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Joute 29
Joute 29 Texte 5 : Les Enfants du Néant
Le 08/11/2011 par Taenad non favori



Keorim regardait le corps de l'homme affalé à ses pieds tandis que le sang gouttait de la courte épée qu'il tenait dans sa main. Il avait encore dû tuer quelqu'un. Il resta quelques instants, le regard fixé sur le cadavre au sol avant de l'attraper par les pieds et de le tirer dans un recoin obscur du couloir. La nuit était presque achevée et il faisait encore sombre dans les sous-sols de la grande forteresse de pierre de Kenyma. Il ne prit pas le temps de nettoyer le sang sur le sol. Compte tenu de la luminosité ambiante, de l'heure et du lieu, il y avait peu de chance que quelqu'un découvre le corps avant plusieurs heures. Autant dire que d'ici là il en aurait largement fini ... ou alors il serait mort. Il ne se considérait pas vraiment comme un assassin mais c'était comme si le destin l'avait forcé à tuer pour survivre depuis qu'il avait fui le Monastère. Il n'aimait pas particulièrement ça mais il n'avait généralement pas le choix. Et il devait avouer qu'il avait un certain talent pour ce genre d'activités ... voire un talent certain.

Il jeta un dernier regard à la masse sombre du corps avant de reprendre sa route à travers le dédale de pierre. Il avait réussi à pénétrer dans le grand bâtiment en passant par les canalisations amenant l'eau au plus profond de la citadelle. Ici, les gardes ne se méfiaient pas des intrus, se disant qu'un être humain normalement constitué aurait été incapable d'entrer par là, mais il y a longtemps que Keorim ne se considérait plus comme un être humain normal. Kenyma était une ville portuaire et l'immense forteresse trônant en son centre était traversée par les canaux qui parcouraient également la ville. C'était une ville riche, la capitale du pays le plus développé du Continent Boréal, et dont l'influence économique et culturelle rayonnait sur tous les pays à la ronde. Le pays que Keorim avait traversé ces dernières semaines pour atteindre son but était si différent du sien. Là-bas, sur le Continent Austral, tout était sombre, triste, même les plantes avaient l'air plus vertes ici … sans parler des habitants qui, ici, allaient jusqu'à adresser la parole aux inconnus … volontairement ! Cette forteresse qui semblait si bien défendue de l'extérieur était finalement le symbole de la réussite du Continent Boréal, l'endroit le plus imposant de la ville la plus riche du pays le plus prospère du continent le plus agréable à vivre … et il devait grimper tout en haut pour La rejoindre ! Il repensa au lieu où il avait grandi, ce Monastère qui tenait plus de la prison que du lieu saint et où on l'avait enfermé jusqu'à ce qu'il réussisse finalement à s'échapper quelques années plus tôt. Le contraste était frappant avec la citadelle dans laquelle il essayait de se faufiler discrètement. En effet le Monastère était un endroit glauque, situé dans le coin le plus reculé d'un pays pauvre du Continent Austral, dirigé par des moines ternes et cruels qui n'avaient l'air d'avoir d'autres activités dans la vie que de le persécuter personnellement. Et le plus triste était qu'il y avait passé plus de dix ans sans jamais concevoir l'idée de partir, persuadé qu'il n'y avait rien pour lui à l'extérieur. Jusqu'au jour où …

