d'une chanson à une autre, imposant leur rythme aux danseurs et danseuses. L'Apôtre laissa la porte ouverte derrière lui, laissant pénétrer un léger courant d'air. Le tertre sentait le renfermé et l'odeur d'un sommeil lourd. Il avança aussi silencieusement que possible en quête des fenêtres. Il fallait être prudent. L'occupant du tertre avait mauvais caractère. "Aubergiste, vous sauveriez un vieillard assoifé en remplissant ce verre, demanda le ménestrel au comptoir. _Allons, Menerik, depuis combien de temps ne m'avez-vous pas appelé "Aubergiste", répondit la femme en napperon. _Vingt ans. Au moins. Quand les premières neiges m'ont surpris sur la route de Falan et que j'ai eu le choix entre geler sur place ou trouver refuge dans votre taudis. Vous parlez d'un choix. _Ça ne vous a pas empêché de revenir l'année suivante passer les Rigueurs chez nous. Et l'année d'après et toutes celles qui ont suivie depuis. _Et sinon, Aerma, vous pensez que c'est l'Apôtre qui va me le remplir, mon verre ? Il me semble qu'il a autre chose à faire aujourd'hui. _Voila, voila, ça vient. De l'eau, comme d'habitude, sussura l'aubergiste. _Ne m'insultez pas, rouspetta Menerik. Cette année, ce serait pire. Les Rigueurs avaient duré plus longtemps que d'ordinaire. Beaucoup plus longtemps. On avait fait des provisions conséquentes en prévision de ce jour et un festin était déjà prêt, attendant que le dormeur se réveille. L'Apôtre avait peur que cette année, ce ne soit pas suffisant. Le dormeur avait toujours faim en sortant de son sommeil et plus longtemps il dormait, pire au réveil il était. Avec la grâce consommée par un petit coup dans le nez, le ménestrel évita danseurs et serveurs pour retourner auprès de son auditoire, celui-ci piafant déjà d'impatience. Menerik s'installa confortablement, but quelques gorgées les yeux fermés et s'imprégna du conte qu'il allait entamer. C'est pour cela que le commun des mortels fêtait le réveil avant le réveil. "Entendez l'Histoire des Hommes et du premier Gardien, Taric Lorata, chuchota le ménestrel, plein de respect. Au commencement, les hommes vivaient en harmonie avec la nature. Ce sont des temps oubliés, depuis longtemps passés et qu'il ne faut pas évoquer à haute voix car les puissances en prendraient ombrage, comme elles ont prit ombrage à l'époque. Tout en ouvrant fenêtre après fenêtre, en traversant les pièces du tertre, l'Apôtre songeait à l'Equilibre. La nature et le dormeur étaient toujours de mauvaise humeur à leur réveil. Les pensées de l'Apôtre dérivèrent sur le Mensonge Originel, comme à chaque fois que son esprit évoquait la nature. "Elles ont relâché leur prise sur la nature, continua Menerik, et ce qui autrefois était vivant mais inoffensif se transoforma en danger mortel. Les bêtes, les oiseaux, toutes les créatures avec ou sans pattes, les arbres et même les plantes les plus inoffensives devinrent des menaces terribles pour l'homme. Tout ça parce qu'une fois, les Apôtres avaient commis une erreur. Une toute petite erreur. Mais avec de terribles conséquences. "Dans les premières années, on se tourna vers les Apôtres, mais leur magie s'avéra inefficace contre le déchainement de la nature. "La Terreur des hommes dura des décennies, détruisant les plus puissantes cités, condamnant les survivants à l'errance. Quand il fut évident pour tout le monde que la fin était proche, les Apôtres choisirent un homme au coeur pur du nom de Tarik Lorata et lui insufflèrent toute la magie qu'ils pûrent réunir. L'homme devait être envoyé dans le monde des puissances et implorer la paix, mais pour survivre au voyage, il lui fallait être protégé. Tarik avait été un ivrogne trop saoul pour répondre quoi que ce soit quand il avait été désigné comme porteur d'offrandes. Une fonction peu enviable, terrifiante, que personne ne voulait jamais occuper. Mais une fois dans le monde des Dieux, au lieu de se comporter comme un esclave devant ses maîtres, il fut prit d'une de ces colères de pilier de comptoir et l'impensable s'était produit. Il avait tué les Dieux. L'Apôtre s'enfonça un peu plus dans le tertre. L'odeur devenait plus forte. À présent, le soleil pointait largement à l'horizon et l'Apôtre entreprenait d'orienter les miroirs des pièces secondaires pour diriger les rayons de lumière vers l'intérieur, vers la chambre principale. La chambre du dormeur. "Quand Tarik revint parmi les hommes, le monde avait changé. Les hommes s'étaient éparpillés en petits villages, les saisons étaient plus marquées, les forêts plus denses et la nature plus hostile qu'elle ne l'avait jamais été. Alors Tarik fit son voyage vers l'Arbre-Roi pour le supplier de cesser ses attaques... Pas étonnant alors que le monde ait changé. Sans les Dieux, il n'y avait plus personne pour diriger la barque. La nature était devenue folle, les animaux meurtriers, le climat devenu rude durant n'importe quelle saison. Une chance, car sans cela, la nature ne se serait pas assoupie pendant l'hiver. L'Apôtre approchait maintenant des claustras obturés de la chambre principale. Aucun bruit ne filtrait de l'intérieur. L'atmosphère semblait pesante, confortable, chaude comme un matin sous les couvertures. Un sentiment de bien-être baignait dans la faible clarté. "...et Tarik se senti fatigué. Protéger son village pendant les Rigueurs était inutile, car la nature s'endort pendant cette saison, offrant un peu de répis aux hommes. Alors il s'endormit, comme s'endorment depuis tout les Gardiens, pour ne se réveiller qu'à la fin de la saison, reposés et prêts à reprendre leur bataille. L'Apôtre ouvrit doucement le dernier claustra et s'empressa ensuite de sortir, grognant contre le poids de l'âge. Dans la chambre principale, un homme remua dans son lit. D'un mouvement lent, il repoussa couvertures et draps et posa les pieds par terre. Il fit jouer ses muscles en s'étirant. Les traces de son long sommeil étaient vivaces, mais la faim lui creusa l'estomac avec force. L'homme se leva et se dirigea d'un pas lourd vers la porte de la chambre. Un orteil heurta durement quelque chose. Le ménestrel continuait de conter les aventures du premier Gardien avec un luxe de détails, son auditoire captivé, quand les murs de l'auberge fûrent violement secoués par un rugissement indigné, emprunt de douleur, faisant sursauter tout le monde dans la salle, interrompant musique, danses et rires. " Que le trou pourri des puissances maudisse cette immonde vomissure de table !" La bordée de jurons résonna dans le silence soudain. Plusieurs vitres s'étaient brisées, la majorité des verres gisaient au sol, cabossés ou brisés. Les visages des convives reflêtaient la peur, le soulagement, mais en grande majorité, l'incrédulité. "Ah, nota Menerik le barde, le printemps nouveau est arrivé. |
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