Jusqu'au jour où, alors qu'il déambulait sans réel but dans les couloirs du Monastère sous-terrain, il avait surpris une conversation. Deux des moines de haut-rang semblaient en plein débat, et Keorim comprit rapidement qu'il était le centre de la discussion. Les moines le trouvaient de plus en plus agité et se demandaient quand lui viendrait finalement l'envie de quitter le Monastère pour retrouver sa sœur. Keorim en resta abasourdi, il avait une sœur ! Pourquoi ne lui en avait-on jamais parlé ? Lui qui ne se rappelait rien d'autre que le Monastère depuis sa plus petite enfance, il avait une sœur qui l'attendait quelque part dans le monde extérieur ! Il était rentré en trombe dans le bureau des moines, les pressant de questions sur cette sœur dont il n'avait jamais entendu parler jusqu'alors. Ces derniers, le regard horrifié, l'avaient alors enfermé dans une minuscule cellule au plus profond du Monastère. Il y était resté longtemps, très longtemps, sans doute plusieurs mois mais c'était difficile à dire dans le noir et sans contact avec le monde extérieur. Au début, il n'avait pas compris pourquoi on ne voulait pas lui répondre, pourquoi on l'enfermait. Puis il s'était mis dans une rage folle, à tel point qu'il passait parfois plusieurs jours sans voir personne quand il s'emportait et blessait l'un des moines venus le nourrir. Et puis il avait fini par se calmer, on lui avait dit qu'il pourrait sortir à condition de rester bien sagement au Monastère et d'oublier toute cette histoire ridicule. On avait dit au jeune garçon qu'il était qu'il avait grandi, mûri, et c'était sans doute vrai car il avait compris qu'il ne devait plus parler de cette sœur qu'on lui disait imaginaire. Alors il n'en parlait plus … et se contentait d'y penser, chaque jour un peu plus. Les moines l'avaient alors laissé sortir de sa cellule, mais jamais plus il ne put se promener librement dans le Monastère, car toujours il y avait un ou deux moines pour l'accompagner ou le surveiller discrètement au coin d'un couloir sous-terrain. Ils ne lui faisaient pas confiance, et ils avaient parfaitement raison. Plusieurs fois, il essaya de quitter discrètement le Monastère, il eut même l'occasion une fois de voir le monde extérieur ! Mais à chaque fois, les moines le rattrapaient et l'enfermaient à nouveau.

Et puis un jour … un jour, ça avait mal tourné. Keorim ne se rappelait plus vraiment les détails mais il avait fini par se battre avec l'homme qui l'avait surpris à la porte du Monastère. L'autre avait dû faire une mauvaise chute, c'était assez flou dans les souvenirs du jeune homme, ce dont il était sûr en tout cas, c'est que le moine ne s'était jamais relevé ! Il avait tué pour la première fois, et en même temps, pour la première fois de sa vie , il était libre ! Le mélange de ces deux sentiments contradictoires l'avait longtemps désemparé. Les premiers mois avaient été difficiles, ne connaissant rien au monde extérieur, dans un environnement hostile et froid, il avait dû se battre pour survivre. Il avait dû voler pour manger. Et finalement il avait dû tuer à nouveau, pour une raison idiote en plus, une bête rencontre avec des voleurs de grand chemin qui avait mal tourné, chacun cherchant à obtenir par la force ce que l'autre n'avait pas. Depuis, tuer était devenu à la fois de plus en plus facile et en même temps de plus en plus inévitable, comme si une force supérieure mettait toujours plus d'obstacles sur sa route, des obstacles qu'il n'y avait qu'un seul moyen d'écarter.

Il avait ainsi parcouru les terres du continent Sud pendant plusieurs mois, survivant comme il pouvait, avec pour seule motivation de retrouver cette sœur dont il ne connaissait rien, parcourant villes et campagnes au hasard, n'ayant aucune idée par où commencer. Le premier indice lui fût donné par l'un des moines qu'il s'était mis à haïr au cours des derniers mois. Après que sa fuite avait été découverte, les moines l'avaient traqué sans relâche. Keorim avait d'abord été persuadé qu'ils le cherchaient pour se venger aussi les évitait-il autant que possible. Mais il avait fini par comprendre qu'il y avait autre chose ... Plusieurs fois ils avaient eu l'occasion de le tuer, mais ils n'en avaient pas profité, préférant visiblement le prendre vivant même si cela devait leur coûter de lourdes pertes. Suite à l'un de ces combats, le jeune homme avait pu faire un prisonnier. Il l'avait alors interrogé. L'homme n'avait rien voulu dire dans un premier temps mais Keorim s'était rapidement découvert des talents insoupçonnés pour faire parler les gens peu loquaces. Cela ne lui plaisait pas, mais il s'était forcé à s'endurcir au cours de sa fuite, c'était la seule manière de survivre dans son univers, et probablement aussi la seule manière d'en apprendre un jour plus sur sa sœur. L'homme avait résisté mais Keorim avait réussi à lui faire avouer une information capitale avant qu'il finisse par rendre son dernier soupir, le nom de sa sœur : Kenyale !

Keorim avait alors passé les années suivantes à parcourir chaque recoin de chaque pays du Continent Austral. Il s'était aguerri au cours de ses voyages, endurci. Il avait eu l'occasion de participer à au moins deux guerres et une révolution, il avait été impliqué dans des intrigues de cours suite à quelques assassinats. Il était devenu célèbre et craint dans tous le continent bien que personne ne soit capable d'associer son visage de jeune homme au nom terrifiant qu'il s'était forgé – en tout cas personne de vivant … Et durant tout ce temps, chacun de ses gestes, chacun de ses actes n'étaient réellement tournés que vers un unique but : glaner des informations sur cette sœur perdue pour qui il avait vendu cent fois son âme. C'est cette quête qui l'avait amené, un jour de pluie comme les autres, à embarquer sur un bateau à destination du Continent Boréal. Le voyage n'avait pas été de tout repos, pirates, tempêtes et autres maladies à bord avaient décimé une bonne partie de l'équipage et des passagers durant les deux semaines de voyage, pour finir par un naufrage qui l'avait laissé seul survivant à moitié mort sur une plage du Continent Boréal.

Ses premiers pas sur cette terre avaient été pour Keorim un contraste flagrant avec ce qu'il connaissait jusqu'alors. Les premiers habitants qu'il avait rencontré l'avait accueilli chaleureusement malgré sa peau sombre, sa petite taille, ses yeux et ses cheveux noirs qui le marquaient clairement comme un habitant du Sud. Plus il se rapprochait de la capitale, et plus il était sûr d'être dans la bonne direction. Comme si son instinct le poussait indéfectiblement vers l'immense cité. Quand la ville fut finalement en vue, il sut que celle qu'il recherchait était tout en haut de l'immense édifice situé en plein milieu de la cité. Malheureusement, il s'agissait aussi du bâtiment le mieux gardé de Kenyma, si ce n'était du pays ou du continent entier. Il passa plusieurs semaines à rôder dans les ruelles sombres, à traîner dans les auberges louches à la recherche d'un moyen d'accéder à l'intérieur de la forteresse, évitant autant que possible les patrouilles de gardes. Et plus les jours passaient, plus il se sentait frustré, bloqué si proche et en même temps si loin de son but après toutes ces années de recherches et de sacrifices. Bizarrement, il avait l'impression que toute la ville retenait son souffle, que le pays entier était sous tension en attendant le dénouement de sa quête.

Alors qu'il faisait les cent pas dans la chambre de l'auberge miteuse où il s'était installé, l'esprit bouillonnant de rage au point qu'il en tremblait presque, il eut soudain la désagréable impression que les murs se mettaient à trembler avec lui. Il lui fallu un moment pour réaliser que ce n'était pas une illusion de son esprit malade mais que la terre tremblait bel et bien ! Keorim sortit rapidement de la bâtisse qui commençait déjà à s'écrouler. Autour de lui, tout n'était que panique, les gens courant en tout sens dans les rues en hurlant. Alors que les dernières répliques se faisaient sentir, Kéorim était déjà en train de calculer comment il pourrait mettre à profit cet événement inattendu. Il sourit. Finalement, après tout ce temps, il avait enfin un plan.

Comme il s'y attendait, la plupart des gardes de la cité furent assignés comme secours supplémentaires, y compris ceux qui auraient normalement dû être de garde dans les couloirs de la citadelle. Le jeune homme en profita alors pour se glisser discrètement dans l'un des canaux qui abreuvaient les sous-sols de la ville. C'était risqué, surtout aussi peu de temps après le tremblement de terre, mais il était persuadé qu'il s'agissait là de sa seule et unique chance. C'est ainsi qu'il s'était finalement retrouvé dans les couloirs sous le bâtiment. Alors que le jour se levait, il finit par arriver tout en haut de la tour centrale. Étrangement la pièce la plus importante des lieux ne semblait pas gardée. Il hésita un moment sur le seuil avant de finalement pousser les battants.
« Entre, je t'attendais. J'ai pris la liberté de renvoyer les gardes. »
Elle était là, debout au centre de la pièce, celle qu'il cherchait désespérément depuis tant d'années. Et maintenant qu'il se retrouvait face à elle, il comprenait qu'elle était sa moité, celle qui devait combler ce vide béant en lui. Elle lui sourit. Il s'agissait sans doute du sourire le plus chaleureux qu'un être vivant ne lui ait jamais accordé, un sourire qui le réchauffa de l'intérieur.
« Keorim, mon frère, cela fait bien longtemps que je t'attends ! »
« Ke...Kenyale ? »
Le sourire de la jeune femme s'élargit tandis que Keorim restait interdit sur le pas de la porte. Il prit le temps de l'observer. Elle était son exacte opposé, grande, la peau très claire, des longs cheveux d'un blond presque blanc. Et pourtant, malgré leurs différences, il savait qu'elle était sa sœur, l'autre moitié de son âme tourmentée. Elle tendit une main dans sa direction, il fit un pas vers elle avant de s'arrêter, hésitant. Elle reprit la parole.
« Tu dois avoir beaucoup de questions, et moi j'ai beaucoup de réponses. C'est ainsi que ça doit être, c'était déjà le cas la dernière fois qu'on s'est vu. »
« Quoi ? Mais … tu dois te tromper, on ne s'est encore jamais vu, je te cherche depuis des années ! »
Le sourire de Kenyale se fit un peu triste. « Et moi je t'attends depuis des siècles. Et nous nous sommes déjà vu, bien que tu ne t'en souviennes pas. Tu n'avais pas la même apparence ni le même nom à l'époque, bien sûr. Mais tu avais déjà la même âme.»
Keorim fronça les sourcils, perplexe. Sans pouvoir se l'expliquer, il était sûr qu'elle avait raison. Elle repris la parole.
« Je vois que tu ne comprends pas, j'avais déjà dû t'expliquer la dernière fois. » Keorim lut une affection sans borne dans le regard de sa sœur, il n'y avait aucune arrière-pensée négative dans ses paroles. « Nous sommes … disons que nous sommes les exacts opposés l'un de l'autre. Physiquement, tu l'as sans doute déjà remarqué. Mais cela va bien plus loin. A nous deux, nous sommes la dualité, l'infini des possibilités qui existent entre deux opposés. » Elle fit une pause pour qu'il réalise ce qu'elle venait de dire. « Homme et Femme, Vie et Mort, Alpha et Oméga, Bon et Mauvais, Guerre et Paix mais aussi Connaissance et Ignorance, Action et Immobilisme, Nord et Sud, Éternité et Mortalité il y en a tellement... » Keorim commençait à comprendre mais il avait encore du mal à y croire.
« Tu as dû t'en rendre compte, toute ta vie, tu as attiré le malheur, la mort, la guerre. Tu n'as sans doute jamais fait le rapprochement, tu pensais que tu n'étais que spectateur de ces événements tragiques alors que tu en étais le catalyseur depuis le début. C'est pour ça que, depuis des millénaires, les moines du Monastère Kerothi ont pour rôle de te retrouver et de t'enfermer à l'écart du monde à chacune de tes réincarnations. Il leur suffit de suivre les pires catastrophes, les pires guerres et les pires maladies sur le Continent Austral pour te trouver. Alors, ils t’emmènent à l'écart de tout et te gardent en vie pour ne pas avoir à te rechercher à nouveau, ils te gardent dans l'ignorance afin de t'empêcher par tous les moyens de partir à ma recherche. Car tels des aimants nous nous attirons mutuellement. Tu dois te demander comment je sais tout ça ? Je te l'ai dit, nous sommes des opposés, deux faces d'une même pièce. Et tandis que tu traverses l'Histoire en te réincarnant à chacune de tes morts, moi je ne meurs jamais, je suis immortelle et depuis des millénaires, j'engrange tous les savoirs du monde. Mais ça n'est pas gratuit, quand toi tu parcours le monde à ma recherche, moi je suis obligée de rester ici, seule dans cette tour, sans jamais sortir de cette pièce. D'ici, je rayonne sur le Continent Boréal, lui apportant prospérité, paix, récoltes abondantes, alors que tu maudis de ton existence le Continent Austral infesté de guerres, de maladie et de famines. Oui, je suis la raison de la prospérité du Nord quand tu es la cause de la déchéance du Sud. Car nous sommes bien plus que de simples humains, mon frère. »
« Nous sommes les Enfants du Néant, Kéorim. L'Alpha et l'Oméga. Avant nous, il n'y avait rien et après nous, il n'y aura rien. Mais tant que nous existons, indépendants l'un de l'autre, alors tout existe, car tout existe dans l'infini des possibles qu'il y a entre nous deux. Nous sommes en quelque sorte les deux faces d'un dieu qui a créé ce monde.» Kelyane fit une pause, laissant Keorim saisir les conséquences de ce qu'elle venait de dire. « Tu as compris n'est-ce pas ? Tant que nous sommes séparés, ce monde existe. Mais quand nous serons à nouveau réuni, le Néant reprendra ses droits. » Le visage de Keorim était défait, cela pouvait-il être vrai ? Il se sentait vraiment heureux pour la première fois de sa vie à l'idée de retrouver sa sœur, fallait-il qu'ils soient obligés de se séparer ? Elle reprit. « Je ne sais pas ce qui t'es arrivé au cours des autres vies, je suppose que tu as dû en passer certaines enfermé dans le Monastère, parfois tu as dû mourir en essayant de me rejoindre. Ce que je sais, c'est que, deux fois, déjà, tu es parvenu jusqu'à moi. La première fois, tu es mort à mes pieds, la deuxième tu t'es résigné à repartir d'où tu venais, pour le bien du monde. Je suppose que tu as passé le reste de cette existence enfermé dans le Monastère. » Le visage de Keorim se contracta à l'évocation du Monastère, s'il était sûr d'une chose, c'est qu'il n'y retournerait jamais de son plein gré dans cette vie.
« Ce n'est pas possible ! Je n'ai pas tous ces pouvoirs ! »
Kenyale secoua tristement la tête. « Regarde par la fenêtre si tu ne me crois pas. Regarde ce tremblement de terre qui a ravagé la ville. De mémoire d'homme, il n'y en a jamais eu un seul dans ce pays. Tu n'es là que depuis quelques jours et la ville est déjà en ruine. » Keorim s'approcha de la fenêtre, tournant le dos à sa sœur, de là, le spectacle était impressionnant, les deux-tiers de la ville semblaient détruites, des incendies couvaient encore ça et là, partout il ne voyait que désolation et ruines. Il se retourna vers Kenyale, tandis que des larmes coulaient sur ses joues. Elle n'avait pas bougé, elle était toujours debout au même endroit, la main tendue vers lui et un chaud sourire sur le visage.
« Je ne te juge pas, ce n'est pas mon rôle. Au final, c'est toi qui doit prendre la décision. Moi, je ne dois que t'expliquer les causes et les conséquences. »
Il s'avança vers elle, hésitant. Avait-il le droit de tout réduire à néant, égoïstement ? Ou devait il se sacrifier, sachant parfaitement que, pour le reste de ses jours, il ne connaîtrait jamais cette sensation de plénitude que semblait lui promettre Kenyale. Il avança encore d'un pas, jusqu'à lui toucher la main. Une impression de chaleur le traversa alors, il se sentait comme baigné dans une douce lumière tandis qu'il n'existait plus qu'eux deux. Ils ne faisaient que se toucher mais le simple contact entre leurs doigts lui donnait un avant-goût de cette parfaite sensation. Pour la première fois depuis la naissance de l'univers, les Enfants du Néant était entrés en contact et les liens qui maintenaient le monde en un seul morceau commençaient déjà à s'effilocher. Le sol se mit à trembler à nouveau, secouant les murs de la forteresse, des gouffres immenses apparurent à la surface de la terre et s'étendirent rapidement, refaçonnant continents et océans en quelques instants. Partout, les cieux étaient noirs de nuages zébrés d'éclairs. Et dans chaque villes et villages, les gens hurlaient et pleuraient. Au Monastère, sur le Continent Austral, les moines observaient le ciel d'un air résigné, ils comprenaient qu'ils avaient échoué dans leur tâche millénaire.

Perdus dans la lumière qui les entourait, insensibles au grincement du monde qui se disloquait autour d'eux, Keorim et Kenyale n'avaient pas bougé. Elle attendait, comme elle le faisait depuis le commencement du monde. C'est lui qui devait faire le dernier pas, et c'est lui qui hésitait. Il se demanda un instant s'il avait vraiment une raison de sauver ce monde. Parcourant ses souvenirs, il ne vit rien que tristesse, guerre, trahison et douleurs. Le seul et unique espoir de paix et d'amour qu'il pouvait envisager, ce monde le lui refusait. Il plongea son regard dans celui de Kenyale, elle accepterait sa décision, quelle qu'elle soit. Pour la première fois depuis longtemps, il sourit. Il referma sa main sur celle de sa sœur et avança d'un pas. Elle le prit dans ses bras. Il lui rendit son étreinte.